David Claerbout et la poésie du stade olympique de Berlin au Rudolfinum
Figure majeure de l’art vidéo contemporain, le vidéaste et photographe belge David Claerbout est actuellement à Prague pour présenter sa dernière œuvre, ‘Olympia’, exposée jusqu’au 12 avril au Rudolfinum de Prague. Cette projection vidéo en trois dimensions permet au spectateur une immersion en temps réel dans le décor inédit du célèbre stade olympique de Berlin, érigé en 1936 sous les ordres d’Adolf Hitler. Fasciné par le temps et son empreinte sur les créations humaines, David Claerbout est revenu sur son travail au micro de RPI.
« Il s’agit de deux écrans, l’un vertical et l’autre horizontal, reliés à de puissants ordinateurs, eux-mêmes connectés à internet. Cela permet, grâce à des algorithmes, de recueillir les données météo telles que l’humidité ou encore la position du soleil autour du stade de Berlin. »
« Ces données, recalculées et actualisées année après année, agissent directement sur les matériaux tels que le béton, l’acier, la pierre, etc. En fonction de leur disposition, les plantes observables sur le site reçoivent plus ou moins de soleil, et donc se développent à une vitesse différente. Je dois avouer que c’est cette vision de cette herbe qui pousse en permanence qui m’a donné l’idée d’Olympia. »« Pour ceux qui ne connaissent pas le bâtiment, il est en forme d’ellipse, et joue, en quelque sorte, avec la lumière. Il compte près de cent quatre-vingt colonnes, et lorsque le soleil brille, la lumière est d’une précision presque militaire. Et le fait qu’un bâtiment construit pour le régime nazi, au travers de son jeu de lumière, soit empreint d’une certaine poésie, d’une certaine beauté, c’est difficile à concevoir pour les gens. C’est presque quelque chose dont on ne peut pas parler, comme si, par définition, un tel bâtiment serait fatalement laid. Mais c’est justement ce côté poétique que j’ai essayé de développer avec le logiciel. »
A vous entendre, on a l’impression d’un stade abandonné où la nature reprend ses droits, mais il faut rappeler qu’il est toujours utilisé et accueille régulièrement des compétitions sportives, notamment des matchs de football. Pourtant, vous avez choisi d’oblitérer cette présence humaine. Est-ce que c’était un choix de votre part de représenter ce stade, construit par et pour l’Homme, en bâtiment déserté par ce dernier ?
« C’est une question intéressante. En fait, j’ai très vite pris la décision de réaliser mon film dans le bâtiment original, abandonné par l’Homme : l’herbe n’est plus coupée, les choses ne sont plus soignées,… D’ailleurs, un nouveau toit a été construit il y a une quinzaine d’années, et j’ai décidé qu’il n’apparaitrait pas dans ma version du stade. En revanche, chaque pierre a été numériquement placée à son endroit géographiquement correct ; c’est-à-dire que l’on pourrait, tel Sherlock Holmes, aller vérifier leur position exacte, qui est la même dans mon film que dans la réalité. Une grande partie de mon travail a été consacrée à scanner les pierres du bâtiment. »
La seule présence humaine qui apparait dans votre œuvre, c’est finalement le spectateur, qui n’a aucun moyen d’agir sur ce qu’il voit. C’est un belle représentation de l’incapacité pour l’Homme d’influer sur le temps qui passe, ainsi que sur une nature qui, comme vous l’avez dit, ‘reprend le dessus’. Cela semble faire écho aux messages écologiques que l’on entend beaucoup actuellement. Est-ce que cette idée était présente chez vous ?
« Cette idée était là mais incomplète, comme le sont souvent les idées… On m’a un jour demandé pourquoi j’avais choisi de travailler en temps réel, et non pas d’accélérer le temps via le logiciel, afin qu’on puisse observer l’impact de mille années sur le bâtiment en l’espace d’une journée seulement. »
C’est vrai qu’en tant que spectateur, on a envie d’accélérer le temps afin que l’évolution nous apparaisse plus nettement.
« Voilà ! Et ma réponse spontanée a été de lui demander : si vous pouviez prendre tous les repas de votre vie d’un coup, le feriez-vous (rires) ? Parfois et même lorsque l’on se trouve dans un environnement technologique, il faut savoir le traiter comme un environnement organique, afin de mieux comprendre le passage du temps sur nos vies. Il y a quelque chose que je ne trouve pas juste avec l’horloge et le temps mesuré, circadien : ils font de nous des perdants. C’est comme si la durée était une collection mise aux enchères, dont on posséderait une large part en étant jeune ; part que l’on perdrait rapidement en vieillissant. »« Finalement, c’est une vision de la durée que je trouve complètement myope, et qui a d’ailleurs fait l’objet d’une bataille fameuse entre Albert Einstein et Henri Bergson. D’autre part, le cinéma travaille beaucoup avec la compression de la durée, la narration et les voyages dans le temps – flashbacks, flashforwards… -. C’est un vrai plaisir, bien sûr, mais ce n’est ce avec quoi je travaille. Je dirais que la matière avec laquelle je crée se trouve ailleurs… »