Corruption : les députés votent la limitation des titres financiers anonymes
160 députés sur les 162 présents à la Chambre basse ont accepté mardi une proposition visant à limiter l’usage des « actions anonymes », lesquelles permettent de dissimuler le nom des propriétaires de titres financiers. Grâce à cette belle entente entre parlementaires de la majorité et de l’opposition, la République tchèque va quitter le prestigieux trio de pays, comprenant également les Îles Marshall et Nauru, qui acceptent un système très utile pour détourner ou blanchir de l’argent.
En République tchèque, un système de propriété capitaliste unique en Europe permet en effet aux détenteurs d’actions de rester complètement anonymes, sans possibilité de les tracer. Ces actions au porteur sur certificat ne sont en effet pas enregistrées mais ne souffrent aucune restriction, en matière d’accès aux commandes publiques par exemple. La proposition du gouvernement visait donc tout simplement à mettre fin à cette situation. Et avec le soutien de l’opposition sociale-démocrate, elle a pu être adoptée sans difficulté. Du côté de la Chambre de commerce, cette étape est accueillie avec certaines réserves. Petr Kužel, son président, craint notamment que son application entraîne quelques complications :
« La suppression des titres anonymes n’est pas exactement la panacée car il y a près de 16 000 entreprises fonctionnant avec ces actions en République tchèque et il m’apparaît que les sociétés et les notaires ne disposeront en tout et pour tout que de six mois pour appliquer ce changement, ce qui risque de mener à un grand chaos. »Les propriétaires d’actions devront désormais s’enregistrer auprès d’une instance compétente. Leur nom ne sera pas dévoilé pour autant au public, mais la police et les magistrats pourront y avoir accès dans le cadre de leurs investigations.
Par ailleurs, la belle unanimité obtenue par la proposition de loi à la Chambre des députés cache les débats parfois vigoureux qui ont animé le parti civique démocrate (ODS). Le matin du vote une majorité de parlementaires de la principale formation de la coalition gouvernementale exprimaient en effet de vives critiques contre le texte et menaçaient de s’y opposer. La fronde, menée entre autres par le député Pavel Suchánek, visait à préserver l’usage des actions anonymes et éventuellement à le limiter à certains aspects. On l’écoute :
« Il n’y a pas de différence majeure entre ma position et le projet de loi. Je suis d’accord quand des entreprises veulent recevoir ne serait-ce qu’une couronne de la part de l’Etat. Mais pour les sociétés qui commercent entre elles, nous aurions dû les laisser vivre selon la loi telle qu’elle était jusqu’à présent. »En d’autres termes, ces députés souhaitaient que seules les entreprises sollicitant des deniers publiques ne puissent pas bénéficier du régime des actions anonymes, comme cela se fait dans certains pays européens tels que le Royaume-Uni ou le Luxembourg. Ils considèrent que le gouvernement a soutenu une proposition populiste, à l’instar de l’infatigable Václav Klaus, président de la République en fin de mandat, qui estime que la corruption s’adaptera sans peine à ce changement :
« La corruption est un phénomène qui, malheureusement, accompagne l’humanité depuis 2 000 ans. Et il s’est révélé que chacune de ces démarches en apparence futées et réfléchies se sont retournées principalement contre ceux qui les ont entreprises car de l’autre côté, on sait se transformer très rapidement et faire que les choses soient totalement différentes. » L’étude zIndex, menée sur les commandes publiques entre 2006 et 2010 par des chercheurs de l’Université Charles, a montré que les sociétés dont les propriétaires étaient inconnus ont bénéficié de 18 milliards de couronnes sur fonds publics. Les commanditaires étaient le plus souvent Lesy ČR, la société qui gère les forêts du pays, la Direction des routes et autoroutes ou encore la région d’Ústí nad Labem. Selon la même étude, les firmes à actions anonymes généraient en moyenne bien plus de profits que les autres lors de ce type de contrat.