Des sénateurs tchèques alertent de la situation des Kurdes en Turquie
Le comité parlementaire du Sénat en charge des affaires étrangères et des questions de sécurité a adopté à l’unanimité au mois de mai une résolution condamnant la répression menée ces deux dernières années par le gouvernement turc à l’égard des Kurdes. Un texte symbolique important pour les près de quinze millions de Kurdes de Turquie dont la situation est peu médiatisée. Radio Prague en a discuté avec le sénateur Václav Láska, élu sous l’étiquette des Verts, qui a porté la résolution.
Ce que le sénateur a appris, en se référant à des spécialistes afin d’élaborer son rapport, c’est la façon dont les autorités turques ont organisé la répression contre les populations kurdes, au sud-est du pays, depuis que le PKK (le Parti des travailleurs du Kurdistan) a repris en 2015 la lutte armée contre Ankara. Le gouvernement du président Erdoğan considère que le PKK est un mouvement terroriste mais ce n’est pas sa seule cible : il a aussi criminalisé le parti kurde de gauche HDP, dont environ 10 000 membres ou sympathisants étaient en prison à la mi-2016.
Les opérations de l’armée turque ont entraîné les déplacements de près d’un demi-million de personnes et fait quelque 2000 victimes, dont 1200 civils. Voilà ce qu’on peut lire dans la résolution adoptée par les sénateurs tchèques, qui insiste sur le fait que les militaires turcs ne font plus la différence entre les combattants du PKK et les personnes civiles. Václav Láska :« En Turquie, la façon dont se présente la lutte contre le terrorisme a pris la forme d’une sorte de punition collective. L’armée turque principalement ne fait pas la différence entre des terroristes et les civils. En fait, elle considère de facto tout citoyen kurde comme un terroriste et elle se comporte en conséquence. Et les violences contre les civils ont été inacceptables, terrifiantes. J’ajouterais que, de mon point de vue, si vous souhaitez faire en sorte qu’une personne envisage l’option de la violence, voire l’option terroriste, le meilleur moyen est que vous-même vous terrorisiez sa population. »
Václav Láska le concède : sa résolution, qui s’appuie sur des rapports similaires adoptés par l’ONU ou le Parlement européen, n’a qu’une portée très limitée. Et ce peut-être d’autant plus qu’elle n’a pas été adoptée en session plénière au Sénat. Pour lui, son message est cependant d’autant plus important que la Turquie, pays membre de l’OTAN, dont les observateurs s’accordent à dénoncer la dérive autoritaire depuis le coup d’Etat raté de juillet 2016, se veut partie prenante de l’espace européen. Mais dans une société tchèque plus préoccupée par des sujets sécuritaires et par ladite crise migratoire, dans laquelle Ankara joue un rôle essentiel, le texte des sénateurs a peu de chance de rencontrer un véritable écho :« La République tchèque est actuellement dans une phase où se déroule un débat sur la question de savoir dans quelle mesure et à quel prix nous devrions être des défenseurs des droits de l’Homme. Nous avons derrière nous la période des années 1990 avec le président Václav Havel quand la République tchèque était considérée, sur la scène internationale, comme un pays qui en toutes circonstances promouvait et défendait les droits de l’Homme. Aujourd’hui sous le président Miloš Zeman et son prédécesseur Václav Klaus, nous sommes dans une position où nous donnons la priorité à nos intérêts économiques sur la défense des droits de l’Homme. Donc en quelque sorte, cette problématique discutée au Sénat entre dans le cadre de ce débat interne à la Tchéquie […]. Mais je crains que, sur ce qui devrait être mis au premier plan, à savoir la défense des droits de l’Homme, nous ayons beaucoup reculé. »
Pendant ce temps, la situation décrite dans la résolution reste d’actualité au sud-est de la Turquie. D’ailleurs, si le photographe français Mathias Depardon est détenu à Gaziantep depuis le 8 mai dernier, c’est parce qu’il serait accusé de « propagande terroriste », pour avoir pris des photos sur lesquelles se trouvait le drapeau du PKK.