Des dizaines d’entreprises tchèques victimes d’une vaste escroquerie depuis la France

Des dizaines d’entreprises tchèques ont été victimes ces dernières années d’une escroquerie à grande échelle : contactées par des personnes se faisant passer pour des représentants de sociétés françaises existantes, elles ont livré d’importantes quantités de marchandises pour lesquelles elles n’ont jamais été payées. Les pertes se comptent en centaines de milliers de couronnes pour ces exportateurs tchèques.

C’est une pratique bien établie – et lucrative – qui s’est développée en France dans le sillage de la pandémie de Covid-19 contre des entreprises basées dans plusieurs pays d’Europe centrale ou frontaliers de la France. Parmi les victimes, des entreprises tchèques notamment, dont celle de Miloslav Řihák, fabricant de tuyaux industriels flexibles : contacté en septembre 2023 par une entreprise française qui prétendait vouloir distribuer ses produits dans l’Hexagone et échangeant uniquement par courrier électronique, le directeur de DL PLAST évalue à environ 700 000 CZK le préjudice subi pour les marchandises impayées et le transport. Car lui, comme d’autres, a découvert après livraison que ses produits avaient disparu dans la nature et que ses factures étaient restées impayées.

Chaque jour des dizaines de sociétés européennes sont ainsi contactées par ce réseau d’escrocs, mais il reste difficile à déterminer combien d’entreprises exactement tombent dans le panneau et en deviennent les victimes, selon l’avocat français Matthias Laurin qui représentent des entreprises tchèques lésées et explique le principe de la fraude :

Source: Tumisu,  Pixabay,  Pixabay License

« Ce que je connais plus particulièrement ce sont des sociétés tchèques. Les fraudeurs approchent des entreprises par e-mail sous l’identité d’une société française ayant pignon sur rue, réputée, souvent des groupes de la grande Lesdistribution qui sont connus. Ils donnent confiance à leur interlocuteur, et très vite ils demandent de passer une commande importante. C’est là que l’escroquerie peut aboutir si la société ne prend pas les précautions d’usage et ne procèdent pas à des vérifications, elle peut tomber dans un engrenage où un dialogue est installé, des devis échangés et des commandes passées. Tout ceci est fait sous une fausse signature, sous une documentation falsifiée. »

Une escroquerie particulièrement sophistiquée qui nécessite une logistique importante et bien rodée, entre la partie pseudo-administrative et celle qui vise à saisir la marchandise, dorénavant irrécupérable pour les entreprises tchèques. Autant de facteurs qui font pencher la balance vers la possibilité d’une escroquerie en bande organisée, probablement à l’échelle internationale. Basée à Paris, Agnieszka Bonnefoy est directrice de l’agence d’investissement et du commerce de la Pologne : elle fait état de dizaines d’affaires similaires signalées par des entreprises polonaises.

Agnieszka Bonnefoy | Photo: Martin Balucha,  ČRo

« Cela s’est intensifié à partir de l’année dernière. Et leur pratique, la façon dont ils fiabilisent leurs démarches devient de plus en plus sophistiquée. Pour une entreprise qui n’a pas d’expérience dans le commerce international, il est difficile de prouver que cette démarche est celle d’un fraudeur et pas d’un acheteur réel. Ces sociétés présentent de faux profils LinkedIn, de fausses cartes de visite, de faux sites internet mais avec des données de personnes réelles. »

Les pratiques frauduleuses vont parfois tellement loin que les escrocs n’hésitent pas à usurper l’identité d’employés réels, mais décédés, note Matthias Laurin, qui précise encore que sont concernés tous types de secteurs d’activité :

« C’est très varié. J’ai pu connaître des sociétés qui produisaient des denrées alimentaires périssables et des sociétés de l’industrie lourde, donc des domaines qui n’ont vraiment rien à voir. Les escrocs sont assez imaginatifs, ils doivent avoir des réseaux de recel derrière qui sont tentaculaires et qui opèrent dans des domaines qui n’ont aucun lien entre eux. »

D’un côté il y a les entreprises étrangères escroquées, de lautre il y a aussi les sociétés françaises qui ont vu leurs données détournées : à côté des plaintes des premiers concernés parce que victimes, c’est souvent aussi lorsque les seconds font état aux autorités de l’usurpation d’identité que l’arnaque est enfin détectée.

Les autorités tchèques recommandent la plus grande prudence et de bien vérifier l’origine d’une demande en provenance de l’étranger. Jakub Smetana, directeur du bureau parisien de l’agence Czech Trade :

Jakub Smetana | Photo: Martin Balucha,  ČRo

« Nous avons reçu de nombreuses demandes d’entreprises tchèques qui voulaient qu’on vérifie leur commande. Dans les cas où ces exportateurs tchèques avaient décelé quelque chose qui leur semblait étrange, en général il s’agissait bel et bien d’une escroquerie. Les demandes de renseignements émanant de faux acheteurs sont généralement rédigées dans un anglais parfait. Elles commencent par une brève présentation de l’entreprise et de ses origines. Ensuite, ils demandent qu’on leur fasse parvenir immédiatement des catalogues de produits avec des listes de prix. Ils passent ensuite commande d’un nombre relativement important de produits. Mais dans le même temps, ils posent des conditions de paiement pour y ne régler les factures qu’après livraison des produits en France. Autant d’indices qui devraient tirer la sonnette d’alarme chez les entreprises tchèques. »

Si la police française a ouvert une enquête sur cette vaste escroquerie, cette pratique manifestement bien documentée n’a pas fait l’objet d’un intérêt particulier dans les médias français, comme s’en étonne lui-même l’avocat Matthias Laurin :

« En effet, ce n’est pas un sujet traité médiatiquement aujourd’hui. Et ce, même si des pertes importantes sont subies par des entreprises étrangères sur le territoire français, du fait d’escrocs opérant sur le territoire français. On ne sait pas s’il s’agit de résidents ou de nationaux français, mais en tout cas, ils opèrent depuis la France. »

En attendant, les autorités tchèques conseillent aux entreprises d’exiger un acompte aux nouveaux clients inconnus, mais aussi de faire assurer leur marchandise, pour éviter toute mauvaise surprise.

Auteurs: Martin Balucha , Anna Kubišta
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