Les Bucquoy, un destin franco-tchèque soumis aux aléas de l’Histoire
En octobre dernier, l’ambassade de France à Prague a accueilli une conférence consacrée à l’histoire de ceux qui furent autrefois les propriétaires du fameux palais baroque qui abrite depuis 1919 la représentation diplomatique française. Les Bucquoy, c'est une famille originaire du nord de la France, et dont l’histoire en pays tchèques est liée avec l’avènement de la Contre-Réforme. Ce que l’on sait moins c’est que ces comtes de Bucquoy, dont le patronyme d’origine est Longueval, ont une branche cousine, plus modeste, en France. Pierre Allart est un de ses membres et s’est intéressé à l’histoire de cette famille, à partir du destin mouvementé d’une de ses ancêtres, la veuve Descendre.
« La veuve Descendre est ma trisaïeule, donc l’arrière-grand-mère de mon père. Cette veuve Descendre est une femme qui a eu un destin incroyable, destin lié à la Première Guerre mondiale. Elle vivait dans le nord de la France et son village a été entièrement anéanti. Durant de longues années, elle a servi de bouclier humain pour freiner l’avancée des Anglais. Les Allemands retenaient la population française de son village pour éviter que les Anglais ne se déploient au pied de la colline de Notre-Dame-de-Lorette. Elle a vécu dans les ruines de son village, puis est partie en exil à travers l’Europe. Elle est passée par la Belgique, l’Allemagne, la Suisse avant de retrouver son pays en 1917. C’est le premier volet de son histoire. »
Quel âge a-t-elle à cette époque ?
« 65 ans. C’est déjà une vieille dame à l’époque, qui a voyagé avec sa famille dans toute l’Europe, à la recherche d’un endroit pour pouvoir poser ses valises et enfin aspirer à la paix, loin des combats. La veuve Descendre avait épousé un monsieur Descendre : les Descendre sont une famille d’agriculteurs de ce village d’Angres, dans le nord de la France. Ce village va être détruit à 100% pendant la guerre de 14-18. Or cette veuve Descendre était une Longueval par sa mère… »Pouvez-vous nous rappeler qui était cette famille des Longueval qui a des liens avec la Bohême…
« Cette veuve Descendre était la fille d’Augustine de Longueval. Les Longueval étaient une très ancienne famille du royaume de France. On a les traces de cette maison dès le XIe siècle, et d’après une tradition familiale, ce serait même un Longueval qui aurait armé Roland, le neveu de Charlemagne, dont on connaît l’histoire. Cette femme est détentrice de toute une mémoire familiale, celle des Longueval car elle va être très attachée au passé de sa famille et va défendre la mémoire de ses ancêtres. Elle nous a transmis tout un passé fragile que j’ai voulu collecter, rassembler et dont j’ai voulu respecter la mémoire à travers cet ouvrage. »
« Cette famille est ancienne, implantée dans le nord de la France, en Picardie, en Artois. L’une des branches de cette famille va être connue sous le nom de Bucquoy car elle possédait le comté de Bucquoy, une terre près d’Arras. Elle va rayonner en Bohême à partir de la bataille de la Montagne blanche, livrée le 8 novembre 1620, contre les forces de Frédéric V. »
Il s’agit d’une bataille très importante, notamment pour les Tchèques puisqu’elle signe d’une certaine façon la fin de l’indépendance du royaume de Bohême. Comme vous le dites, les forces catholiques vont l’emporter contre les forces protestantes, au cours d’une bataille qui, paraît-il, est très courte : deux heures à peine… Quel est le rôle des Bucquoy dans cette bataille et comment se retrouvent-ils ensuite propriétaires terriens en Bohême ?
« Les Bucquoy vont asseoir l’Empire au cœur de l’Europe centrale, car ils vont servir la famille des Habsbourg. Dès le XVe siècle, les Longueval sont aux ordres de la maison de Bourgogne, et donc ensuite des Habsbourg. »
Car il existait des liens qui unissaient la Bourgogne aux Habsbourg…
« Marie de Bourgogne avait en effet épousé Maximilien de Habsbourg. Les biens de Bourgogne sont alors transmis aux Habsbourg et les Longueval vont attacher leur service, leur cause à la couronne des Habsbourg. Ils vont donc être entraînés dans le développement extraordinaire des Habsbourg à partir du XVIe siècle. La destinée des Habsbourg va les conduire jusqu’en Europe centrale, où ils vont servir la cause de leur souverain. »On connaît les Bucquoy en pays tchèques, tout particulièrement par le palais Bucquoy qui abrite aujourd’hui l’ambassade de France. Quelles sont leurs possessions sur ce territoire de Bohême ? J’imagine que ces biens leur ont été remis pour leur fidélité à la couronne des Habsbourg…
« A la mort de Charles-Bonaventure de Longueval, deuxième comte de Bucquoy, le souverain va offrir au fils des terres qu’il n’a pas eu l’occasion au père, mort en 1621, donc quelques temps après la bataille de la Montagne blanche. Il va lui offrir 46 000 ha de territoire dans le sud de la Bohême. Les Bucquoy vont être à l’origine de l’invention du cristal de Bohême. C’est grâce à leurs épaisses forêts qui couvraient leurs domaines qu’ils ont pu alimenter les fours qui permettaient la création de ce cristal. »« Je ne mets pas le rayonnement des Bucquoy que sur le domaine militaire, ils ont apporté aussi quelque chose d’énorme à la Bohême : ils y ont apporté ce cristal. Et ils feront aussi rayonner la Bohême aux XVIIIe-XIXe siècles, car ils sont acquis aux idées nouvelles. Ce sont aussi de grands esprits qui ont apporté des choses à la Bohême. »
Cette fameuse veuve Descendre sillonne l’Europe. Son chemin l’a-t-elle menée jusqu’en Bohême ?
« Non, elle sillonne l’Europe avec ses enfants jusqu’à Saint-Armand-Montron, une ville du centre de la France, ma ville natale. Elle a transmis ce passé à ses enfants, ses petits-enfants qui m’ont élevé dans le souvenir des Longueval. Dans ce livre, j’ai voulu présenter la famille maternelle de cette veuve Descendre. J’ai souhaité jouer sur cette différence entre la branche restée en France, en Artois au XVIIe siècle, celle d’Angres, le village natal de Marie-Catherine Descendre, et la branche des cousines Bucquoy. Ils ont toujours eu un regard sur ces cousins qui ont réussi et une grande fierté car le nom de Longueval a rayonné à travers l’Europe centrale. Il y a toujours eu un œil vigilant, admiratif, sur les cousins de Bohême. »
« Un point important, c’est qu’il y avait dans l’entourage des Longueval, aussi bien d’Artois que de Bohême, un personnage extraordinaire, un homme de lettres, un esprit ouvert sur son siècle et qui s’appelait Dom Gosse. Il était le prieur d’une abbaye près d’Arras. Ce personnage était à la fois ami avec les Longueval d’Artois et les Longueval de Bucquoy. Lors de la Révolution française, il a émigré à Prague et est mort chez les Longueval-Bucquoy. Il a fait le lien entre les deux branches en essayant de remettre à flot les Longueval d’Artois qui étaient des hobereaux mais très admiratifs de leurs cousins Bucquoy. »Qu’en est-il aujourd’hui de ces deux branches des Longueval ? Combien sont-ils et se connaissent-ils ?
« Ils se connaissent car le hasard a fait que les deux branches se sont à nouveau rencontrés. Un des membres de la famille, le docteur de Longueval, m’a expliqué qu’il avait eu l’occasion de rencontrer les Longueval-Bucquoy qui aujourd’hui vivent en Bavière (les Bucquoy ont été expulsés et expropriés après la Seconde Guerre mondiale, en vertu des décrets Beneš, ndlr). L’un des fils de ce médecin est d’ailleurs le filleul de ces Longueval-Bucquoy de Bavière. Les deux branches ont voulu se retrouver après quelques siècles de séparation. »
Qu’est-ce que cette plongée dans l’histoire de votre famille vous a-t-elle apporté ?
« Un point est important pour moi : j’ai été très touché par le passé très modeste des Longueval d’Angres, en Artois. J’ai trouvé extraordinaire de mettre ces deux branches cousines dans une histoire parallèle mais ayant deux destins totalement différents. J’ai apprécié d’écrire dans cette optique de comparer, par rapport aux aléas de l’histoire, ce que pouvait devenir une famille, entre ceux qui sont plus modestes, ceux qui ont un destin plus prestigieux. Cette dualité m’a plu à travailler. Il y a eu une branche française des Bucquoy qui s’est éteinte, restée proche du roi de France, et ces personnages ont extrêmement enrichi l’histoire de la littérature française. Gérard de Nerval était un passionné de l’histoire des Longueval. Dans Les Filles du feu, il y consacre une nouvelle, Angélique, alias Angélique de Longueval. Dans cette nouvelle, il compte le destin prestigieux des Longueval. Je conseille à tous les amoureux de la littérature française de relire cette nouvelle et ils y retrouveront les Longueval aussi bien en France, qu’en Bohême. Ils appartiennent véritablement à la culture franco-tchèque, soit par la littérature soit par l’histoire. J’ai souhaité, dans ce livre, parler de l’aura de cette famille, tout ce qu’ils ont apporté et inspiré à travers nos deux pays. Cette veuve Descendre qui maintenait la mémoire familiale m’a permis de tisser les liens entre les différentes facettes de l’histoire des Longueval. »NB : Bucquoy ou Buquoy, voire même Bucquoi, on trouve le nom de cette branche des Longueval sous plusieurs orthographes.