Danse contemporaine : le corps comme œuvre d’art

'Sens I'

Le chorégraphe Pedro Pauwels a présenté deux spectacles au Théâtre Komedie les 22 et 23 mai derniers, dans le cadre des « rencontres de la danse contemporaine ». Son séjour a aussi été marqué par d’autres activités, comme des stages pour les jeunes danseurs tchèques ou une action de sensibilisation pour la danse dans le théâtre Komedie et dans des écoles. Le chorégraphe s'est expliqué sur sa création artistique pour un public pragois peu habitué à ce type de performances.

C’est un spectacle un peu déroutant pour un public inexpérimenté que ces deux danseuses presques nues, qui pratiquent une danse très au sol, sur un fond sonore de vent, allant de la brise à la tempête, plongées dans une lumière très faible. Le sol est constitué d’un tapis de bulles en plastiques qui frétillent sous chacuns de leurs mouvements. La lenteur, le contraste entre les deux corps des danseuses, l’une plutôt ronde, l’autre plutôt maigre, l’appel aux sens – la vue dans l’obscurité, l’ouie balladée entre le chant du vent et la surprise que provoque l’éclatement des petites bulles – tous ces éléments ne laissent pas le spectateur indifférent. Pedro Pauwels en donne son interprétation :

« Le premier spectacle « Sens I » – le duo avec les filles les pieds attachés – était une envie de travailler sur les corps siamois, donc les corps un peu diformes, et se dire aussi que plus loin, on est constitué des plusieurs entités. On n’est pas fait que d’une seule matière, on est plusieurs personnages à la fois, et là ils sont matérialisés. Aller aussi dans le sens de se poser la question de ce qui est beau et de ce qui est laid et de qui peut dire qu’un corps siamois, un corps de déformé siamois est monstrueux et moche.

Pourquoi la lenteur ? Parce que je pense que c’est un courant artistique aujourd’hui dans lequel on est baigné, qui se rapproche un petit peu du butoh, la danse japonaise, très lente, très serrée, très retenue, très condensée. Elle a pris naissance après Hiroshima, donc après une guerre forte, et je pense qu’aujourd’hui on traverse dans la société quelque chose qui n’est pas si réjouissant que ça, et beaucoup d’artistes sont dans cette matière-là, cette retenue. Le monde n’est pas beau donc pourquoi faire semblant qu’il est beau. C’est aussi quelque chose qui nous opprime.

Après le plastique, il est venu un peu tout seul. Il est venu d’une idée très simple. Quand nous avons fait cette pièce qui date de 2002, c’était la guerre d’Irak qui débutait. J’ai pensé au terrain miné, avec l’éclatement de corps qui pouvaient être ici et là et tout à coup ça explose. C’est parti de là. En même temps, c’est une matière qui en principe, emballe les œuvres d’art. Donc est-ce que le corps n’est pas une œuvre d’art ? »

Le spectacle a été présenté à Prague par « les rencontres de la danse contemporaine », qui tente, avec ces échanges, de promouvoir un art qui a été brimé sous la période communiste et qui n’est donc pas encore très développé en République tchèque.