Des réformes au détriment des familles avec des enfants

Jitka Rychtaříková dirige le département de géodémographie de l‘Université Charles. Sa participation au colloque intitulé : « L’Europe centrale dans la dynamique européenne », organisé récemment par le Cefres, le centre français de recherche en sciences sociales de Prague, est l’occasion pour nous de revenir sur la situation démographique de la République tchèque actuelle.

Jitka Rychtaříková,  photo: www.demografie.info
Jitka Rychtaříková : On a une baisse très forte de l’indicateur conjoncturel de fécondité, c’est-à-dire qu’on a actuellement environ 1,3 enfants par femme, ce qui est très peu par rapport à la France, qui a à peu près 2 enfants par femme. La tendance, en République tchèque, est de longue durée, ça fait déjà 10-15 ans qu’on a une fécondité extrêmement basse. Ceci implique un vieillissement de la population, qui va être très rapide après 2010.

Et où se situe la République tchèque, en Europe, en termes de démographie ?

Aujourd’hui, la fécondité est très basse, c’est aussi le cas des autres pays ex-communistes, mais en République tchèque, ça dure depuis longtemps. Dans les autres pays d’Europe, par exemple l’Europe du Nord, la fécondité est entre 1,5 – 1,7, en Europe occidentale, c’est à peu près la même chose. On peut évoquer aussi l’Europe du Sud, où la fécondité est également très basse, comparable aux pays ex-communistes.

Est-ce que vous avez une idée de la raison pour laquelle cette situation est particulière aux pays ex-communistes ?

Il y a des explications diverses. C’est surtout que les conditions pour la famille, pour avoir des enfants, se sont détériorées. Bien sûr, le niveau de vie s’améliore mais la différence entre le niveau de vie d’un couple sans enfant et une famille avec des enfants s’élargit. C’est donc plus difficile, aujourd’hui, d’avoir des enfants.

Pourtant, la République tchèque a des conditions particulièrement favorables au niveau des congés de maternité… ?

Photo: Commission européenne
C’est vrai : le congé maternité est parmi les plus longs du monde entier. Mais aujourd’hui, on ne veut pas mettre la femme au foyer, avec les enfants. Ici les femmes ont été habituées à travailler, donc c’est le manque de services pour les enfants qui joue le rôle le plus important. Auparavant, le réseau des écoles maternelles et des crèches était très répandu. Maintenant, les crèches ont disparu, il devient de plus en plus difficile de mettre ses enfants dans ces établissements préscolaires.

Quelles sont les principales conséquences à prévoir de cette démographie ?

Dans la sphère économique, pour l’instant on ne perçoit pas de conséquence sévère, mais on va les voir après 2010. On va avoir la proportion de personnes âgées qui va doubler, et donc un manque de personnes en âge d’avoir une activité économique. Pour l’instant, ça va, mais à l’avenir, la population va vieillir très rapidement. Il y a un taux qu’on appelle le taux de dépendance : le rapport entre les gens inactifs et les gens actifs. Ce rapport va doubler rapidement.

Est-ce que l’Etat tchèque cherche des solutions à ce problème ?

Photo illustrative: Archives de Radio Prague
Il faut dire qu’avant les élections, tous les partis politiques ont eu dans leur programme la politique familiale, se sont préoccupés de la fécondité basse, mais après les élections… Certaines mesures ont même été abolies. Les réformes adoptées maintenant sont plutôt au détriment des familles avec des enfants. Par exemple, concernant les impôts, il y avait une solution pour favoriser les couples aux salaires très inégaux : il était possible de payer des impôts communs pour balancer cette inégalité. C’était surtout pour les familles avec un salaire très élevé et un salaire très bas. Ce mécanisme de paiement des impôts a été abandonné. On peut évoquer d’autres mesures concernant par exemple les allocations familiales : avant, les allocations familiales étaient versées pour chaque enfant, aujourd’hui, c’est plutôt une allocation sociale et pas familiale, c’est seulement pour les familles qui sont pauvres, pas pour la classe moyenne. Toutes ces allocations ont joué un rôle important dans le budget familial dans le passé : un quart du budget familial était représenté par ces allocations diverses, aujourd’hui, elles ne signifient presque rien. C’est l’atmosphère d’insécurité, d’instabilité qui fait que les gens ont peur d’avoir des enfants, parce qu’ils ne savent pas ce qui va se passer dans l’avenir.

Concernant les crèches et les écoles maternelles, est-ce que les gouvernements ont proposé des solutions ?

Photo: Commission européenne
C’est l’inverse, le gouvernement pense donner une certaine somme d’argent aux gens pour payer des gens qui garderaient les enfants, mais cette somme est dérisoire. Et on préfère mettre les enfants dans des établissements contrôlés par l’Etat, avec des professionnels…

Que préconisez-vous pour enrayer le problème du vieillissement ?

Il y a seulement une solution : augmenter la fécondité tchèque. Mais pour ça, il faut construire ou établir le système de garde d’enfants préscolaire, bon marché, accessible à tous. Il faut aussi créer une politique d’égalité hommes/femmes. Elle est formelle, mais en réalité, pour une femme avec un ou deux enfants, c’est assez difficile de trouver un emploi. Je peux seulement ajouter que j’espère que les choses vont changer, peut-être pas immédiatement, mais dans l’avenir…