Décès de Natalya Gorbanevskaya, héroïne de la Place Rouge en 1968

Natalya Gorbanevskaya, photo: CTK

Grande figure de la dissidence en Union soviétique, Natalya Gorbanevskaya s’est éteinte vendredi à Paris, un mois à peine après sa visite en République tchèque, où elle était bien connue. En août 1968, Natalya Gorbanevskaya et sept autres de ses compatriotes avaient manifesté sur la Place Rouge à Moscou pour protester contre l’invasion de la Tchécoslovaquie et l’écrasement du Printemps de Prague.

Natalya Gorbanevskaya et Václav Hampl,  recteur de l'Université Charles,  photo: Filip Jandourek,  ČRo
Lors de son dernier passage d’une dizaine de jours à Prague, en octobre, Natalya Gorbanevskaya avait été décorée de la médaille d’honneur de l’Université Charles des mains du président du Sénat, pour son combat pour la démocratie, la liberté et les droits de l’homme. Ce combat, la dissidente d’origine russe le menait dans son pays depuis les années 1960.

C’est pourquoi, le 25 août 1968, quatre jours après l’occupation du territoire tchécoslovaque par les chars du Pacte de Varsovie, huit personnes avaient trouvé le courage de manifester à Moscou à proximité du Kremlin leur désaccord avec cette action répressive au sein des pays dits « satellites » par le régime soviétique. Poétesse, traductrice de littérature polonaise, pays dont elle est d’ailleurs devenue citoyenne en 2005, et mère d’un nourrisson de trois mois à l’époque, Natalya Gorbanevskaya, faisait partie du petit groupe de dissidents qui avait arboré la pancarte « Pour votre et notre liberté ». Ces quelques minutes de liberté vaudront à six participants de la manifestation plusieurs années de prison.

Natalya Gorbanevskaya,  photo: CT
Si Natalya Gorbanevskaya n’a pas été emprisonnée directement par la KGB, elle l’a été par la suite en poursuivant ses activités dans la dissidence. Grâce à l’aide d’une jeune étudiante tchécoslovaque, Jana Klusáková, elle-même devenue journaliste, les manuscrits, les récits relatifs aux arrestations, ainsi que les retranscriptions des interrogatoires ont pu clandestinement traverser la frontière. Et c’est précisément le dernier livre de Natalya Gorbanevskaya, intitulé « Midi », uniquement traduit en tchèque l’année dernière, qui rassemble ces souvenirs et importants témoignages de l’époque. Son traducteur, Milan Dvořák, a dévoilé ce qui a fait la singularité de ce recueil :

'Midi',  photo: CT24
« Comme il était encore possible de voyager librement en provenance de Tchécoslovaquie, ce recueil s’est retrouvé à Munich. Et c’est grâce à ça que le livre a pu être diffusé dans le monde entier. »

Pour pouvoir passer clandestinement la frontière, Jana Klusáková avait dissimulé les documents dans une robe de maternité. Elle continue de considérer cet acte de protestation comme un acte héroïque dont il faut s’inspirer. Jana Klusáková :

« Nous devrions être francs et intègres. Et, effectivement, faire ce que l’on dit. »

En décembre 1969, diagnostiquée schizophrénique, Natalya Gorbanevskaya a été internée pour deux ans et deux mois dans un hôpital psychiatrique. Relâchée, elle émigre et quitte l’Union soviétique en décembre 1975 pour Paris, ville qu’elle ne quittera plus. Lors de la cérémonie de sa décoration en octobre dernier à l’Université Charles, le sénateur Jaromír Štětina avait déclaré:

Jaromír Štětina,  photo: Štěpánka Budková
« On dit souvent que les Russes préfèrent le salami que la liberté. Madame Gorbanevskaya est la preuve que cela ne s’applique pas à tous les Russes. »

Pas plus que les sept autres dissidents soviétiques, Natalya Gorbanevskaya ne s’est jamais considérée comme une héroïne ou une personne courageuse. Selon ses propres paroles, c’est le sentiment de honte qui a guidé son action. Toutefois, l’héroïsme est prouvé par la persistance des opinions des dissidents, malgré la connaissance des répercussions terribles, sur eux-mêmes et leurs familles. Dans un entretien accordé à la Radio tchèque il y a un mois de cela, toujours à l’occasion du 45e anniversaire de l’invasion soviétique, Natalya Gorbanevskaya s’était exprimée sur le douloureux sujet de l’acceptation par la Russie de son passé.

Natalya Gorbanevskaya,  photo: CTK
« Vous savez, c’est assez étrange. Dans les années 1990, il semblait que le passé commençait à être accepté. Beaucoup de livres et de témoignages étaient publiés, et on trouvait beaucoup d’informations. Mais le temps nous montre que cela n’est pas si simple. Je crois qu’il y a dans la société russe de plus en plus de personnes qui se fichent de tout. Ceux qui avaient déjà combattu contre ce que l’on avait appelé ‘la contre-révolution’ se font entendre, mais ils sont en minorité. Pour la plupart des personnes, le concept de mémoire historique est une notion inconnue. »

Malgré ses 77 ans, Natalya Gorbanevskaya était une bloggeuse active, qui continuait de s’exprimer par le biais d’Internet, que ce soit sur les événements en Géorgie ou sur l’emprisonnement des membres du groupe de musique russe Pussy Riot, qu’elle avait qualifié « de grave injustice ».