« Dès le premier jour de la fermeture, nous avons décidé de rester ouverts »

Photo: La Petite conversation

Très apprécié des habitants d’Ostrava, le bistro La Petite conversation est, comme tous les autres bars et restaurants en République tchèque, fermé depuis la mi-mars. Quelques mois après son déménagement dans un local plus grand et mieux adapté à l’intérêt croissant pour son établissement, lieu de rendez-vous habituel des francophones et francophiles de la grande cité de Moravie-Silésie, le coup est dur pour son propriétaire belge, David Girten. Celui-ci s’adapte néanmoins à la situation pour faire face aux contraintes et aux restrictions.

Photo: La Petite conversation
« Ostrava a été une ‘ville morte’ surtout les deux premières semaines, mais les choses commencent à s’améliorer et à aller dans le bon sens depuis. Je pense que nous avons aussi eu de la chance avec la météo. Les propriétaires de restaurants peuvent se permettre d’offrir un service différent que les supermarchés. Les gens en ont un peu marre de cuisiner, ils peuvent donc venir chez nous le midi pour prendre un plat à emporter. »

Vous êtes belge, originaire de la région liégeoise. A la différence de la République tchèque, où il semble que l’on soit parvenu à maîtriser la diffusion de la maladie, la situation est autrement plus inquiétante en Belgique. Par rapport à ce que vous vivez en République tchèque, quel regard portez-vous sur la gestion de la situation dans votre pays d’origine ?

« Mon premier sentiment est d’incompréhension. En Tchéquie, on a par exemple obligé les gens à porter un masque du jour au lendemain. Ici, il n’y a pas vraiment eu de niveau 1, 2, 3... On a tout fermé pratiquement d’un seul coup, on a dit aux gens de porter le masque et de rester chez eux en quarantaine, et voilà. Bref, tout a été très rapide, tandis qu’en Belgique... Le masque n’est pas obligatoire. Quand je discute avec mes parents ou des amis, ils me disent qu’ils sont certes obligés de rester à la maison mais qu’ils sortent et vont au supermarché sans masque. A mes yeux, ce n’est pas logique. Les Tchèques ont été radicaux, mais je pense que cette attitude a des avantages et j’espère qu’elle portera ses fruits dans les deux à trois prochaines semaines. »

Pour La Petite conversation, pouvez-vous nous donner une idée des pertes en l’espace d’un mois et des mesures que vous avez prises pour limiter la casse ?

David Girten,  photo: Klára Stejskalová
« Dès le premier jour de la fermeture de tous les restaurants, nous avons décidé de rester ouverts (il est resté possible de vendre via une fenêtre, ndlr), non seulement pour sauver les meubles, mais aussi pour permettre aux clients habituels de continuer à venir chercher quelque chose à manger. Nous ne voulions pas participer à l’instauration d’une atmosphère de guerre et de fin du monde. En somme, nous avons voulu rester actifs. »

« J’avoue que les deux premières semaines ont été très difficiles. J’ai essayé d’ouvrir et de faire des livraisons à domicile le soir, mais cela n’a pas marché. A partir de la troisième semaine, nous avons donc décidé de rester ouverts uniquement sur le temps du midi en proposant quelques menus avec des soupes, un peu de sucré, une bouteille de bière à emporter, etc. Disons que cela nous permet de sauver quelques meubles... Nous sommes en perte, bien évidemment, mais nous voulons rester positifs, même s’il ne faudrait pas que la situation dure encore deux ou trois mois. Tout le monde est d’accord là-dessus. Nous pouvons encore tenir deux ou trois semaines. Ceci dit, je dois encore payer mes employés le 15 (l’interview a été enregistrée en fin de semaine dernière), et ce n’est qu’après que j’y verrai un peu plus clair dans mes comptes. »

« Les gens nous soutiennent, car ils ne veulent pas nous voir disparaître »

La Petite conversation est un établissement bien établi dans le centre d’Ostrava, comme en témoigne votre récent déménagement dans un local plus spacieux. Dans quelle mesure cette crise vous freine-t-elle ?

« Nous avons déménagé en décembre dernier. Donc, oui, ce n’est clairement pas l’idéal... J’ai investi un peu plus que ce que j’avais investi les neuf premières années dans un autre emplacement pas loin de l’actuel. Mais ce n’est pas non plus le moment de baisser les bras et de s’apitoyer sur son sort. La situation est ce qu’elle est, il faut tâcher de s’y adapter. Laissons couler encore un peu d’eau sous les ponts pendant deux à trois semaines, nous verrons alors où nous en sommes. »

Quid de vos employés, sachant que les relations employeurs-employés sont multiples notamment dans le domaine de la restauration ? Et quelles mesures d’aide parmi celles annoncées par le gouvermement, sont suceptibles de vous intéresser ?

« Au niveau des employés, nous avons effectivement un peu de tout. D’abord, pour ce qui des ‘dohoda’ avec les étudiants, qui sont en quelque sorte des contrats d’intérimaire et concernent les étudiants qui travaillent quelques heures par semaine de façon à pouvoir payer leurs sorties ou leur logement, c’est le plus simple : on ne les renouvelle pas. C’est en revanche plus compliqué bien entendu pour les employés à temps plein ou à mi-temps. Certains sont en chômage partiel, d’autres ont la possibilité de faire quelques heures sur le temps de midi avec quand même des horaires qui leur permettent de combler le manque à gagner (La Petite conversation est ouverte de 9h00 à 16h00). Certains d’entre eux prennent des jours de congé qu’ils prennent habituellement plus tard dans l’année. Pour moi, c’est une forme d’investissement, car de toutes les manières, j’aurais dû payer ces congés avant la fin de l’année. »

« Ensuite, deux personnes indépendantes travaillent aussi chez moi, qui me facturent leurs prestations. Elles sont dans la même situation que moi : moins il y a de travail, moins elles font d’heures et moins elles gagnent d’argent. Enfin, il y a ceux qui étaient en période d’essai. Celle-ci est d’une durée de trois mois. Je ne peux malheureusement pas renouveler leurs contrats, mais la ligne de conduite est néanmoins de discuter avec tout le monde pour trouver des solutions qui conviennent le mieux à toutes les parties intéressées. Personne ne sait combien de temps cette situation va encore durer, nous restons donc en contact. S’il faut rouvrir dans quelques semaines, je voudrais bien que tout le monde réponde présent, car il faudra alors mettre un gros coup de collier pour remonter la pente. »

« Pour ce qui est du soutien de l’Etat, pour l’instant nous n’avons reçu qu’une aide de 20 000 couronnes (770 euros) de la ville d’Ostrava, qui est destinée aux petits indépendants. Après, d’autres mesures sont envisagées, il est notamment question de la prise en charge de 60 à 80% des salaires de certains employés, mais ça reste encore un peu flou. Nous avons envoyé une demande, mais je ne compte pas vraiment là-dessus, même si j’espère qu’il y aura une aide de l’Etat. »

« Et puis il ne faut pas oublier que nous sommes exemptés de verser les cotisations sociales pendant six mois, depuis le mois de mars jusqu’en août. C’est quand même appréciable. »

Diriez-vous que les gens continuent de venir pour vous soutenir ?

« Ah oui ! Je pense même que cela vaut pour un grand nombre de nos clients. Leur démarche est clairement de nous encourager. Nous ne faisons que quelques livraisons à domicile, sinon les gens commandent deux ou trois plats à emporter, ils paient par carte et nous laissent un pourboire. Je pense qu’ils tiennent à ce que nous ne faisions pas faillite et restions à Ostrava. Alors que les deux premières semaines nous en étions à une trentaine de plats quotidiennement, aujourd’hui nous montons parfois jusqu’à septante. Ce n’est pas mal et cela nous permet de tenir le coup. Nous sommes aussi très actifs sur les réseaux sociaux de façon à attirer un maximum de clientèle. »