Des peintures d’enfants indiens sont exposées à Prague

'Peintures d'enfants de l'Himalaya', photo: Denisa Tomanová

Le Centre tchèque à Prague accueille, jusqu’au 27 mai, une exposition intitulée « Peintures d’enfants de l’Himalaya ». Son organisateur, le peintre Roman Kameš, qui se rend chaque année en Inde depuis vingt-cinq ans, a tenu à rassembler diverses œuvres d’enfants dessinées dans le cadre de ses ateliers mis en place dans plusieurs écoles du pays. Il s’agit là d’un témoignage précieux de différents points de vue d’enfants qui vivent parfois dans des conditions difficiles. Roman Kameš s’est converti en peintre paysagiste lors de son arrivée en Inde en 1992, car, comme il le dit lui-même, il avait « l’impression de s’être retrouvé immergé dans un immense tableau ». L’artiste aventurier s’est confié à Radio Prague lors du vernissage de l’exposition :

Roman Kameš,  photo: Denisa Tomanová
« J’ai déjà organisé plusieurs expositions à partir de peintures d’enfants, dans le cadre d’ateliers que je fais au Ladakh et dans l’Himachal Pradesh. J’ai commencé par Madrid, ensuite il y a eu plusieurs expositions en Allemagne, deux à Hambourg, puis au Luxembourg, à Paris. J’en ai organisé une toute petite Klatovy, il y a une quinzaine d’années. Et depuis très longtemps je n’avais rien fait sur Prague. J’ai donc demandé à l’ex-directeur du Centre tchèque Zdeněk Lyčka, qui lui-même est un grand voyageur, d’organiser cette exposition. Il était très enthousiaste, donc c’est pourquoi cette exposition est ici. »

Des ateliers dessins pour des enfants défavorisés de toutes les confessions

Comment est née cette coopération, cette idée d’ateliers de dessins dans les différentes écoles en Inde ?

« Je suis arrivé au Ladakh pour la première fois en 1992. Je faisais de la peinture pour moi-même, je faisais des traits avec des aquarelles. Et quand les enfants voyaient la boite d’aquarelles, des couleurs et le papier, ils étaient complètement fascinés. A l’époque, il n’y avait rien dans le commerce. Maintenant il y a vraiment très peu de choses, mais à l’époque il y avait strictement rien. Mais les enfants étaient fascinés, et c’est pourquoi j’ai eu l’idée de leur donner des cours de peinture. »

Quelles sont les écoles en Inde qui ont accepté d’accueillir ces ateliers ?

'Peintures d'enfants de l'Himalaya',  photo: Denisa Tomanová
« N’importe quelle école accepte des cours. Ils sont assez enthousiastes même s’ils ne comprennent pas vraiment ce que je fais. Mais il faut dire que dans la culture tibétaine au Ladakh, il n’y a pas de place pour la libre expression. Tout est extrêmement codifié, comme la peinture thangka mandala. C’est compréhensible, sachant qu’on ne peut pas se procurer de la peinture et que tout est très cher. Mais je peux vraiment aller dans n’importe quelle école et je serai chaleureusement accueilli. J’ai travaillé avec des réfugiés tibétains dans plusieurs écoles, des écoles typiquement ladakhi, comme l’école Lamdon. Ensuite, je me suis également rendu dans des écoles monastiques à Thiksey et à Phyang, où il s’agissait d’une école de musulmans chiites, puis dans une école hindouiste Pahari à Dharamkot. Je voulais travailler avec toutes les religions et toutes les ethnies. Pour l’instant, les seuls avec lesquels je n’ai pas encore travaillé sont les Frères moraves. »

Les Frères moraves ?

« Au Ladakh et dans l’Himachal Pradesh, il y a une communauté morave depuis la fin du XIXe siècle. Aux alentours de 1866 un missionnaire est arrivé en Inde et a commencé à évangéliser la population. Il a converti peut-être cinq cents familles. »

Etes-vous déjà entré en contact avec eux ?

« Je les connais, mais j’essaie de travailler avec les écoles les plus pauvres. Les Frères moraves ont des écoles bien tenues, ils ne sont pas pauvres. Mais j’aimerais bien essayer de travailler avec eux aussi. »

Comment se déroulent ces ateliers ? Les enfants reçoivent-ils un thème précis ?

L'école de Lamdon,  photo: Roman Kameš
« Il faut donner un thème au départ. Mais lors de la première leçon, je ne dis pas grand-chose, je les laisse travailler. Ils font à peu près toujours le même schéma : trois montagnes russes. Ensuite, je commence à les orienter, je donne des thèmes, où on s’éloigne de ce cliché. Et quand je vois qu’ils ont leur propre initiative, je les laisse travailler comme ils veulent. On commence par un thème, la première peinture suit ce thème, et pour la deuxième peinture, s’ils ont leurs idées, je les respecte. »

L’Inde, une palette de couleurs d’un immense tableau

Avez-vous perçu une différence dans la façon de peindre, de voir les choses, chez ces enfants, par rapport aux enfants européens ?

« Paradoxalement, je n’ai jamais enseigné en Occident... »

Peut-être par rapport aux enfants d’autres pays, si vous avez ouvert des ateliers dans d’autres pays également?

« Récemment au Japon, mais c’était très différent. Je n’ai jamais travaillé avec des enfants en Occident, mais je me suis aperçu que les enfants européens peignent à la maison mais de façon à ne pas se salir. Ils travaillent avec des techniques sans eau, avec des sortes de stylos Bic ou des feutres pour ne pas salir la maison. Mais moi je tiens à ce que les enfants au Ladakh s’expriment avec des peintures à base de techniques salissantes, car cela ne pose aucun problème pour nettoyer la salle ensuite. On utilise des peintures que j’amène et j’achète les papiers sur place. Ce sont des papiers qui viennent de Kalimpong, du West Bengal. En Europe ces papiers sont vendus à 3,90€. Ici, pour 1€ j’en ai trois ou quatre. Donc on ne se prive de rien. »

Vous qui avez vécu en France dès les années 1970, comment vous est venue cette passion pour l’Inde ?

Village de Chauntra au Tibet,  photo: Roman Kameš
« C’est venu un peu par hasard. J’ai rencontré un photographe tchèque qui vit depuis 1966 en Allemagne. Il a voyagé dans ces contrées à partir de 1974, au moment où le Ladakh a été ouvert au tourisme. Il est arrivé au Ladakh, puis il s’est rendu au Tibet, c’est un fin connaisseur de cette culture. Il voyageait avec une autorisation d’Indira Gandhi et de Rajiv Gandhi. Il en parlait, et moi je ne comprenais pas. Et en 1992, après m’être rendu dans pratiquement tous les pays, je me suis dit : « J’y vais avec lui ». Ça m’a pris tout de suite. C’est comme si je m’étais retrouvé dans un pays où j’avais vécu auparavant. »

Vous qui êtes un globe-trotter, qu’avez-vous trouvé en Inde, artistiquement parlant, que vous n’avez pas trouvé ailleurs ?

« De par le monde, j’ai trouvé beaucoup de choses. Mais j’ai trouvé quelque chose en plus en Inde. Je me suis aperçu qu’en Inde la vie religieuse est restée assez préservée, authentique, avec des expressions artistiques. J’admire la peinture indienne, les miniatures. Ils emploient les couleurs les plus pures, le jaune, le rouge, mais pas dans un sens expressionniste, comme dans la culture européenne, mais pour faire vraiment beau. »

Pénurie et manque de qualification des enseignants d’art

Par rapport au travail que vous faites avec les enfants, est-ce que vous voyez les fruits que ça porte ?

« Pour moi oui, mais la grande tristesse c’est que quand je m’en vais, il n’y a plus de peinture et tout s’arrête. Et l’année d’après je vais dans une autre école... »

Exposition à Sumdo,  photo: Roman Kameš
Vous choisissez chaque année une école où vous restez un certain temps...

« Oui. Mais il faudrait qu’ils embauchent beaucoup de peintres qui puissent enseigner. J’ai fait quelques tentatives, mais je n’ai pas trouvé de financements. »

Serait-il possible par exemple que vous initiez une personne sur place, qui puisse enseigner aux enfants par la suite ?

« Je me suis rendu compte que nous sommes vraiment ailleurs. Nous, nous connaissons l’histoire de l’art depuis 40 000 ans. Dans des pays comme le Ladakh, la connaissance est quasiment nulle. Nous avons un bagage incroyable, nous pouvons nous orienter très rapidement dans d’autres cultures. Disons, avec les enfants, c’est un très bon début. Dommage que cela ne continue pas. Mais pour former quelqu’un dans l’espace de quelques mois, c’est impossible. Même dans l’espace de plusieurs années. J’ai fait cette expérience une fois. Les Tibétains avaient formé une jeune fille qui était soi-disant ‘art teacher’, mais elle n’avait presque aucune culture picturale et historique. »

« Maintenant au Ladakh, ils commencent à comprendre qu’il faut préserver leurs monuments »

Faudrait-il faire quelque chose dans ce sens ?

« J’aimerais bien que cela se fasse, mais pour l’instant je suis vraiment le seul qui le fait. Je travaille depuis quatre ans avec l’organisation allemande Deutsche Tibethilfe. Il y a également d’autres organisations qui travaillent sur place, mais ce sont des organisations médicales. Il y a aussi des organismes qui restaurent des peintures. Il y a une vingtaine d’années, des peintures qui dataient du XVe siècle n’étaient pas restaurées mais elles étaient repeintes avec des peintures achetées à la droguerie, avec des laques glycérophtaliques. Les restaurateurs avaient dû mal à enlever cette deuxième couche de peinture. Mais maintenant au Ladakh, ils commencent à comprendre qu’il faut préserver leurs monuments. »

Quels sont vos projets ? Vous avez dit que vous avez ouvert des ateliers au Japon...

Photo: Roman Kameš
« En octobre, j’avais fait une exposition dans un musée au Japon. Sur place, ils étaient aussi enthousiastes de faire des ateliers, mais il y a une chose qui m’a vraiment surpris. Je suis arrivée dans la salle, et il n’y avait que des grandes filles de 16 à 18 ans, parce que les petits enfants ne veulent plus peindre. Ils jouent aux jeux électroniques. Il n’y avait donc que des jeunes filles, très philosophes. Il n’y avait aucun problème de matériel, il y avait tout ce que l’on pouvait imaginer, des papiers japonais en quantité illimitée. C’était vraiment formidable. Cela m’a donné l’idée de poursuivre au Japon et la ‘Japan Foundation’ pourrait me soutenir dans cette démarche. L’atelier a eu beaucoup de succès, car il parait que les écoles japonaises sont très sévères. Ce sont des écoles où on apprend vraiment à un rythme effréné. »