Coupe Davis : elle est enfin à eux !

Photo: CTK

Trente-deux ans après l’unique victoire de la Tchécoslovaquie d’Ivan Lendl, l’équipe de République tchèque de tennis a de nouveau remporté la Coupe Davis, la première toutefois depuis l’indépendance du pays. Tomáš Berdych et Radek Štěpánek, le héros du week-end, ont battu l’Espagne, tenante du titre, (3-2). A Prague, devant leur public, les Tchèques ne pouvaient sans doute pas rêver plus beau scénario : au bout du suspense et de la centième finale de la compétition, ils ont décroché le Saladier d’Argent grâce à la victoire de Radek Štěpánek aux dépens de Nicolas Almagro dans le cinquième match décisif. Reportage.

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« La République tchèque est un très beau vainqueur. Tomáš Berdych et Radek Štěpánek sont deux formidables joueurs. Et puis je trouve que c’est une victoire morale pour deux raisons. La première, c’est que c’est quand même la victoire de mecs qui jouent depuis des années la Coupe Davis systématiquement, sans se poser la question, comme certaines stars du jeu, de leur carrière personnelle. C’est donc la victoire de la persévérance, et c’est bien, de deux mecs qui attachent beaucoup d’importance symbolique et affective à cette épreuve, et c’est très beau. Et puis c’est aussi une victoire morale, parce que je pense que sur une surface de jeu comme celle-là, il faut attaquer. Et lors des cinq matchs de ce week-end, ce sont les joueurs qui ont attaqué qui ont gagné. C’est donc la victoire de l’attaque et de l’offensive, et ça aussi, c’est très beau ! »

Ces mots sont ceux de Vincent Cognet, envoyé spécial de L’Equipe. Ils résument à la fois le déroulement d’une finale indécise jusqu’à dimanche soir, mais aussi l’histoire commune de Tomáš Berdych et Radek Štěpánek entamée en septembre 2007 dans la même salle à Prague. A l’époque, après une victoire en barrage contre la Suisse, Radio Prague avait titré : « Les Tchèques sont venus à bout de Federer et rêvent du Saladier d’argent » (http://www.radio.cz/fr/rubrique/sport/). Cinq ans plus tard, ce rêve un peu fou de deux joueurs qui n’ont depuis jamais cessé de porter ensemble leur équipe à bout de bras, est donc devenu réalité. Une fois la coupe remise et les officialités achevées, l’équipe tchèque, seule sur le court, a donc pu reprendre avec le public resté dans les gradins ce qui était devenu son hymne officieux : « My tu mísu stejně vyhrajem, stejně vyhrajem ! » - « Ce saladier, de toute façon nous le gagnerons, nous le gagnerons ! ».

Ivo Minář,  Lukáš Rosol,  Radek Štěpánek,  Tomáš Berdych et Jaroslav Navrátil,  photo: CTK
Le vouloir et le clamer haut et fort était toutefois une chose. Le faire en était une autre. Berdych et Štěpánek y sont parvenus et leur victoire ne souffre d’aucun doute. Bravo donc à eux ! Leur parcours pour en arriver jusque-là, jusqu’au plus haut sommet de la planète tennis, a été parsemé d’embûches, que ce soit contre l’Espagne, contre l’Argentine chez elle en demie ou contre la Serbie même privée de Novak Djokovic en quart de finale. Néanmoins, sans leur retirer le moindre mérite ni même jeter le moindre voile d’ombre sur leur triomphe, il faut constater que les Tchèques ont su tirer pleinement profit des conditions qui étaient réunies pour cette finale : avantage du terrain, choix de la surface, soutien du public, état de forme de leurs deux joueurs et, peut-être encore plus que tout, absence de Rafael Nadal dans le camp espagnol.

David Ferrer,  photo: CTK
Car au vu du formidable niveau de jeu proposé tout au long du week-end par David Ferrer, vainqueur de ses deux matchs de simple en trois sets tant contre Štěpánek vendredi (6-3, 6-4, 6-4) que contre Berdych dimanche (6-2, 6-3, 7-5), on peut légitimement penser qu’avec un Nadal à son niveau habituel dans ses rangs, l’Espagne aurait probablement été un adversaire trop fort pour la République tchèque et n’aurait pas abandonné son titre à Prague. Seulement voilà (faut-il encore le rappeler ?), quelles que soient leurs raisons, les absents ont toujours tort, même quand ils appellent Nadal. Et les Tchèques, tant Berdych vendredi lors de sa difficile victoire en cinq sets contre Nicolas Almagro (6-3, 3-6, 6-3, 6-7, 6-3), qui a permis à son équipe de recoller à un point partout, que Štěpánek dimanche lors de sa démonstration contre le même Almagro dans le cinquième match décisif (6-4, 7-6, 3-6, 6-3), ont, eux, répondu présent.

Tomáš Berdych,  photo: CTK
Si le succès de Berdych contre Almagro était attendu, tout comme celui en double samedi était fortement espéré (3-6, 7-5, 7-5, 6-3 contre la paire Marcel Granollers et Marc Lopez), celui de Štěpánek, en revanche, l’était nettement moins. Mais dans un match qui restera gravé comme l’un des plus intenses dans l’histoire du tennis tchèque, le joueur souvent qualifié de fantasque a été fantastique. On aime ou pas le personnage au comportement atypique, mais le joueur Štěpánek, dans un contexte pourtant pas évident à gérer avec l’attente du public et le poids de l’enjeu, a été remarquable dans son approche de la rencontre et sa maîtrise de celle-ci. Radek Štěpánek :

Radek Štěpánek,  photo: CTK
« Ce match s’est joué sous la plus grande pression qui puisse être, même si dans la tête, je m’étais préparé en me disant que c’était un match que je voulais gagner en étant fidèle à mon jeu et en étant agressif. Je savais que j’avais les armes pour gêner Nicolas Almagro. Avec mon entraîneur, nous avions décidé d’une certaine tactique que je me suis efforcé de respecter sur le court. J’avais aussi tiré quelques enseignements du match de Nicolas contre Tomáš vendredi. Mais vous savez, dans ces moments-là en Coupe Davis, ce n’est plus tellement une question de tactique, de coup droit ou de revers. L’essentiel est de rester calme et concentré. Il faut savoir faire abstraction de l’ambiance ou au contraire s’en servir. Ce qu’il faut d’abord, c’est avoir la rage de vaincre, et je pense que j’avais tout cela avec moi aujourd’hui. »

Pour Vincent Cognet, l’ascendant tant tactique que technique et mental très vite pris par Štěpánek sur Almagro dans le cinquième match a constitué une vraie surprise. Avant cela, le déroulement de la finale avait en effet répondu à la plupart des attentes et des pronostics des observateurs. Le journaliste de L’Equipe explique pourquoi :

Nicolas Almagro,  photo: CTK
« Je dirais que les quatre premiers résultats sont très logiques. La surprise vient du fait que Štěpánek batte Almagro dans le cinquième match décisif, notamment après ce que l’on avait vu de leurs prestations de vendredi. Almagro avait été très bon et très bien contre Berdych, tandis que Štěpánek n’avait tout simplement pas existé contre Ferrer. Il y avait aussi la différence de classement entre les deux joueurs : Almagro est 11e mondial et Štěpánek 37e. Almagro avait eu un jour de repos samedi et pas Štěpánek qui a joué le double. L’âge de Štěpánek… Enfin, tout concourrait a priori à ce qu’Almagro, a fortiori sur la distance d’un match en cinq sets, batte Štěpánek. Et puis c’est l’inverse qui est arrivé. »

Avec un style de jeu d’un autre millénaire, avec ses service-volée, ses montées au filet à contretemps, son toucher de balle et ses changements de rythme, Radek Štěpánek, transcendé par le soutien du public, a construit sa victoire point après point et ruiné moralement son adversaire espagnol coup après coup. Mais pour Vincent Cognet et son œil neutre de spécialiste de l’élite du tennis mondial, le Tchèque peut aussi remercier Almagro de lui avoir laissé tant de liberté pour s’exprimer :

Radek Štěpánek,  photo: CTK
« Ce qui m’a déjà surpris, c’est la stupidité d’Almagro, qui a quand même passé l’immense majorité du match deux ou trois mètres derrière la ligne de fond de court à ne quasiment rien tenter. Cela a permis à Štěpánek de développer idéalement son jeu. Après, c’est toujours la même histoire : Štěpánek gagne le premier set et commence à prendre confiance. Il y a l’adrénaline, le public… Au final, Štěpánek a fait un des matchs de sa vie, peut-être pas en termes de qualité, mais en termes d’intentions de jeu et du brin de folie qu’il a mis sur le court. Mais encore une fois, c’est aussi dû à l’incroyable bêtise d’Almagro. »

Vous avez évoqué la différence d’âge entre les deux joueurs. Or, qui dit différence d’âge dit aussi dit aussi expérience plus ou moins grande et approche différente des événements. Štěpánek n’en était pas à son premier match décisif en Coupe Davis et c’est peut-être un élément qui a aussi joué, non ?

Photo: Daniel Ordóñez
« Non, je vais être très rude, mais je pense que le problème d’Almagro, c’est qu’il a un bras extraordinaire, puis il y a des choses qui lui manquent. Notamment entre les deux oreilles. Jouer un match comme ça, sur une surface aussi rapide, contre un joueur dont on sait à l’avance qu’il va vous agresser, essayer de monter au filet et de vous empêcher de développer votre jeu… Le truc de base, c’est justement de ne pas lui permettre de jouer son jeu. Or, Almagro n’a strictement rien fait pour cela et gêner Štěpánek. »

Finalement, n’est-ce pas ce cinquième match qui a constitué le véritable tournant de la finale ? Avant celle-ci on avait parlé du double… Il y a eu aussi la victoire en cinq sets de Berdych contre ce même Almagro vendredi ; une victoire-clef parce que s’il avait perdu, ça aurait fait deux points à zéro pour l’ESpagne et la finale aurait déjà été pratiquement pliée…

« Non, ce cinquième match a bien été le tournant de la finale dans le sens où les quatre premiers résultats ont été extrêmement logiques. C’étaient les quatre résultats attendus. Mais beaucoup pariaient sur une victoire d’Almagro sur Štěpánek dans le cinquième match. Or, c’est exactement l’inverse qui est arrivé. Donc, oui, ce match est véritablement le tournant de la rencontre. »

Ivo Minář,  Lukáš Rosol,  Radek Štěpánek,  Tomáš Berdych et Jaroslav Navrátil,  photo: CTK
Comme il y deux semaines lors de la victoire en Fed Cup, où Lucie Šafářová était sortie de l’ombre de Petra Kvitová pour offrir un deuxième trophée de suite à la République tchèque, c’est cette fois Radek Štěpánek qui a endossé l’habit de lumière pour devenir le héros de la finale. Mais cela ne doit pas faire oublier que sans Tomáš Berdych, vainqueur cette saison de dix de ses onze matchs en Coupe Davis, les Tchèques ne seraient jamais arrivés en finale. Une preuve que le tennis est bien lui aussi parfois un sport d’équipe. Mais ça, les deux hommes le savaient depuis le début de leur aventure et une victoire contre la Suisse d’un certain Roger Federer qui, depuis, se plaît, lui, le plus souvent à bouder la Coupe Davis.