Des travailleurs étrangers exploités dans les forêts tchèques

Des travailleurs immigrés escroqués dans les forêts tchèques ? C’est ce qu’essaient de dénoncer plusieurs associations en organisant cette semaine « la semaine des travailleurs forestiers, contre l’exploitation des travailleurs migrants dans le secteur forestier ». Plusieurs centaines de personnes venues du Vietnam, de Roumanie ou de Slovaquie ont travaillé plusieurs mois parfois sans jamais être payées.

Photo illustrative: Archives de Radio Prague
« Le premier mois, j’ai reçu un peu d’argent. Ils m’ont ensuite promis jusqu’à 15 000 couronnes. Mais je ne les ai pas reçues. Toutes les informations dont je disposais m’avaient été traduites par un interprète, mais je n’ai pas su avant ce que j’allais faire exactement et combien j’allais gagner. »

Nghia est vietnamien et il a 41 ans. Il est arrivé en République tchèque il y a deux ans pour chercher du travail. Il avait trouvé cet emploi saisonnier dans les forêts tchèques par petite annonce. Aujourd’hui, il compte parmi ces centaines de travailleurs étrangers qui n’ont jamais reçu le fruit de leur labeur. L’affaire a été révélée par un article publié dans la revue Novy prostor. Marek Čaněk, spécialiste des questions migratoires en République tchèque, en est le co-auteur. Il se bat aujourd’hui pour empêcher que l’exploitation de ces travailleurs étrangers ne recommence en 2011.

« Il y a probablement des centaines de personnes, d’origine du Vietnam, de la Slovaquie, de la Roumanie et d’autres pays qui ont travaillé pour des compagnies tchèques dans la forêt. C’était pour divers travaux. C’était en 2009 et 2010 et maintenant ça peut recommencer. On n’a rencontré aucune personne qui a été payée pour tout le travail qui a été fait dans la forêt. Il y a des gens qui n’ont rien reçu. Il y a aussi des cas où les travailleurs ont été menacés, surtout quand ils ont demandé leur salaire. »

Pour quels travaux avaient-ils été embauchés ? Et comment ?

« Ils ont eu divers contrats. Pour les migrants vietnamiens, il s'agissait surtout d'un grand groupe en 2009. C’était des gens qui avaient perdu leur travail dans l’industrie à cause de la crise économique. Pour eux, ce travail dans la forêt était une chance d’être à nouveau employé. On leur avait promis de les payer entre 10 000 et 15 000 couronnes. Au début, quelques groupes ont probablement reçu leur argent mais pas pour le deuxième ou le troisième mois. Finalement, ils se rendaient compte que c’était une escroquerie. Ce qui s’est passé, c’est que ces compagnies ont cherché d’autres travailleurs, en effectuant leur recrutement en Slovaquie, et en Roumanie. Cette histoire se répète, en 2009, en 2010. »

Ce ne sont pas des sociétés qui sont en banqueroute et qui soudainement n’ont plus les moyens de payer leurs employés ? C’est vraiment délibéré d’escroquer les gens qu’ils emploient ?

« Ce qui est important à dire, c’est que ces travaux se sont déroulés dans les forêts nationales. Pour ces travaux dans les forêts et les parcs nationaux, il y a des appels d’offre. Une des compagnies les plus grandes s’appelle Less & Forest qui a des sous-traitants comme les compagnies dont nous parlons. Au début, il s’agissait de la compagnie Affumicata, mais en 2010, il y a eu d’autres sociétés. Il y avait même plus de sous-traitants. Mais ce sont toujours les mêmes personnes, et la même façon de faire venir des gens de Roumanie et de Slovaquie, de les payer probablement au début, ou rien du tout. Quand les gens se rendent compte qu’il s’agit d’une escroquerie, ils s’en vont. Alors il y a beaucoup de travail non payé. Et en plus, il y avait des menaces de violence. Un article a été publié cette semaine sur le site Migrace on line. Il parle des expériences des travailleurs roumains. Il s’agit de plusieurs groupes qui sont venus travailler près de Kutná Hora, en 2010. Un d’eux a travaillé presque quarante jours. Finalement, ils ont été transférés dans le parc national du Krkonoše où ils ont demandé leur salaire. Le directeur d’Affumicata les a menacé de les tuer s’ils allaient à la police. Ils ont travaillé sept jour sur sept. »

Donc hors des lois du travail, sans respecter les réglementations…

Photo: Archives de Radio Prague
« Ils ont eu des contrats qui n’étaient pas réguliers. C’était des contrats de travail temporaire mais ce n’était pas respecté. Le problème, c’est que ça continue. Il n’y a pas vraiment d’intérêt de la part de la police ou des institutions pour s’occuper de la question. C’est pour cela qu’on s’est organisé, avec plusieurs initiatives, parce qu’on sait que ces gens, qui n’ont pas été payé pour leur travail, qui ont été humiliés et menacés, n’ont aucune chance devant la justice individuellement. Même nous, qui sommes un groupe organisé, nous voyons que c’est vraiment difficile de faire pression sur la police pour que l’enquête soit menée plus vite. »

Quels sont les recours de ces travailleurs ?

« C’est difficile parce que par exemple, la société Affumicata pourrait faire banqueroute d’un jour à l’autre, c’est vraiment instable, ce qui veut dire que c’est difficile de réclamer cet argent non payé. En même temps, on connaît les individus qui sont derrière ces sociétés. C’est la raison pour laquelle on essaie d’utiliser le droit pénal contre ces gens-là. Et en même temps, on ne sait pas vraiment chez qui chercher cet argent qui n’a pas été payé : si c’est chez les compagnies avec qui les gens étaient en contrat, ou si le vrai employeur ne serait pas Less & Forest…

Qui est une société publique ?

« Non, Less & Forest est une des grandes sociétés de l’industrie de la forêt qui gagne environ un quart des appels d’offre lancés par la forêt nationale tchèque. Ils ont coopéré avec ces sociétés, ces sous-traitants, et ils répondent qu’ils ne sont pas responsables de ce qui se passe chez leurs sous-traitants, et que ce n’est pas à eux de faire des enquêtes pour savoir si les employés de leurs sous-traitants sont payés. »

Photo: Nový Prostor
Ce n’est pas la première fois qu’il y a un scandale en République tchèque de travailleurs immigrés qui sont exploités par des sociétés et qui travaillent bénévolement contre leur gré. En tant que spécialiste des questions migratoires, voyez-vous beaucoup de cas similaires à celui-ci ?

« Je pense qu’il y a beaucoup de cas mais le problème, c’est que sur ce cas-là, on voit qu’il n’y a pas vraiment un grand intérêt de mener des enquêtes et d’arrêter des entreprises qui fonctionnent de cette façon. En même temps, je pense que ce cas est très intéressant parce qu’on voit les politiques de l’Etat à plusieurs niveaux, qui ont une influence sur ce qui s’est passé à ces migrants qui ont travaillé dans la forêt. Il y a une interaction de la politique de l’Etat en ce qui concerne la régulation de l’économie de la forêt, la régulation des questions migratoires et la question du marché du travail. Et là, on voit que l’Etat, par sa politique de la forêt, crée des conditions précaires de travail. Il y a un intérêt à faire travailler les gens à bas prix. Et d’un autre côté, par sa politique migratoire, l’Etat crée une situation où les travailleurs n’ont pas recours à leurs droits. »