Daniela, une jeune femme prise dans le piège de la manipulation

'Aoûts'

Les relations entre le manipulateur et sa victime - c’est ainsi qu’on pourrait résumer le thème du livre intitulé Srpny - Aoûts, ouvrage sorti aux éditions Host. C’est le premier roman de Jakub Stanjura (1995), jeune auteur qui attire l’attention sur une forme spéciale d’abus mental connu sous le nom de gaslighting.    

L’adolescence dans une famille toxique

Photo illustrative: Diana Smykova,  Pexels

Le mois d’août, mois des vacances et des loisirs d’été, est pour Daniela, protagoniste du roman, un mois d’épreuves comme si c’était le moment où tous les problèmes angoissants accumulés tout au long de l’année émergeaient. Tandis que les autres jouissent donc des plaisirs de la période estivale, Daniela étouffe. Elle se rend compte qu’il y a quelque chose de malsain dans sa famille, dans ses relations avec sa mère, sa sœur et son père. Elle aimerait se libérer de ce climat oppressant, elle aimerait parler ouvertement des choses dont on ne parle jamais. Mais elle se heurte toujours à un mur de silence et d’incompréhension. Tel est le point de départ du livre dans lequel Jakub Stanjura traite un thème qui lui tient à cœur :

Jakub Stanjura | Photo: Jakub Pavlovský,  ČRo

« C’est une sorte de sensation que parfois j’éprouvais moi-même dans la communication avec les autres lorsque j’avais l’impression que les autres n’écoutaient pas ce que je disais et cherchaient à me convaincre que je ne vivais pas ce que je vivais et dont j’étais pourtant conscient. »

L’écriture comme moyen de se libérer

Photo illustrative: Ketut Subiyanto,  Pexels

Isolée dans sa famille, Daniela cherche une issue à cette situation difficile à supporter et elle la trouve finalement dans l’écriture. Elle se lance dans la rédaction d’un journal intime qui devient progressivement un roman. Jakub Stanjura fait alterner dans son livre des chapitres dans lesquels il nous raconte l’histoire de Daniela avec des passages du journal intime de son héroïne, journal qui prend aussi petit à petit la forme d’un roman. Il s’agit donc de deux romans qui s’entrelacent et se complètent, de deux récits dont l’un est objectif et l’autre subjectif. Il est évident qu’en décrivant la gestation du roman de Daniela, Jakub Stanjura s’est inspiré de sa propre expérience :

« Je manquais de confiance en moi, c’était difficile. Ecrire un premier roman est difficile parce qu’on ne sait pas si le roman sera publié, si quelqu’un le lira. Cependant, quand j’ai dépassé à peu près la première moitié, le travail sur le texte est devenu très stimulant pour moi. J’ai réussi à rédiger les derniers chapitres en un mois seulement, parce qu’on travaille plus facilement quand on est complètement absorbé par son thème et quand on écrit tous les jours. »

Le mur du silence

Photo illustrative: Lisa Fotios,  Pexels

Daniela soupçonne sa mère de battre en cachette et de faire souffrir sa sœur cadette, Jana. Parfois elle aperçoit même des blessures et des ecchymoses sur la peau de Jana mais elle n’arrive jamais à la faire parler, à l’inciter à se confier. Comme si tous les membres de sa famille avaient conclu un pacte de silence, un pacte dont Daniela est exclue. Et quand elle essaie d’abattre ce mur du silence, quand elle va jusqu’à accuser directement sa mère de cruauté, sa sœur de mensonge et son père de complicité, on la traite de folle et on lui dit qu’elle divague. Elle se sent donc perdue dans sa famille et c’est dans cette situation qu’elle commence à douter par moments d’elle-même. Parmi les siens, elle devient donc l’objet d’une sorte de manipulation qui est le thème majeur du roman de Jakub Stanjura :

« Le thème de la manipulation est central et il s’agit d’une manipulation assez importante et grave. C’est ce genre de relation où le manipulateur oblige sa victime à accepter son point de vue et la force à douter de ce qu’elle est en train de vivre, de son propre vécu. C’est une façon d’inculquer à quelqu’un l’idée que sa réalité n’est pas réelle ou véridique. C’est dangereux surtout chez les personnes enclines à douter d’elles-mêmes, chez les personnes qui manquent d’assurance, sont angoissées ou ont subi des traumatismes psychiques. »

Le glissement vers une sorte de violence domestique

Photo illustrative: Priscilla Du Preez,  Unsplash

Finalement Daniela réussit à échapper à l’emprise oppressante de sa famille. Elle s’inscrit à la faculté des lettres, elle étudie, elle continue à écrire et tombe amoureuse de Štěpán, un jeune homme qu’elle rencontre à la faculté. D’abord, c’est un grand soulagement pour elle de trouver finalement quelqu’un à qui elle peut parler plus ou moins ouvertement de beaucoup de choses et même de sa famille. Elle accepte donc de vivre avec Štěpán. Il est réconfortant pour elle d’avoir enfin quelqu’un qui l’écoute et qui ne met pas en cause ce qu’elle dit. Elle ne se rend pas compte que cette nouvelle liaison qui a commencé dans la confiance, dégénère progressivement, elle aussi, en relation entre le manipulateur et la manipulée. Et Jakub Stanjura décrit en détail les différentes étapes de ce processus qui débouche sur une forme de violence domestique :

« Le gaslighting est souvent une forme de la violence à domicile, une violence psychique qui n’est pas très connue. En Tchéquie, et même dans le monde, on a en général cette opinion stéréotypée que la violence à domicile est surtout physique mais ce n’est pas toujours le cas. Le gaslighting est souvent lié à de la violence, qu’elle soit psychique ou physique. Ce sont les manipulateurs qui mettent fréquemment en doute le fait que la victime subit une violence. »

Une poupée docile et malléable

Source: Alex Yomare,  Pixabay,  Pixabay License

L’homme dont Daniela partage désormais la vie, la traite avec beaucoup d’attention, il cherche à l’aider même quand elle n’en a pas besoin. C’est un ami qui fait tout pour la faire dépendre totalement de lui. Ce surplus d’attention affaiblit Daniela mentalement, la prive progressivement de sa propre volonté. Parfois elle ressent le besoin d’arrêter ce processus, de remonter la pente, de s’émanciper, de fuir mais elle retombe toujours dans la passivité. Bientôt Štěpán commence à remettre en question ce qu’elle dit et dont elle se souvient et il finit par la faire douter de sa mémoire et de sa perception. Elle devient entre les mains de son compagnon une poupée docile et malléable. Ayant échappé à sa famille, elle tombe dans un piège encore plus dangereux. Et Jakub Stanjura constate que cette sorte de relation toxique est beaucoup plus répandue qu’on ne le pense :

Photo illustrative: cottonbro studio,  Unsplash

« Je considère comme important le thème des relations toxiques que ce soit entre les partenaires ou dans la famille. Le mot gaslighting n’est pas assez connu dans le milieu tchèque mais il me semble que c’est un phénomène important. Après avoir étudié ce thème, j’ai découvert que le gaslighting était assez courant et que nous l’éprouvons pratiquement tous dans une mesure plus ou moins importante. Parfois nous ne sommes même pas capables de nous en rendre compte et parfois il ne s’agit même pas d’une attitude consciente du manipulateur. Parfois nous-mêmes manipulons les autres quand nous mettons en doute ce que quelqu’un nous dit... »

Auteur: Václav Richter
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