D’anciens dirigeants communistes tchécoslovaques face à la justice allemande

Foto: Jan Rosenauer, Archiv des Tschechischen Rundfunks

Soixante-sept Tchèques et Slovaques sont poursuivis par la justice allemande pour le meurtre de cinq ressortissants allemands tentant de franchir la frontière tchécoslovaque à l’époque communiste. Parmi eux, on trouve notamment l’ancien chef du Parti communiste tchécoslovaque Milouš Jakeš et les anciens premiers ministres de la Tchécoslovaquie Lubomír Štrougal et de la République socialiste slovaque Peter Colotka. La plainte a été déposée par la Plateforme pour la mémoire et la conscience européenne.

Neela Winkelmann-Heyrovská,  photo: Martina Schneibergová
Selon la directrice de l’organisation, Neela Winkelmann-Heyrovská, la petite fille du premier prix Nobel tchèque Jaroslav Heyrovský, la Plateforme s’est adressée au procureur allemand, Peter Frank, en raison des efforts infructueux en République tchèque pour faire condamner les personnes responsables de la mort d’au moins 246 émigrés tentant de franchir les frontières tchéco-autrichienne et tchéco-allemande et de fuir ainsi la Tchécoslovaquie communiste. Neela Winkelmann-Heyrovská poursuit en indiquant qu’à l’exception de quatre garde-frontières, personne n’a jamais été puni :

« Il n’y a absolument pas de volonté de juger ces crimes. L’un des symptômes de ce manque de volonté est que ces crimes sont qualifiés comme prescrits, ce qui est en contradiction avec la réalité car les homicides aux frontières sont considérés comme un crime contre l’humanité. Et selon le droit international, qui était valable même dans la Tchécoslovaquie communiste de l’époque, ce type de crime est imprescriptible. »

Milouš Jakeš,  photo: ČT24
Pour obtenir la justice pour au moins quelques-unes des victimes, la Plateforme pour la mémoire et la conscience européenne a donc décidé de contacter un bureau d’avocat berlinois et de porter plainte en Allemagne, en se concentrant sur le cas de cinq ressortissants allemands tués à la frontière tchécoslovaque. Neela Winkelmann-Heyrovská :

« En Allemagne, on poursuivait en justice tous les garde-frontières responsables de meurtres aux frontières allemandes. Les procès se sont achevés, après environ quinze ans, en 2004, et près de 150 personnes ont été condamnées. Nous nous inspirons donc du modèle allemand et nous voulons qu’il soit appliqué également sur les Allemands tués à l’étranger. »

Photo: Jan Rosenauer,  ČRo
La mort de trois des victimes allemandes en Tchécoslovaquie est restée complètement impunie. Il s’agit de Hartmut Tautz, qui a été tué, il y a trente ans de cela, par des chiens de garde près de la ville de Bratislava, de Gerhard Schmidt, abattu côté bavarois pendant sa fuite, ou de Kurt Hoffmeister, fusillé non loin de la ville de Domažlice en Bohême de l’Est. Quant aux tueurs de Richard Schlenz, abattu en 1967 par le garde-frontière Josef Mlčoušek après avoir franchi à la nage le Danube au niveau de la commune de Devín en Slovaquie, et de Johann Dick, fusillé en 1986 sur le territoire allemand par les garde-frontières tchécoslovaques, ils ont été condamnés à des peines modérées. C’est ce triste bilan qu’essaie donc de changer la Plateforme en s’adressant à la justice allemande. Mais quel rôle jouaient dans tout cela les dirigeants communistes ? Neela Winkelmann-Heyrovská explique :

« Nous avons documenté que le Politburo du Comité central du Parti communiste tchécoslovaque s’était engagé de manière considérable dans le système de protection des frontières de l’Etat. Il supervisait le ministre de l’Intérieur qui commandait le chef des garde-frontières qui dirigeait lui-même les brigadiers généraux… Il y avait donc une hiérarchie précise. De plus, on a également documenté que les dirigeants du Comité central du Parti savaient que les gens ont été tués suite à leurs décisions. Mais ils n’ont pris aucune mesure pour changer cette réalité. Au contraire, ils ont adopté des mesures visant à renforcer le régime et à empêcher aux émigrés de franchir la frontière. »

D’après Neela Winkelmann-Heyrovská, ce type de plainte est toutefois entièrement nouveau :

« Nous essayons de créer une jurisprudence. Nous appuyons notre plainte sur l’expertise du plus grand spécialiste dans le domaine du droit pénal international en Allemagne, le professeur Albin Eser, l’ancien juge du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et directeur émérite de l’Institut Max-Planck de droit pénal international à Fribourg-en-Brisgau. Nous essayons donc de tester cette nouvelle voie sur les organes de la justice allemande. Il est pour nous très encourageant que ceux-ci travaillent assez vite. Nous allons donc savoir d’ici quelques semaines s’il y aura d’autres démarches et éventuellement lesquelles. »

Pourtant, l’affaire ne se terminera pas si facilement. Si les autorités en question reconnaissent la légitimité de cette plainte, la République tchèque devrait se poser une nouvelle question : extrader ou non les accusés tchèques vers l’Allemagne ?