Denis Dumoulin, passionné par les relations tchéco-helvétiques (II)
Deuxième partie aujourd’hui de notre entretien avec le Suisse Denis Dumoulin, professeur d’histoire passionné par les relations tchéco-helvétiques
« On retrouve probablement les mêmes courants que dans le reste de l’Europe. Il y a bien sûr une première vague après la guerre et après le Coup de Prague, avec un certain nombre de Tchèques qui viennent en Suisse. On va les retrouver dans des professions plutôt libérales ou universitaires. Cela concerne par exemple la médecine, les sciences, il y a des étudiants et des intellectuels qui fréquentent les universités. Mais cette émigration va connaître un développement après 1968.
Les chiffres exacts ne sont pas connus, mais ce sont plusieurs milliers de réfugiés tchèques et slovaques qui viennent en Suisse et qu’on retrouve par exemple à Saint-Gaal autour d’Ota Šik, professeur d’économie à l’université. Autour de personnalités du monde religieux à Bâle aussi, à la faculté de théologie protestante, et à Zurich où il y a beaucoup de médecins. En Suisse romande c’est assez étonnant : ce sont souvent des sportifs qui vont venir plus tard, pour le hockey ou le basket... Cela constitue autant de petites communautés qu’on retrouve dans ces villes et parfois organisées pour ne pas perdre complètement le contact avec le pays d’origine... »Avec notamment quelques associations de compatriotes, dont une réunie autour de l’épouse de l’acteur suisse Jean-Luc Bideau, elle-même d’origine tchèque.« Oui, Marcela Salivarová, qui est metteur en scène et a souvent travaillé dans le domaine du théâtre avec son mari. Pour la dernière fois c’était à l’occasion du championnat d’Europe de football, elle a décidé de mettre en scène le roman Les onze de Klapzuba à Genève.
Ce fut une nouvelle étape dans les rapports qui pouvaient exister entre une littérature tchèque peu connue en français et la Suisse romande. Mais je suis persuadé que si on faisait la liste de tous les ouvrages de Suisse française traduits en tchèque et l’inverse, on aurait des choses étonnantes à constater. »Je sais que vous vous intéressez davantage à l’histoire mais où en sont aujourd’hui les rapports entre la Suisse et la République tchèque ?
« Si je me réfère à l’entretien de Masaryk dans les années 1920 pour un journal bâlois, dans lequel il faisait la liste des points communs entre la Tchécoslovaquie et la Suisse (petite taille, pas d’accès à la mer, avec des communautés culturelles différents), on est étonné de constater que ces liens aujourd’hui ne sont peut-être pas aussi importants qu’on pourrait le croire. C’est vrai que la République tchèque fait partie de l’UE, la Suisse non, même si les liens avec l’UE sont étroits... »
Les deux pays font partie de l’Espace Schengen.
« Par exemple oui, avec toute une série d’autres accords que la Suisse a signés avec l’UE. C’est ainsi qu’après les inondations de 2002 la Suisse a entrepris de mettre sur pied un programme d’assistance technique à la République tchèque qui avait été touchée par ce désastre. La coopération technique a été très importante, notamment avec l’école polytechnique fédérale de Lausanne qui travaille sur des études d’aménagement hydrauliques dans le sud de la République tchèque, dans la région de Písek en particulier. Et puis aussi avec une série de programmes de sauvetage de documents ont été entrepris avec l’assistance technique suisse. Plus récemment encore, à l’occasion d’un nouveau crédit voté par le parlement suisse, la Suisse a entrepris un programme d’assistance dans les domaines juridique et social dans des régions défavorisées de République tchèque. Donc on voit que ces rapports existent mais il reste encore une certaine méconnaissance de part et d’autre de ce que sont les deux pays. Il y a encore tellement de gens en Suisse qui croient que le Danube coule à Prague que ça montre assez à quel point la connaissance réciproque devrait être plus importante. »Est-ce que les relations entre les pays tchèques et la Suisse sont un sujet sur lequel vous aimeriez vous pencher davantage une fois à la retraite ?
« Certainement. Pour l’instant je ne fais que collectionner des événements, c’est un petit peu un collier de perles que j’essaie de faire. Bien entendu si vos auditeurs peuvent me mettre sur une piste que je ne connais pas encore, il me faudrait l’étudier... Cela existe me semble-t-il du côté tchèque avec le livre de Jiří Kámen sur « La Suisse – un petit pays, une grande histoire », mais l’équivalent en français à ma connaissance n’existe pas et cela mériterait certainement d’être approfondi. Peut-être que quand je vais avoir un peu plus de temps je m’y attelerais volontiers... »