In the City : Prague figée dans le temps
Depuis le 10 juillet dernier, l’artiste tchèque Ivana Lomová expose une trentaine de ses peintures au Centre d’art contemporain de Prague, le DOX, dans une exposition intitulée « In the City ». Elle y dépeint la ville de Prague et ses bâtiments de manière très réaliste si bien que l’on croirait être face à des photographies.
Ivana Lomová avait à cœur de représenter Prague, ville où elle est née et vit toujours. L’exposition est pour elle une tentative de recréer, de redonner vie à ses souvenirs ainsi qu’à l’environnement dans lequel elle a été élevée. Elle a alors peint les façades et pièces de certains bâtiments lui rappelant le Prague de son enfance, effectuant ainsi ce qui pourrait s’apparenter à un travail de restauration. Pour elle, la ville a énormément changé mais des traces de l’époque communiste subsistent toujours à certains endroits. Une atmosphère particulière, un léger sentiment de dépression s’en dégagent, comme si le temps s’était arrêté.
« L’art m’intéresse depuis toujours, je dessinais déjà petite. Mais les circonstances ont fait que j’ai étudié l’architecture, même si j’avais toujours voulu faire des illustrations et des dessins. Après mes études, j’ai travaillé dans une entreprise d’architecture pendant cinq mois puis j’ai arrêté pour faire des illustrations. Une fois, j’ai même réalisé un dessin animé. Je suis restée dans ce milieu pendant environ une dizaine d’années pour ensuite me lancer dans la production artistique à la fin des années 1990. J’ai commencé à travailler sur des séries, dont une sur le féminisme, et une sur la psychanalyse. »
Quand elle peint, l’artiste tchèque ne réfléchit pas à ce que le spectateur ressentira une fois qu’il sera face à une de ses toiles car elle considère que cela lui revient. Son objectif est simplement de représenter les lieux et endroits de la façon la plus objective qui soit, sans artifices et sans chercher à les magnifier. Toutefois, face au temps de travail important qu’elle y consacre, Ivana Lomová admet qu’une part de sentiments et d’émotions sont disséminés dans ses peintures, qu’elle le veuille ou non.
« L’art doit avoir en lui de la surprise, quelque chose dont on ne comprend pas totalement le sens. Et c’est pourquoi il est si difficile de parler d’art, et principalement de peintures, car nous peignons sans pouvoir mettre des mots dessus. Mais aujourd’hui, nous avons des visites commentées, nous devons répondre à des interviews sur ce que nous faisons précisément. »
Prague est au centre de l’actuelle démarche de l’artiste mais ce n’est pas la première fois qu’elle représente la capitale puisqu’elle en avait tiré des peintures lorsqu’elle étudiait l’architecture. C’est donc une trentaine d’années plus tard qu’elle a repris ses pinceaux dans le but de préserver certains endroits de la ville importants pour elle, en les gravant sur toile.
« De nombreuses années auparavant, lorsque je faisais des illustrations, j’ai fait un livre sur les capitales en Europe. J’ai dû utiliser des photos, comme des cartes postales. Je ne pense pas peindre d’autres villes. Mon exposition a pour but de recréer l’environnement, ce à quoi la ville ressemblait quand j’étais jeune, donc il y a trente ans. C’est pourquoi j’ai choisi des endroits où peu de choses ont changé, où on peut toujours ressentir cette atmosphère lors de la période communiste où tout était gris, Prague était vide, il n’y avait pas de touristes, le temps était comme figé. »
Un temps en effet bien différent puisque Prague connaît, ou du moins connaissait avant la pandémie, une situation de sur-tourisme, comme bien d’autres capitales européennes. Ivana Lomová éprouve quelques regrets se remémorant l’époque socialiste où ni les rues ni les musées n’étaient bondés. Afin de retranscrire l’atmosphère qui y régnait, elle utilise la photographie comme simple outil et non comme un modèle.
« J’utilise mes propres photographies pour réaliser mes peintures. Je les transforme un peu mais je n’invente pas complètement ces scènes, elles ne viennent pas de mon imagination parce que je veux être la plus objective possible afin de retranscrire l’environnement qui régnait avant. On ne peut pas peindre ce que l’on voit car l’appareil photo fausse et distord la réalité. On doit donc retravailler en utilisant différents éclairages et perspectives. Enfin à cette période de ma vie je peux utiliser ce que j’ai appris à l’université en étudiant l’architecture. Jusqu’à présent je n’en avais pas vraiment eu l’utilité mais quand on sait comment construire des perspectives et comment tout cela fonctionne, on peut tricher et jouer avec. »
Elle s’intéresse davantage aux détails, qui peuvent contenir des souvenirs, et c’est pourquoi elle ne peint pas l’intégralité des bâtiments. A travers le coin ébréché d'un bâtiment, de l'herbe sèche dans une cour ou un banc dans une salle d’attente, la ville de Prague apparaît comme ordinaire, tempérée et silencieuse ce qui n’est pas sans rappeler le peintre américain Edward Hopper. Néanmoins l’artiste s’en distingue :
« J’aime énormément Hopper mais je ne pense pas que cette exposition soit similaire à son travail. J’aime beaucoup ses peintures de New York et de ses maisons. Contrairement à lui, il n’y a pas de personnages dans mes peintures car j’ai découvert qu’ils y apportent une histoire. Chez Hopper il y a toujours une histoire apportée par un personnage solitaire assis près d’une fenêtre et regardant dehors. Je ne voulais pas de personnages principaux à mes œuvres, je voulais seulement les bâtiments, l’environnement. Dans cette optique, j’ai enlevé les gens de mes peintures pour que l’atmosphère en soit le thème principal. Durant la crise du coronavirus au printemps dernier, cela est réellement arrivé. C’était magnifique de voir la ville complètement vide lorsque je m’y promenais. J’ai pu voir les bâtiments comme je ne les avais jamais vus auparavant. »
L’exposition « In the City », véritable boîte à souvenirs face à une ville en constante évolution, est à voir au DOX jusqu’à la fin du mois de septembre