Derrière les portes du Palais Buquoy à Malá Strana, siège de l'ambassade de France à Prague

Palais Buquoy

A l’occasion de la fête nationale, Radio Prague International vous emmène à la découverte du Palais Buquoy. Un bâtiment qui, selon Joël de Zorzi, ancien ambassadeur de France à Prague, compte « parmi nos plus belles ambassades dans le monde, dont les ors et les coins d’ombre captivent le voyageur de France et l’ami tchèque qui s’y rencontrent. »

Des chevaliers à l’ambassadeur, en passant par des comtes

Pourquoi la France privilégie-t-elle des palais pour y installer ses ambassades ?

L’ambassadeur Stéphane Crouzat | Photo: Ambassade de France en République tchèque

L’ambassadeur Stéphane Crouzat : « C’est souvent le hasard de l’histoire qui fait que nous ayons des opportunités d’avoir de belles emprises diplomatiques. Dans certains pays, cela se justifie par la richesse des relations. Le palais Buquoy fait partie des ambassades de premières divisions ; parmi les plus belles en Europe. Il date du début du XVIIIe siècle, il a été conçu par un architecte français, Jean-Baptiste Mathey, qui a vécu à la fin du XVIIe siècle. Ses plans ont été réalisés lorsque le palais a été acquis par une famille d’origine française, les Buquoy, qui l’a conservé jusqu’au XXe siècle. Quand la France, cherchant une ambassade au lendemain de la création de la Tchécoslovaquie, a trouvé cet endroit en 1919, elle a commencé par le louer. Ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard, en 1930, que la France l’a acheté pour de bon. Depuis cette date, le palais abrite l’ambassade de France. »

Cela contribue-t-il au rayonnement français, à son soft power ?

Palais Buquoy | Photo: Pauline Le Gall,  Radio Prague Int.

« Incontestablement. Il est préférable d’avoir une ambassade attractive et connue sur la place, qu’un petit bâtiment sans valeur patrimoniale. Pour Prague, c’est un atout fantastique. Le bâtiment se prête bien à l’organisation de toutes sortes d’événements, en particulier le salon de musique qui peut accueillir plus d’une centaine de personnes. Tout cela est très attrayant et permet d’accueillir les personnalités tchèques dans les meilleures conditions. »

Lieu de réunion, de rencontres, aussi de découvertes, lorsqu’une personnalité politique se déplace en Tchéquie, la visite du palais est-elle systématique ?

« Pas nécessairement. Depuis mon arrivée, il y a quatre mois, nous avons d’abord eu la visite du président de la République début mars. Il est resté une journée et n’est pas du tout passé par l’ambassade, car il a eu un programme extrêmement chargé. En revanche, nous avons eu la visite du ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, qui a passé la nuit à l’ambassade, dans la chambre dite ministérielle, avant de se rendre à une rencontre ministérielle de l’OTAN le lendemain, et de repartir à Paris le soir même. »

Palais Buquoy | Photo: Pauline Le Gall,  Radio Prague Int.

Comment l'État français finance-t-il l’entretien, les restaurations, les possibles travaux des bâtiments français à l’étranger ?

Palais Buquoy | Photo: Pauline Le Gall,  Radio Prague Int.

« Pour ce qui est des travaux de restauration, c’est un bâtiment qui nous oblige. Nous devons l’entretenir du mieux que nous pouvons. Pour cela, nous avons une direction au Quai d’Orsay, nommée la direction de l’immobilier, qui se consacre à l’entretien et au suivi du parc diplomatique du monde. C’est via cette direction que nous obtenons des crédits pour les grands travaux. Cela a été le cas récemment à l’époque de mon prédécesseur, Alexis Dutertre. Il y a eu de très grands travaux de restauration qui ont été entrepris sur une partie des salons. Il reste encore deux salles et je suis précisément en négociation avec Paris pour obtenir les crédits nécessaires pour mener à bien ces travaux de restauration. Pour les travaux plus modestes, nous avons sur le crédit de l’ambassade les moyens de faire des réparations ou des travaux sans avoir besoin de faire appel au crédit parisien. »

Qui décide de l’ameublement, des décorations si prestigieuses des salons ?

Palais Buquoy | Photo: Pauline Le Gall,  Radio Prague Int.

« Au sein de la direction de l’immobilier, nous avons un service qui s’occupe de la décoration. Nous avons des spécialistes de la décoration des ambassades, qui vont d’ambassade en ambassade, pour conseiller sur la meilleure manière de faire des travaux de restauration. Pour cela, nous bénéficions du patrimoine et du mobilier qui sont depuis des décennies à Prague, mais aussi des meubles du mobilier national. Nous avons d’ailleurs obtenu des prêts en dépôts de différentes institutions comme Versailles, qui prête pour du dépôt de long terme quelques tableaux pour les ambassades. »

De toutes les ambassades où vous avez pu travailler, comment situez-vous le palais au niveau historique et culturel ?

« Le palais est l’une des plus belles ambassades que nous ayons dans le monde. Disons-le clairement, c’est un joyau architectural fantastique, dans un quartier exceptionnel, d’une unité architecturale baroque prodigieuse. Je mesure la chance que j’ai de pouvoir évoluer dans ce palais et de pouvoir y vivre, car l’ambassade et la résidence sont au même endroit. »

Quels sentiments vous inspire le fait que de grands artistes aient joué dans ces salons et aient pu vous précéder et marquer l’histoire de ce palais ?

Palais Buquoy | Photo: Pauline Le Gall,  Radio Prague Int.

« C’est merveilleux de penser que Ravel certainement, Mozart probablement, ont joué dans les salons du palais. Nous avons un très joli piano Pleyel demi-queue de 1926, que Ravel a sans doute touché. C’est fascinant de se dire que nous avons à l’esprit de grands compositeurs autour de soi. Et puis toute cette tradition musicale qu’il y a à Prague et en particulier dans ce palais, où d’innombrables concerts ont été présentés par mes prédécesseurs, avec des artistes de renom, fait partie des grands plaisirs de ce poste. »

Derrière les portes du palais

Depuis le milieu du XIIème siècle, la parcelle sur laquelle le palais a été construit abritait la commende des chevaliers de Saint-Jean, dont la mission était de protéger le pont Charles.

Charles-Bonaventure de Longueval par Peter Paul Rubens / Hermitage Museum

En 1748, François Léopold de Longueval, comte de Buquoy, acheta l’édifice, ainsi que le jardin. Son fils, Charles-Bonaventure de Longueval, était un homme de guerre et maréchal, distingué par l’empereur du Saint-Empire Ferdinand II. Il s’est illustré par son commandement des armées, notamment lors de la bataille de Bílá hora.

Patrick Garçon, vous êtes intendant à l’ambassade de France, depuis 1998, pouvez-vous nous parler du palais Buquoy ?

Palais Buquoy | Photo: Pauline Le Gall,  Radio Prague Int.

« Le palais Buquoy, ce sont à l’origine trois maisons qui ont été assemblées. À une époque, le premier conseiller a fait venir un historien tchèque qui s’intéressait à la famille Buquoy. Il nous a expliqué que le palais avait subi des modifications. L’entrée principale était avant l’entrée des calèches et du personnel, l’entrée de service donc. L’entrée de la famille était là où se trouve le consulat maintenant et une entrée derrière. L’escalier de service était avant l’escalier de la famille ; ce qui explique que lorsqu’on rentre dans les salons, les plus beaux sont ceux du fond, avec les stucs au plafond. Les trois autres salons ont des tentures murales, car il s’agissait des boudoirs de la famille. Tout a été inversé. Le jardin appartenait à l’autre palais. Suite à la guerre (de Trente Ans ndla), ils avaient reçu beaucoup de terres, de domaines et de forêts en remerciement. Ils avaient besoin d’énormément de bois, ils ont donc acheté le jardin pour le stocker. Le jardin se prolongeait alors jusque sur Kampa grâce à un pont. »

Photo: Pauline Le Gall,  Radio Prague Int.

Y a-t-il une personnalité importante qui vous a marqué ?

« L’une des plus belles rencontres que j’ai faites ici est Danielle Mitterrand, l’épouse de l’ancien président. Elle était ici pour sa fondation sur la sauvegarde de l’eau. Un matin, elle est arrivée de l’appartement et s’est assise et nous avons parlé pendant vingt minutes. A l’ambassade, les hôtes que nous recevons sont généralement moins enclins au stress et se laissent porter pour quelques jours. »

Pouvez-vous nous parler de l’un des architectes du palais, Jean-Pierre Jouve ?

Palais Buquoy | Photo: Pauline Le Gall,  Radio Prague Int.

« Il avait commencé tous les gros travaux de restauration et d’aménagement. Il n’a pas pu finir ses projets, car le ministère a voulu prendre les architectes à leur propre compte. J’ai eu la chance de le rencontrer lorsqu’un ambassadeur a voulu faire un livre sur le palais. Il a été invité, il est venu et m’a raconté des anecdotes sur le lustre de la salle à manger, sur le plafond. Dans la salle de bain de Lalouette, il s’est retrouvé face à un dilemme et il a eu l’idée d’une verrière. Sur le toit, il y a encore une girouette qui représente un marteau et deux autres ustensiles en hommage aux ouvriers. C’était quelqu’un de très bien. »

Un décor pour l’Histoire

Stanislas Mrozek | Photo: Institut Français de Prague

Comment retracer l’histoire du palais Buquoy, sans parler de son événement le plus connu au matin du 9 décembre 1988. Écoutons monsieur Stanislas Mrozek, directeur de l’Institut français. En 1988, il était tout jeune diplomate français, présent dans la salle à manger qui a accueilli le président François Mitterrand et Václav Havel.

Stanislas Mrozek : « Je suis arrivé en juin 1987 et je suis reparti en mars 1990. Pour résumer la politique de la France à l’égard de la dissidence, c’était ‘on ne peut pas rester sans rien faire, on est la patrie des droits de l’Homme, on doit reconnaître [la dissidents], mais il ne s’agit pas de compromettre les relations d’État à État avec le régime tchécoslovaque. Donc on y va discrètement.’ »

Le petit-déjeuner avec président François Mitterrand et Václav Havel le 9 décembre 1988 | Photo: Site officiel de l'Ambasade de France à Prague

« Pour le petit-déjeuner du 8 décembre 1988, F. Mitterrand décide de faire une visite d’État. C’était une première depuis l’indépendance du pays. Cela a pris du temps, les Tchèques avaient dit oui tout de suite, car cela valait la reconnaissance du régime. À l’époque, l’ombre de Gorbatchev planait. Mais Mitterrand avait posé ses conditions. Il voulait avoir un contact avec la société civile et la société démocratique. Nous avons alors trouvé un compromis en ajoutant dans le programme officiel une partie privée à l’ambassade, car chez nous, nous pouvons recevoir qui nous voulons. Nous m’avons donc confié l’organisation, de manière à faire du “saupoudrage”, pour avoir toutes les tendances et toutes les représentations de l’opposition. »

Palais Buquoy | Photo: Pauline Le Gall,  Radio Prague Int.

« Havel avait publié, deux jours avant la venue de Mitterrand, une tribune dans Le Monde, en demandant au président de ne pas venir, car la venue cautionnerait un régime légitime piétiné. [Les dissidents] ont réussi à le convaincre, et puis il est venu avec sa fameuse sacoche. Le petit-déjeuner s’est bien déroulé. C’était émouvant, ils ne s’attendaient pas à cela. Ils n’y croyaient pas, ils se sentaient ignorés et écrasés par les Polonais de Solidarność et par les Hongrois du Fidesz. Pourtant le président est venu, les a reçus et a pris le temps de discuter. »

Le palais peut se visiter, une fois dans l’année, durant les journées européennes du patrimoine. C’est l’occasion de découvrir ou de redécouvrir les salons, l’histoire ainsi que les œuvres d’art qui y sont exposés. Rendez-vous donc au mois de septembre pour découvrir le Palais Buquoy.

Palais Buquoy | Photo: Pauline Le Gall,  Radio Prague Int.
14
50.085869620000
14.406305970000
default
50.085869620000
14.406305970000
Auteur: Pauline Le Gall
lancer la lecture