Coronavirus : le gouvernement critiqué pour une campagne sur les réseaux sociaux
Entre campagne de sensibilisation et communication politique, la limite est ténue. Le gouvernement tchèque et la poignée d’influenceurs engagés pour une campagne d’information sur la crise sanitaire l’ont appris à leurs dépens.
Tout commence jeudi 28 janvier, avec une vidéo.
On y voit une jeune femme déambuler dans les couloirs du siège du gouvernement façon visite privée. Plus loin, un jeune homme en décrit les extérieurs. « Et là-bas, c’est la fenêtre du bureau du Premier ministre », expliquent-ils.
En dépit des apparences, les deux visiteurs ne sont pas des touristes. Leur métier consiste à créer du contenu sur Instagram, Youtube ou encore TikTok, le plus souvent en partenariat avec des marques, qui les rémunèrent pour faire la promotion de certains produits auprès de leur communauté – d’où le titre « d’influenceurs ». La jeune femme s’appelle Anna Šulcová, elle est suivie par un demi-million de personnes sur Youtube, et plus de 800 000 sur Instagram. Son acolyte s’appelle Jakub Gulab. Il a 22 ans et se décrit comme un « influenceur, spécialiste de contenu, conseiller en marketing indépendant ».
Dans le cadre de cette campagne dans laquelle ils font figure de relai auprès de leur public, ils répondent à une commande du gouvernement tchèque. Sept très courtes capsules ont été postées sur le réseau social TikTok. En dix secondes à peine, un influenceur pose une question à un médecin sur le coronavirus. L’objectif défendu par le gouvernement : lutter contre les fausses informations qui circulent autour du virus. Parmi les experts interrogés figurent l’actuel et l’ancien ministre de la Santé, respectivement Jan Blatný et Roman Prymula.
Le retour de bâton suite à l’annonce de cette campagne a été cinglant : de nombreux Tchèques se sont dits choqués par le mode de communication choisi et le coût de l’opération, 500 000 couronnes (environ 20 000 euros). Selon le gouvernement, cet argent ne sert pas à rémunérer les créateurs de contenus qui se disent tous deux bénévoles dans l’affaire, mais doit servir à acheter des espaces publicitaires sur Instagram, Youtube et TikTok de manière à mettre en avant les vidéos.
Le youtubeur aux 800 000 abonnés surnommé Kovy – qui ne participe pas à la campagne - a fait part de son mécontentement dans un message ironique posté sur Twitter :
« Pardon, cela fait huit ans que je m’efforce de ne pas m’exprimer sur ce genre de choses, mais il faut être à côté de la plaque pour consacrer 500 000 couronnes issues des finances publiques pour une campagne en faveur du gouvernement sur TikTok. Surtout en ce moment, quand l’Etat s’endette pour plusieurs décennies. C’est merveilleux de découvrir ce que l’on fait de nos impôts. »
Autre zone d’ombre, comme le rapporte le site d’information HlídacíPes.org, le gouvernement a versé le demi-million de couronnes en question à une société créée en novembre dernier par l’influenceur Jakub Gulab. Car si celui-ci n’est pas rémunéré pour la création des vidéos, ne le sera-t-il pas en revanche via le travail de sa société pour diffuser massivement ces vidéos ? Autre question légitime que les critiques se posent : pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas payé directement lui-même les publicités ?
La création d’un compte gouvernemental sur TikTok a également suscité de nombreuses critiques, car ce réseau social plus particulièrement prisé par un très jeune public appartient à une société chinoise.
Face à la polémique, Jakub Gulab, qui se défend en affirmant avoir voulu rendre service au gouvernement en ces temps difficiles et que sa démarche partait d’une bonne intention. Il a réagi sur les réseaux sociaux vendredi dernier :
« Nous avons été très déçus de voir les réactions qu’a suscitées notre offre d’aide et c’est pourquoi nous avons décidé de refuser le soutien médiatique. Nous n’utiliserons que la visibilité organique, l’argent pour le financement d’espaces publicitaires ne sera pas dépensé. »
A défaut de devenir virales, ces vidéos connaissent un début relativement timide sur TikTok. Ce mercredi, le compte « Strakovka », du nom du siège du gouvernement, n’était encore suivi que par environ 16 500 utilisateurs. Pas exactement donc une campagne de promotion à succès.