Clémence Thioly : « Colette, c’est avant tout une histoire d’amour »

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Les Tchèques la connaissent de « L'ennemi public n°1 : épilogue » ou encore de la série télévisée policière, « Julie Lescault ». Prochainement, on se rappelera de Clémence Thioly pour son rôle principal dans le film Colette, histoire d’amour dans un camp de concentration inspirée d’un roman d’Arnošt Lustig. Radio Prague a rencontré Clémence Thioly à l’occasion de la première tchèque de ce film, qui n’a pas été épargné par les critiques.

Le film Colette s’inspire d’une nouvelle écrite par Arnošt Lustig. Ayant lui-même survécu à plusieurs camps de concentration, le thème de l’holocauste est devenu le sujet de tous ses livres. Colette a été publié en 1992, et fait partie d’une trilogie portant sur le destin de trois femmes pendant la Seconde guerre mondiale. Il n’est pas sans intérêt de noter que dans la cinématographie tchécoslovaque, les premiers films relatant de la Shoah ont été des adaptations des romans de Lustig ; de ce point de vue, Colette s’inscrit dans une continuité d’approche. Parmi ces romans devenus films se trouvent « Transport du paradis » (Transport z ráje, 1963), « Les Diamants de la nuit » (Démanty noci, 1964) ou encore « Une prière pour Kateřina Horowitz » (Modtliba pro Kateřinu Horowitzovou, 1965).

Lustig avait l’habitude de co-écrire ses scénarios, ce qui était également le cas du film Colette, pour lequel il avait choisi le metteur en scène Milan Cieslar. Décédé en février 2011, Lustig n’a pas pu terminer ce travail, dirigé depuis uniquement par Milan Cieslar qui, à son tour, a conçu Colette dans la continuité de ses drames historiques de la période de la Seconde guerre mondiale : « Une source de vie » (Pramen života, 2000) et « Le sang d’un disparu » (Krev zmizelého, 2005).

Radio Prague a réalisé une interview de Clémence Thioly, à laquelle sera consacrée la majeure partie de ce reportage. Nous avons d’abord interrogé l’actrice principale du film sur sa façon de se familiariser avec l’histoire :

Clémence Thioly dans la 'Colette',  photo: Site officiel du film 'Colette'
« J’ai découvert le livre grâce à Milan Cieslar qui m’a parlé de l’histoire. Il n’y avait pas de traduction française, donc je ne pouvais pas le lire. Mais Milan m’a raconté l’histoire et je me suis surtout basée sur le scénario, sur lequel Milan Cieslar a travaillé avec Arnošt Lustig. »

Sans avoir accès à l’ouvrage qui a inspiré le film, Clémence Thioly s’est dûment documentée avant le tournage. Ce travail de préparation relevait pour elle de la responsabilité de l’acteur face à un sujet ayant attrait à une telle période historique :

« J’ai relu trois bouquins qui parlent de cette période, dont un écrit par une amie de ma mère, qui a 87 ans. Elle s’appelle Marceline Loridan-Ivens, elle a été dans le camp et a écrit un livre magnifique qui s’appelle « Ma vie balagan » et raconte vraiment le camp. On peut voir plein de films, mais lire quelqu’un qui a vraiment été là-bas et voir comment ça se passait, c’est encore autre chose. J’ai lu les livres de Primo Levi. J’ai revu « La liste de Schindler », « Shoah », je me suis documentée en images et en histoire pour pouvoir créer une sorte de matière, pour pouvoir imaginer les horreurs de cet époque, parce que quand on joue entre quatre planches du bois et un fond vert, c’est compliqué d’apporter une émotion à d’y croire. Moi et Jirka Mádl, on avait besoin d’y croire. Quand on joue ce genre de rôles ayant un lien avec le passé, en tant qu’acteur on a une responsabilité. On ne peut pas débarquer sur le tournage et dire « c’est facile, je vais faire ça comme ça. » J’avais besoin de plonger dans l’histoire pour imaginer et pour pouvoir interpréter ce que Colette a pu traverser. »

Jiří Mádl comme Vily Feld,  photo: Site officiel du film 'Colette'
Au cœur de l’histoire se trouve une relation amoureuse entre Colette (Clémence Thioly) et Vily Feld (Jiří Mádl). Contrairement au roman, centré principalement sur la personne de Colette, Milan Cieslar renverse la perspective et se concentre davantage sur le personnage de Vily et réduit ainsi l’espace accordé au personnage féminin principal. Dès lors, le film ne parvient que difficilement à atteindre l’intimité de Colette et se limite à en faire l’objet de désir des deux hommes qui, chacun de différente manière, l’aident à survivre dans le camp. Vily, son amoureux, est lui-même prisonnier. Weisecker, chef du camp, en fait son esclave sexuelle, contrairement au livre où Colette entretient des contacts physiques avec plusieurs des nazis du camp pour survivre. Ce changement substantiel permet à l’histoire d’amour de dominer la ligne de narration avec peu de nuances. Clémence Thioly ajoute sa perspective sur le résultat final :

« Pour moi, c’est une histoire d’amour avant tout. Après la toile de fond, la guerre, le camp de concentration, c’est une seconde chose, mais avant tout c’est une histoire d’amour et ça parle de l’espoir. »

En s’intéressant aux différents personnages, il est d’abord frappant de voir à quel point le personnage de Vily est sans failles. Il a un caractère parfait et, même dans un contexte extrême, il parvient à ne pas se compromettre. Colette, elle, est un personnage plus plastique qui a des moments de faiblesse. Sa protagoniste la conçoit ainsi :

Photo: Site officiel du film 'Colette'
« C’est une jeune femme très courageuse, lumineuse aussi. Après, elle vit bien sûr des moments de désespoir parce que ce n’est pas toujours simple, mais c’est une battante et je pense qu’à cette époque-là pour s’en sortir il fallait être battant et courageux. Mais elle a aussi des moments de désespoir et de faiblesse comme nous tous. Colette n’est pas un super-héro, c’est une femme qui essaie de vivre, mais il y a des moments où elle n’y croit plus. »

Enfin, le troisième personnage principal, Weisecker (Eric Bauwer), est lui un chef de camp presque caricatural par sa brutalité, sa violence et son apologie omniprésente de l’idéologie nazie. Mais à au moins deux reprises, il sort du prévisible. Clémence Thioly décrit un de ces moments :

« Il a un fond encore humain à certains endroits. Après je pense que c’était comme un lavage de cerveaux ce que Hitler disait aux nazis. Pour eux, les Juifs n’étaient plus des humains, ils avaient des œillères et pour eux c’étaient comme écraser une mouche. Mais parfois il a des sursauts de conscience quand il se dit par exemple « non, Colette, je ne vais pas la faire stériliser ». Drôle de geste, je ne sais pas pourquoi d’ailleurs. Est-ce parce que la stérilisation revient à annihiler la femme au plus haut degré, parce que la femme est d’abord faite pour enfanter ? Je ne sais pas, il faudrait demander à Arnošt Lustig. »

Ecoutons maintenant Clémence Thioly qui se rappelle des scènes qui ont été, pour elle, les plus difficiles au moment du tournage :

Photo: Site officiel du film 'Colette'
« Les moments qui m’ont demandé le plus émotionnellement, c’était la scène d’accouchement qu’on a tournée à Bratislava. C’était ma première journée de tournage, et je devais être en larmes, je poussais, je ne voulais pas de ce bébé… C’est la scène qu’on voit à la fin de ce film et c’était ma première journée de tournage, la première fois que j’étais sur le plateau avec Milan, le réalisateur. C’était particulier et fatiguant de donner, de recommencer à plusieurs reprises avec cette émotion-là pour essayer de la garder, et que ce soit juste. C’est toujours pareil, vous le public vous voyez un tout petit bout de ce que nous on fait. Donc nous, on donne beaucoup pour qu’il y ait de la matière, et après le réalisateur coupe et prend juste de ce qu’il a besoin. Mon rapport avec Milan sur cette scène là, c’était rigolo, mais ça s’est très bien passé, j’ai juste fait une bonne nuit derrière. »

Pour des raisons pratiques, la première rencontre entre l’actrice française et le metteur en scène tchèque sur le plateau s’est déroulée dans un hôpital à Bratislava. Pour les mêmes raisons, sa rencontre avec Eric Bauwer, l’acteur allemand qui jouait Weisecker, s’est aussi faite pendant une scène tendue :

« L’autre scène particulière, c’était les scènes d’intimité avec Eric Bouwer, l’acteur allemand qui joue Weisacker, c’est comme un viol en fait, et on a commencé par cette scène-là alors qu’on avait jamais tourné ensemble encore. Et moi je ne voulais pas lui adresser la parole en lui disant « Tant qu’on n’a pas tourné je te parle pas, je te déteste, ne m’adresse pas la parole. » Nos personnages sont antagonistes, c’est-à-dire que lui est dans un rapport amour-haine avec Colette mais elle le repousse. Ils ne peuvent pas être amis, elle ne peut pas avoir des désirs pour lui, c’était impossible. Mais donc il y avait cette scène de lit où on était nus et on ne se connaissait pas donc c’était particulier et je lui ai dit « Don’t talk to me ». Et puis on a fait la scène, ça s’est très bien passé, on est allé boire un verre d’eau pendant qu’ils préparaient une autre scène et on est devenu super copains. »

Clémence Thioly résume la particularité de son rôle :

Photo: Site officiel du film 'Colette'
« J’ai jamais joué un personnage qui vit des choses aussi dures, qui est à ce point-là proche de la mort et qui essaie de rester débout, vivant. C’est un personnage dans une situation extrême et ça je n’avais jamais joué. On aime tester des choses quand on est acteur. Si on joue toujours une secrétaire, on ne teste pas grande chose, donc là c’était une chose de pouvoir sentir d’autres émotions. »

Avant de conclure ce bref aperçu sur le film Colette à travers les yeux de Clémence Thioly, faisons état des critiques que le film a reçues depuis sa première le 14 septembre. En grande majorité, les critiques n’en tirent pas un bilan très positif. En premier lieu, la mauvaise gestion du multilinguisme est reprochée aux réalisateurs du film avec un budget de 4 millions d’euros. Pour des possibles complications techniques avec différents sous titres, les réalisateurs ont écarté l’option que chaque groupe linguistique préserve sa langue. De plus, après le tournage, entièrement fait en anglais, la version dans les cinémas tchèques est doublée. Le français de Clémence Thioly, ni d’ailleurs son anglais, ne parviendra donc jamais aux oreilles des spectateurs. A plusieurs moments, le doublage revient même à un mauvais travail et semble avant tout trop artificiel.

Le film ne parvient pas à complexifier le caractère des personnages principaux ni d’ailleurs des rôles secondaires. Il est bâti sur des contrastes simples non problématisés. De la même manière, la tension et l’horreur des scènes quotidiennes du camp deviennent des coulisses non exploitées.

Photo: Site officiel du film 'Colette'
La litanie des imperfections serait longue si on voulait aborder tous les points, mais notons, avec les mots de Pavlína Žipková du site idnes.cz que : « Le film de Milan Cieslar parvient néanmoins à démontrer la fragilité de la vie et le rôle déterminant du hasard dans l’existence humaine. »

Et pour terminer sur une note plus positive, la parole est à Clémence Thioly qui se rappelle de la collaboration avec son partenaire de l’écran de cinéma, Jiří Mádl et avec toute l’équipe tchèque :

« Jirka, c’est un super personnage. J’ai fait des essais avec plusieurs acteurs tchèques avant que ce soit lui qui soit choisi, et je l’ai aimé lui parce qu’il était le plus drôle. Il a une nature chouette et amicale. Nos rapports étaient aussi très simples. On était amoureux dans l’histoire mais on dehors du plateau, il était comme mon frère. C’était très agréable. Il est un acteur facile, il ne se prend pas la tête, il n’est pas compliqué ou caractériel. D’ailleurs quand je suis revenue pour la promo, on s’est revus, on est sortis avec des gens de l’équipe, parce qu’on a gardé contact avec le premier assistant et la deuxième assistante. J’ai adoré l’équipe tchèque de toute manière que ce soit les acteurs, l’équipe, les cameramen, c’était vraiment une belle expérience. »