Trois anciens dirigeants communistes rattrapés par la justice
Trois anciens dirigeants communistes vont être poursuivis en justice : Miloš Jakeš, Lubomír Štrougal et Vratislav Vajnar, tous âgés en moyenne de 90 ans voire plus, sont accusés d’abus de pouvoir en ayant autorisé avant 1989 l’usage d’armes à feu aux gardes-frontières, chargés d’empêcher les personnes de fuir la Tchécoslovaquie en franchissant le rideau de fer.
L’annonce, mardi, du lancement de poursuites judiciaires contre l’ancien secrétaire général du Parti communiste tchécoslovaque Miloš Jakeš, l’ancien Premier ministre Lubomír Štrougal et l’ancien ministre de l’Intérieur Vratislav Vajnar par l’Office de documentation et d’enquête sur les crimes du communisme (ÚDV) pourra, peut-être, en partie répondre au besoin de justice exprimé par une certaine partie de la population. Pour certains, comme Neela Winkelmannová, co-auteure de la plainte déposée il y a de cela deux ans, cette décision est un tournant, même si elle reste insuffisante :
« A l’origine, nous avions identifié 67 hommes. Je pense qu’une cinquantaine est encore en vie aujourd’hui. Le fait que seuls trois personnes soient poursuivies en justice, c’est beaucoup trop peu à mes yeux. Ils sont pleinement responsables du système mis en place pour surveiller les frontières et du blanc-seing donné aux gardes-frontières de tirer sur des civils. Pour nous, désormais, le plus important c’est qu’il y ait un procès et qu’il y ait un verdict qui reconnaisse que c’était mal. »A l’origine de cette plainte, la Plateforme pour la mémoire et la conscience européenne qui, il y a deux ans, s’est adressée à la justice bavaroise qui enquête sur d’anciens membres du Comité central du Parti communiste tchécoslovaque ainsi que d’anciens gardes-frontières, soupçonnés d’avoir assassiné quatre citoyens de la RDA tentant de fuir en Autriche et en RFA.
Pour le directeur de la Plateforme, Peter Rendek, les procès qui ont vu la condamnation dans les années 1990 de plusieurs anciens dirigeants communistes de la RDA ont été une source d’inspiration :
« Ce projet a été lancé en 2014. Petit à petit, nous collectons et documentons différents cas de personnes qui ont été tuées aux frontières. Nous avons mis sur pied une équipe internationale de juristes qui ont examiné ces cas que nous considérons comme des crimes contre l’humanité. »
Aujourd’hui, donc, la justice tchèque s’est saisie du dossier. L’Office de documentation et d’enquête sur les crimes du communisme (ÚDV) est un département de la Police tchèque chargé d’enquêter sur les crimes commis pour des motifs politiques en Tchécoslovaquie entre 1948 et 1989. Cette autorité accuse les trois anciens hauts fonctionnaires du régime communiste d’avoir abusé de leur pouvoir en autorisant l’usage d’armes à feu pour la protection des frontières. L’ÚDV estime ainsi que neuf personnes sont mortes et qu’au moins sept autres ont été blessées aux frontières de la Tchécoslovaquie entre 1976 et 1989.Or, la Tchécoslovaquie communiste avait ratifié en 1976 le Pacte international relatif aux droits civils et politiques dont l’article 12 garantit à toute personne la liberté de « quitter n’importe quel pays, y compris le sien. »
Tomáš Jarolímek du ministère public du Ier arrondissement de Prague :
« Ils sont accusés, en tant que représentants de l’Etat, de ne pas avoir fait modifier la réglementation permettant d’utiliser des armes à feu contre les personnes tentant de fuir vers l’étranger. Les poursuites judiciaires ont été lancées après la découverte de documents cruciaux qui démontrent qu’ils étaient bel et bien conscients que les gardes-frontières tiraient des coups de feu et qu’ils donnaient directement des ordres aux ministres concernés afin qu’ils mettent en place une réglementation dans ce sens. »
En n’ayant pas modifié la législation tchécoslovaque, afin de respecter les engagements du Pacte, les trois anciens dirigeants communistes ont, donc, selon le ministère public, indirectement contribué à la mort de neuf personnes. S’ils sont reconnus coupables, Miloš Jakeš, Lubomír Štrougal et Vratislav Vajnar encourent de deux à dix ans de prison. Il y a toutefois peu de chances que les accusés se retrouvent réellement derrière les barreaux, notamment en raison de leurs âges canoniques, soit respectivement de 97, 95 et 89 ans.Comme le rappelle un commentateur de l’hebdomadaire Respekt, Lubomír Štrougal avait déjà fait l’objet d’une enquête, finalement classée il y a cinq ans car les faits qui lui étaient reprochés étaient prescrits. Mais, pour Jaroslav Spurný, la valeur de ces poursuites judiciaires est autre : « Les gens devraient connaître le passé de leur pays, même lorsque les faits concernés sont extrêmement brutaux. »