Cinquante ans depuis la disparition de l'architecte du Château de Prague, Josip Plecnik
Parmi les architectes qui ont marqué l'image de Prague au cours du siècle écoulé, le plus reconnu est le Slovène Josip Plecnik. L'un des symboles de l'Etat tchèque - le Château de Prague - porte son empreinte. Il y a, effectivement, quelque chose de symbolique dans le fait que l'oeuvre de Plecnik relie trois capitales d'Etats successeurs de la monarchie austro-hongroise disparue en 1918 - Vienne, Prague et Ljubljana. C'est à Ljubljana qu'il est né le 23 janvier 1872 et où il est mort, il y a de cela 50 ans, le 7 janvier 1957. A Vienne, il a fait ses études et ses premières réalisations. A Prague, il est devenu l'architecte du château...
De son père, Josip Plecnik devait reprendre une menuiserie en meubles. A Graz où il étudie le métier, il fait la connaissance des architectes et devient dessinateur dans l'atelier de Léopold Theyer. En 1892 il part pour Vienne. Il est admis à l'école d'architecture d'Otto Wagner relevant de l'Académie des arts plastiques. Il couronne ses études par une étude urbanistique d'aménagement de la station balnéaire de Schvelingen près de la Haye qui lui valut une bourse et un voyage d'études de deux ans au sud de l'Europe. Ses premiers travaux architecturaux furent faits pour Vienne: Des villas, des immeubles de location, des monuments et l'église de Saint-Esprit furent construits selon ses plans dans la métropole autrichienne. Or il s'est le plus illustré par le projet et la réalisation du palais Zacherl au centre de Vienne. En 1910, l'architecte tchèque Jan Kotera, l'un des représentants les plus marquants du style moderne d'entre-deux-guerres, l'a invité à Prague pour prendre sa place de professeur d'architecture à l'Ecole Supérieure des Arts Décoratifs. Plecnik accepte et c'est ainsi que commence son parcours lié à jamais avec le Château de Prague...
Symbole de l'histoire plus que millénaire de l'Etat tchèque, le château fournit un exemple d'architecture de tous les styles miraculeusement préservés. Depuis la construction de la première église préromane sur cet éperon avant 894, le château a été sans cesse élargi et agrandi en symbiose de styles ce qui fait de lui un ensemble des plus harmonieux. L'activité de construction s'arrête après l'édification de l'aile thérésienne, au XVIIIe siècle. Le château souffre d'une dégradation. Il ne reçoit une image nouvelle qu'avec la fondation de la République tchécoslovaque, le 28 octobre 1918. Son premier président, Tomas Garrigue Masaryk, décide de transformer la demeure monarchique en un siège digne de la nouvelle démocratie. Sur sa proposition, Plecnik est nommé le principal architecte du Château. Masaryk lui confie non seulement les remaniements de celui-ci, mais aussi ceux de sa deuxième résidence de Lany. Partisan de l'architecture classique, Plecnik conçoit une symbolique nouvelle caractéristique de l'Etat moderne mais qui évoque les traditions antiques de la démocratie. Ses remaniements respectent le lieu, la région, la tradition, le souvenir. Le style de Plecnik est très personnel. Il se présente comme un montage d'éléments classiques et modernistes, avec des emprunts à la culture populaire et à l'architecture méditerranéenne.
Entre les années 1920 et 1934, Plecnik refait la première et la troisième cour du château, les jardins du Midi (Jizni zahrady) et le jardin sur le Bastion (zahrada Na Baste). Avec son disciple Otto Rothmayer, il remanie les locaux intérieurs, dont la salle d'entrée, dite « des colonnes », près de la porte Mathias et aménage nouvellement les appartements avec le cabinet de travail pour le président et sa famille. A la première cour, Plecnik aménage le pavement, l'éclairage, les deux mâts en pin de 25 mètres de hauteur et deux nouvelles percées à travers l'aile transversale. Il marque l'air de la cour par deux chemins en dalles sombres, dont l'un conduit à la porte des nouveaux appartements présidentiels. En 1921, Plecnik est chargé de l'aménagement de toute l'aile destinée à recevoir les nouveaux appartements présidentiels. A partir de la porte donnant sur la première cour, il crée un escalier en colimaçon et un ascenseur et installe dans les vieux bâtiments les pièces d'habitation, le salon des Dames, la bibliothèque de Masaryk et, à l'intersection des ailes sud et est, le grand impluvium - espace centrale de l'appartement, avec un bassin circulaire éclairé par une fenêtre elliptique du toit. Il construit aussi une entrée personnelle du président reliant la cour du château par un tunnel creusé à travers l'aile centrale.
Dans la troisième cour du château, de nombreux vestiges datant du Xe siècle furent conservés sous la charpente en béton réalisée par Josip Plecnik de 1925 à 1928. Plecnik relia aussi cette cour aux jardins du versant sud - les jardins du Midi, en y établissant un escalier à deux balcons, présentant 13 mètres de dénivellation entre la cour et les jardins. Cet escalier donne une vue superbe de la ville. Dans la troisième cour, un monolithe en granite conçu par Plecnik fut élevé en mémoire de victimes de la Première Guerre mondiale.
Josip Plecnik reste à Prague jusqu'en 1936. Il y réalise encore une autre construction incontournable et unique - le bâtiment en briques rouges de l'église du Sacré-Coeur érigée entre 1928 et 1932 sur la place Jiri z Podebrad (Georges de Podebrady). Inspirée de l'architecture grecque classique, cette église est un rare exemple d'architecture religieuse moderne dans notre pays. Sa tour principale porte la plus grande horloge de Prague. La chapelle souterraine est considérée par les architectes contemporains comme l'espace le plus spirituel de Plecnik. Vers le milieu des années 1930, Plecnik fait face à une critique nationaliste croissante de ses opposants et rivaux. Quand Masaryk, malade, ne peut plus prendre sa défense, il quitte son travail au Château, sans accepter, dit-on, d'honoraires, soulignant que c'était une tâche d'honneur pour lui. Il se consacre à plein temps à ses activités à Ljubljana où il édifie une école d'architecture, mais surtout, influence de façon décisive la conception urbanistique de la ville : il créé plusieurs ponts enjambant la rivière Ljubljanica, aménage les quais, les places, édifie un réseau de routes, et érige plusieurs constructions sacrales.Pendant longtemps, l'oeuvre de Plecnik est resté à l'ombre de ses collègues plus célèbres, dont Le Corbusier, Mies Van der Rohe et Alvar Aalto. Un tournant dans la perception de son oeuvre s'est produit avec l'exposition organisée en 1986 au centre Georges Pompidou, à Paris, qui l'a fait découvrir par un large public. Pour les Tchèques, Plecnik a été redécouvert dans les années 1990, grâce à une exposition rétrospective de son oeuvre et aux remaniements du château initiés par Vaclav Havel.