Décès du cardinal Miloslav Vlk, ancien laveur de vitres et grande figure du catholicisme tchèque

Le cardinal Miloslav Vlk, photo: ČTK

Même dans une République tchèque considérée comme l’un des pays les plus sécularisés d’Europe, la nouvelle a fait la une de tous les médias : atteint d’un cancer des poumons, le cardinal et archevêque émérite de Prague, Miloslav Vlk, est mort samedi dernier à l’âge de 84 ans. En réaction à son décès, le pape François a envoyé un télégramme de condoléances à l’actuel cardinal Dominik Duka. De nombreux médias étrangers, Radio Vatican en tête, ont retracé le parcours de celui qui est considéré comme « une des personnalités les plus importantes de l’Eglise catholique en Europe centrale ». Le parcours d’un archevêque hors du commun, mais aussi d’un ancien laveur de vitres dans la Tchécoslovaquie communiste, où il a été contraint de vivre dix ans dans la clandestinité.

Le cardinal Miloslav Vlk,  photo: ČTK
« Chci žít jak žít se má », « je veux vivre comme il se doit » - ces paroles de la chanson préférée de Miloslav Vlk ont été, en quelque sorte, le mot d’ordre de sa vie. Elles l’ont aussi accompagné, selon ses amis et collaborateurs, pendant ces dernières semaines qu’il a passées à l’hôpital en étant, toujours d’après ses proches, « prêt à rester ou à partir ».

Miloslav Vlk est né en 1932 dans le village de Líšnice, en Bohême du Sud, dans une famille modeste. Petit garçon, il rêve de devenir pilote, tout en se sentant appelé, comme il l’a avoué plus tard, à une vocation sacerdotale. En l’occurrence, il est admis, après la guerre, dans une petite école religieuse à České Budějovice, prête à se charger du financement de ses études que ses parents ne peuvent pas assumer. Diplômé d’histoire à l’Université Charles, Miloslav Vlk entre au séminaire à l’âge de 32 ans. En 1968, pendant la période du Printemps de Prague, il est ordonné prêtre. Dix ans plus tard, l’autorisation d’exercer son ministère sacerdotal lui est retirée par les autorités communistes. Son collègue Tomáš Halík, ordonné pour sa part prêtre dans la clandestinité, se souvient :

Tomáš Halík,  photo: Nikol Kraft,  CC BY-SA 3.0
« J’ai connu Miloslav Vlk pendant la période bouleversante du Printemps de Prague, lors d’un débat des étudiants à la Faculté des lettres. Nous avons prolongé notre conversation dans un bistrot et je lui ai fait part d’un projet de création d’une paroisse académique, pour laquelle on cherchait alors un administrateur. Il m’a dit : ‘Ah non, je ne peux pas, je serai ordonné l’année prochaine et ensuite, je veux poursuivre mes études à Jérusalem’. On ne savait pas à ce moment-là que deux mois plus tard, les chars soviétiques écraseraient tous nos rêves. A Jérusalem, nous nous y sommes rendus ensemble, mais vingt-quatre ans plus tard. Il nous était alors inimaginables à l’époque qu’un jour je serais moi-même à la tête de la paroisse académique de Prague et que lui serait mon archevêque. »

Sincère, désireux de toujours « vivre dans la vérité », Miloslav Vlk est catalogué comme ennemi public par les autorités communistes. Privé de l’autorisation d’exercer en 1978, il ne rejoint pas le mouvement de la Charte 77, mais reste très actif au sein de l’Eglise clandestine, tout en exerçant le métier de laveur de vitres au centre de Prague. Dans une émission radio, Miloslav Vlk se souvenait :

Miloslav Vlk,  photo: Barbora Němcová
« On m’a attribué des rues précises, les rues Spálená, Myslíkova, aussi la place Venceslas. Certains magasins demandaient le lavage des vitres une fois par semaine, d’autres une fois tous les quinze jours. Je n’avais pas un nombre précis d’heures de travail, il fallait juste accomplir le travail exigé. Le grand avantage était que je travaillais dehors et qu’il était facile de me contacter. Les jeunes qui voulaient me voir pour un entretien spirituel ou une confession savaient où me trouver. Souvent, je les recevais sur le chantier de rénovation d’une maison que j’avais repéré. Avec le pénitent, on s’installait face à face sur l’échafaudage. Plus tard, je me suis aperçu que la police secrète avait remarqué ce que je faisais. C’était dangereux, une personne sans autorisation ne pouvait pas exercer ce genre d’activité, même pas à titre privé. Et donc j’ai trouvé un autre endroit, plus sûr : le bâtiment de la Cour régionale situé juste en face de ce chantier. A l’intérieur, il y avait toujours de petits groupes de gens qui attendaient une audition. Alors j’y ai aménagé mon confessionnal. »

A la veille de la Révolution de velours, Miloslav Vlk fait partie de l’équipe qui entoure, toujours de manière secrète, son prédécesseur, le cardinal et archevêque de Prague František Tomášek, celui qui allait accueillir, en 1990, à l’aéroport de Prague, le pape Jean-Paul II lors de sa première visite en Tchécoslovaquie. L’historien Jaroslav Šebek explique :

Le cardinal František Tomášek,  photo: Martin Davídek,  CC BY-SA 3.0
« Le cardinal Tomášek fait figure d’une icône qui a aidé l’Eglise catholique dans son passage de la dictature communiste vers la liberté et la démocratie. Or, c’est une tâche bien plus difficile qui attendait son successeur Miloslav Vlk, celle de renouveler toutes les structures institutionnelles de l’Eglise en République tchèque, dont le fonctionnement a été tout à fait perturbé sous l’ancien régime. Il a joué un rôle clé dans le renouveau de l’Eglise tant dans le domaine institutionnel que spirituel. »

En février 2010, le cardinal Miloslav Vlk devient archevêque émérite de Prague, en passant le relai à Dominik Duka, qui mène à bien un des grands projets entamés par Miloslav Vlk, celui de la restitution aux Eglises des biens qui leur ont été confisqués sous le régime communiste. Dominik Duka :

« Miloslav Vlk a été, pendant deux périodes successives, président de la Conférence épiscopale européenne. Prague, le cardinal Vlk, l’Enfant-Jésus de Prague : c’étaient des références dans l’univers chrétien, au même titre que Václav Havel par exemple. Nous avons perdu quelqu’un qui a renouvelé l’Eglise dans ce pays après la chute du régime communiste. Dans ce domaine, Miloslav Vlk a accompli une œuvre immense et je lui suis très reconnaissant. »

Il y a sept ans, le cardinal Vlk a pris sa retraite, mais cela n’en était pas véritablement une : à l’église, dans les médias, ainsi que sur son site Internet, il commentait, toujours avec la sincérité et une ferveur qui lui étaient propres, l’évolution de la société tchèque, la vie de l’Eglise catholique dans son pays comme ailleurs. Sa voix s’est fait entendre après la révocation controversée de l’archevêque slovaque Róbert Bezák ou encore suite à la décision du président Miloš Zeman de ne pas attribuer une décoration au survivant de l’Holocauste Jiří Brady.

Miloslav Vlk,  photo: ČTK
Pour certains, Miloslav Vlk a ainsi retrouvé, après avoir renoncé à la charge d’archevêque de Prague, une certaine liberté, un sentiment de bonheur qu’il avait éprouvé, un peu paradoxalement, en tant que laveur de vitres. Miloslav Vlk :

« C’était une occasion unique pour moi, en tant que chrétien, de vivre selon l’évangile. Je considère alors, avec du recul, cette période de ma vie comme très heureuse et prolifique. Car j’ai compris, de par ma propre expérience, que ça marche, que l’évangile aide à ne pas se perdre, il nous donne vraiment de la force et éclaire notre chemin. »