Décès d’Arnošt Lustig, celui qui écrivait sur l’Holocauste « autrement »
« Tout ce que vit un écrivain est utile », affirmait Arnošt Lustig, un des meilleurs écrivains tchèques du XXe siècle et également journaliste, dans une dernière interview accordée à la presse en janvier. Atteint d’un cancer depuis cinq ans, il est décédé samedi dernier à Prague, à l’âge de 84 ans. Arnošt Lustig a publié une trentaine d’ouvrages qui ont un thème unique : l’Holocauste, dont il était lui-même rescapé.
« J’ai survécu, car j’ai pu rejoindre ceux qui étaient capables de travailler. Mon père, qui portait des lunettes, est allé directement dans une chambre à gaz », se souvenait-il de la sélection des prisonniers, effectuée par Mengele à Auschwitz.
En avril 1945, Arnost Lustig réussit à prendre la fuite d’un transport de la mort vers le camp de Dachau. Après la Libération, il décide, selon ses amis, de « vivre heureux », de profiter de chaque instant. Il se lance dans des études politiques et sociales, travaille pour la presse écrite, collabore à Radio Prague et, comme beaucoup d’autres, il succombe à l’idée du communisme. En 1948, il couvre, en tant que correspondant d'un journal pragois en Israël, la guerre israélo-arabe.Treize ans après la guerre, Arnošt Lustig publie son premier recueil de poèmes, « La Nuit et l’Espoir ». Suivent alors, à la charnière des années 1950 et 1960, ses ouvrages peut-être les plus appréciés et adaptés au cinéma : « Diamants de la Nuit », « Dita Saxová » ou encore « Prière pour Kateřina Horovitzová ». Si Arnošt Lustig a décidé d’écrire sur son expérience de la Shoah, c’est parce que, paraît-il, les gens n’ont pas cru à ce qu’il avait vécu dans les camps nazis. Il l’a décrit d’une manière nouvelle, avec une écriture « ascétique » et en confrontant des personnes à priori faibles, des femmes, des vieux et des jeunes, à des situations extrêmes qui mobilisent leur force intérieure.
En 1968, Arnošt Lustig s’exile avec sa famille d’abord en Yougoslavie, puis en Israël et ensuite aux Etats-Unis où il devient professeur d’université. Après la chute du régime totalitaire, il revient dans son pays, donne des cours d’écriture et des conférences, retravaille, complète et réédite l’ensemble de son œuvre dont le public tchèque est avide.
Le poète, musicien, traducteur et président du PEN Club tchèque, Jiří Dědeček, a rencontré Arnošt Lustig pour la première fois à l’occasion d’un concert-lecture organisé par le Centre Franz Kafka de Prague. Il se souvient :« Il m’a tout de suite proposé que l’on se tutoie. Je me souviens avoir été fasciné par son immense énergie, son activité, sa ‘vivacité’. Pour moi, il a fait figure d’exemple dans sa façon de combattre sa maladie et les difficultés de l’âge. Malgré cela, il continuait d’écrire, de s’amuser, de plaisanter à chaque occasion. C’était quelqu’un de très convivial, un véritable copain, comme disent les Français. Serge Gainsbourg a dit qu’il voulait mourir vivant. Eh bien, c’était le cas d’Arnošt Lustig. »
Qu’est-ce que vous appréciez particulièrement dans les écrits d’Arnošt Lustig, dans son style ?
« Il était d’abord très simple. La simplicité est rare aujourd’hui. Un autre écrivain tchèque écrit d’une manière semblable : Ivan Klíma. D’ailleurs, les deux hommes ont aussi en commun d’avoir vécu leur jeunesse dans les camps de concentration. Alors j’apprécie surtout cette simplicité et la force du message. »Connu dans le monde entier, Arnošt Lustig a récemment été traduit pour la première fois en français. Les Editions Galaade ont publié son roman « Elle avait les yeux verts ».
Retour sur l’œuvre d’Arnošt Lustig le samedi 5 mars dans les Rencontres littéraires de Radio Prague.