Cinéma : s’envoler avec Saint-Exupéry au-dessus des montagnes
Le réalisateur franco-argentin Pablo Agüero a présenté, mardi, en avant-première, au Festival du film français à Prague, son nouveau long-métrage « Saint-Ex » qui sortira en salles en France le 11 décembre prochain et quinze jours plus tard en Tchéquie. L’histoire de ce film poétique se passe en 1930, lorsqu’Antoine de Saint-Exupéry, incarné par Louis Garrel, travaillait comme pilote de l’Aéropostale en Argentine. Il raconte sa quête périlleuse pour retrouver son ami Henri Guillaumet, disparu lors d’un vol de reconnaissance au-dessus de la Cordillère des Andes. Pablo Agüero nous parle de ce drame historique qui met en scène Vincent Cassel dans le rôle d’Henri Guillaumet et Diane Kruger dans celui de sa femme qui part à sa recherche aux côtés de Saint-Exupéry.
Pablo Agüero, vous êtes originaire de la Patagonie argentine, région qui a marqué Antoine de Saint-Exupéry, parce que c’est là-bas que s’est déroulée une partie importante de sa vie d’aviateur. Quand est-ce que vous vous êtes aperçu que vous vouliez tourner un film sur Saint-Exupéry ?
« J’aime dire que ce film est mon premier projet de film, auquel j’ai pensé quand j’avais cinq ou six ans déjà. C’est un peu paradoxal, parce qu’à l’époque, je ne savais même pas ce qu’était le cinéma. Nous vivions dans une petite cabane, sans électricité et sans eau courante. J’ai appris à lire très jeune, en lisant justement Le Petit Prince. Ce concept du livre illustré m’a inspiré. Quand j’étais petit, je faisais des espèces de petites bandes dessinées qui m’aidaient à vivre et à survivre. Je me souviens aussi avoir dessiné la silhouette de la Cordillère des Andes. C’est ainsi que j’ai commencé à rêver de raconter des histoires visuelles. Beaucoup plus tard, quand j’ai émigré en France, j’ai découvert l’histoire d’Henri Guillaumet, cette grande épopée du pilote qui a eu un accident au pied de l’Aconcagua. »
C’est là que vous êtes né, n’est-ce pas ?
« Oui, à Mendoza que survolaient Saint-Exupéry et Guillaumet. Alors j’ai un lien très personnel avec cette histoire. J’aurais pu faire un film d’aventure assez traditionnel, mais pour moi, il n’aurait pas correspondu à l’esprit de Saint-Exupéry. C’est quelqu’un qui a nourri nos rêves et demande une autre aproche. ‘Saint-Ex’ est donc à la fois un film d’aventure et un conte dont j’ai essayé de transmettre le côté innocent, simple et universel. »
Le Petit Prince était en réalité « une petite princesse d’Argentine »
Comment avez-vous construit le personnage d’Antoine de Saint-Exupéry ? Quelle est la partie du réel dans ce personnage, interprété par Louis Garrel, et celle due à votre imagination ?
« C’est très intéressant parce qu’on nous donne une idée du réel, surtout dans les biopics. L’acteur imite les grimaces du personnage étudié à partir de photos ou d’archives et on se dit : ‘Ah, c’est comme si s’était vrai !’. Il arrive que l’on rende ce personnage très sérieux, alors que la personne réelle était beaucoup plus dingue, plus étrange qu’on ne l’imagine. C’est souvent le cas : la réalité est beaucoup plus étrange que la représentation qu’on en fait. »
« En ce qui concerne Saint-Exupéry, j’ai notamment retrouvé les enregistrements de sa voix. Il utilisait des vinyles comme on utilise aujourd’hui WhatsApp. De cette manière, il a ‘écrit’ au grand réalisateur français Jean Renoir, en lui proposant de faire un film sur ce sujet, sur l’Argentine, sur ‘les petites princesses d’Argentine’ qui ont l’ont inspiré pour Le Petit Prince. Quand Saint-Exupéry parle, il n’a rien à voir avec la représentation qu’on se fait de lui ! Il est très drôle, il est en train de raconter son idée de film, et tout à coup, il dit : ‘Vous savez, je vais vous chanter une chanson parce que j’ai une très belle voix.’ Et il se met à chanter. Ensuite, il boit une coupe de champagne et il continue à parler… Plutôt que d’essayer de trouver un acteur qui lui ressemblait physiquement, de faire fausse tête chauve etc., j’ai voulu trouver cet esprit-là. Tout dans le film semble assez fantasque, mais il est pourtant très proche de la réalité. C’est un conte, mais qui raconte des faits réels et rigoureusement documentés, comme me l’ont confirmé les archivistes et le petit-neveu de l’écrivain qui préside la Fondation Saint-Exupéry. »
« Pour moi, il s’agissait de raconter comment est né le grand écrivain, le grand pilote et l’homme engagé qu’il allait devenir. Je trouvais que cette période-là était essentielle dans la vie de Saint-Exupéry. »
Noëlle Guillaumet, une oubliée de l’histoire
Que sait-on de son amitié avec Henri Guillaumet ? Et que sait-on de Noëlle Guillaumet, interprétée dans votre film par Diane Kruger ?
« Henri Guillaumet était le héros de Saint-Exupéry. Je trouve que c’est qui rend Saint-Exupéry grand, à savoir sa capacité à admirer d’autres hommes. Même quand Guillaumet n’était plus là, Saint-Exupéry fêtait son anniversaire avec d’autres gens. Il était tout le temps avec lui. Noëlle Guillaumet, quant à elle, est tombée dans l’oubli, comme beaucoup d’autres femmes dans l’histoire. Comme d’ailleurs les petites princesses qui ont inspiré Le Petit prince : personne ne parle d’elles, sans doute parce que c’étaient des filles. J’ai retrouvé la trace de Noëlle grâce au réalisateur Jean-Jacques Annaud, qui avait tourné un tout premier film IMAX 3D de l’histoire sur la disparition d’Henri Guillaumet dans la Cordillère des Andes. Lui, il avait réussi à retrouver Noëlle Guillaumet qui vendait des livres à Paris. On sait qu’elle était suisse, mais il y a très peu d’informations sur elle. Je sais qu’elle était capable de recoudre l’avion de son mari en plein vol à une époque. C’était une de ces femmes qui se connaissaient dans l’aviation et dans la géographie, qui faisaient partie de l’aventure des premiers pilotes. »
Dans le film, Saint-Exupéry entreprend une mission de sauvetage audacieuse, d’abord tout seul, ensuite avec Noëlle. Est-ce qu’on sait quelque chose de leur relation ?
« Sur ce point, j’ai dû partir le plus dans la fiction ou dans la reconstitution, parce qu’on ne sait pas grand-chose en réalité. Ce qu’on sait, c’est que Saint-Exupéry volait tous les jours pour chercher Guillaumet. Et qu’elle l’attendait, elle ne savait pas s’il était vivant ou mort. Et je me suis dit, sans doute, elle ne faisait pas que l’attendre. Il devait y avoir une vraie relation. Mais j’ai dû la réinventer. »
Le choix des acteurs s’est-il imposé tout seul ?
« C’était une évidence. Louis Garrel correspondait tout à fait à ma vision de Saint-Exupéry. Il a créé un personnage aventurier, rêveur et un peu maladroit, avec une espèce de nonchalance aristocratique. Il est à la fois drôle et mélancolique, intellectuel et physique. Guillaumet, il fallait qu’il soit le grand héros. Il est parfaitement incarné par Vincent Cassel. Pour Noëlle Guillaumet, qui était une Suisse allemande, j’ai pensé à Diane Kruger, aussi pour son côté atemporel. Elle a une espèce de glamour d’une autre époque. Je voulais donner au film cette espèce de patine. »
Pendant leur quête, Saint-Exupéry et Noëlle se rendent dans un cabaret un peu mystérieux…
« Ils sont allés chercher les contrebandiers qui traversaient la Cordillère des Andes. Ils étaient les seuls qui savaient monter à pied à cet endroit-là placé extrêmement haut. Dans ce cabaret, ils rencontrent un mafieux incarné par une star de rock en Argentine. On y voit aussi la chanteuse Yseult qui m’avait beaucoup marqué son attitude, sa manière d’être. Je voulais qu’elle joue dans le film, pour créer l’ambiance un peu folle des cabarets argentins des années 1920, tenus essentiellement par des Français. »
Comment s’est passé le tournage au niveau technique ? Comment avez-vous filmé toutes ces magnifiques scènes de vol au-dessus des montagnes ?
« C’était un processus de fabrication extrêmement long. Le travail sur le film a duré trois ans. On a fait plein de tournages différents en Patagonie, dans des conditions extrêmes. On alternait des tournages et des séances d’élaboration d’images, pour obtenir une teinte particulière. Tout cela pour essayer de réussir une apparence toute simple. Assez épurée, limpide, presque maladroite, comme si c’était un style d’enfant. Je me suis inspiré aussi de la manière dont Saint-Exupéry travaillait ses dessins. Il faisait beaucoup de brouillons. Ensuite, il les calquait pour atteindre cette innocence d’un enfant qui dessine pour la première fois. Créer une simplicité n’est pas du tout simple en fait… »
Avez-vous filmé avec des drones ?
« Oui, en plein hiver, alors qu'il faisait entre -20°C et -40°C. On attendait le lever du soleil derrière les tempêtes de neige. Au début, les drones tombaient gelés parce qu’il faisait trop froid. On a dû alors inventer un système pour chauffer les batteries, pour qu’ils puissent voler. »
Les choses les plus invraisemblables du film sont vraies
En travaillant sur le film, qu’avez-vous appris encore de nouveau sur Antoine de Saint-Exupéry ?
« J’ai surtout appris des choses très concrètes sur ses sources d’inspiration, notamment du Petit prince, sources qui étaient absolument inconnues, comme le fait que le personnage du Petit Prince était inspiré d’une fille qu’il avait rencontrée en Argentine, qui vivait avec un serpent et un renard… Tout cela est tombé dans l’oubli. Dans mon film, Saint-Exupéry rencontre au-dessus de la Cordillère un jeune berger. Cette scène semble sortie de mon imaginaire, mais ce personnage est également réel. J’ai retrouvé une photo où il est déjà vieux et il reçoit une décoration de la part du président français Jacques Chirac. Parfois, les choses les plus invraisemblables du film sont vraies. Comme le fait que Saint-Exupéry a tenté d’apprivoiser un phoque que l’on voit également dans le film. »
Avez-vous appris quelque chose sur vous-même ?
« Je pense que je n’avais jamais autant appris sur le cinéma, sur la fabrication d’un film. Je suis revenu aux méthodes artisanales de Georges Méliès. J’apprends beaucoup sur le public, sur la nécessité de travailler beaucoup plus pour atteindre cette simplicité dont j’avais parlé. C’est ce que je suis en train d’apprendre, cette humilité de l’artiste. »