Disparition de l’écrivain et éditeur Josef Škvorecký
Mardi, l’écrivain et éditeur tchèque Josef Škvorecký est décédé à Toronto à l’âge de 87 ans des suites d’un cancer. Sa disparition laisse un grand vide dans le monde littéraire tchèque et mondial.
En tant que lecteur ou ami il m’est difficile de définir ce que cette personnalité signifie dans le contexte littéraire international. Bien sûr, on peut se demander ce que sa littérature va signifier à l’avenir, pour les générations futures, on peut se demander ce que ses articles, ses critiques littéraires signifient pour nous. Par exemple, ses critiques littéraires se lisent comme des romans. C’est très attrayant ! Pour nous, qui avons eu le bonheur de publier quelques livres chez lui, aux éditions Sixty-Eight Publishers, c’est une perte importante. Pour définir la personnalité de Škvorecký, il faut dire que c’était un très bon écrivain, pas égoïste du tout : il ne se consacrait pas uniquement à sa littérature, à lui-même, à son écriture. Il était capable de sacrifier beaucoup de son énergie et de son talent aux autres. »
Vous le rappelez très justement : en 1969, Škvorecký et sa femme émigrent pour le Canada. C’est là qu’ils fondent les éditions Sixty-Eight Publishers. Il faut dire que ce sera un travail de tous les jours, dans lequel ils vont investir toute leur énergie, qu’ils financent eux-mêmes…« Et quel travail ! Ils n’avaient pas de personnel, ils faisaient tous eux-mêmes. Je me rappelle très bien combien de travail cela avait représenté pour publier un de mes livres. Tout cela se faisait à la machine, sur papier, sans ordinateur à l’époque. C’était très fatigant. Il faut aussi préciser qu’il a émigré à l’âge de 48 ans, un âge où l’on hésite peut-être à changer sa vie. Il a pourtant eu le courage de le faire. »
Josef Škvorecký, éditeur, écrivain, propagateur et amoureux de la littérature américaine. Il adorait les polars et le jazz. Avec toutes ces affinités artistiques, littéraires, esthétiques, il ne pouvait que déranger le régime communiste…
« Oui, c’était quelqu’un qui aimait tout ce qui gênait le régime communiste. Il a été l’un des premiers traducteurs des grands romanciers américains, comme Raymond Chandler. Il l’a traduit génialement et tout le monde par la suite l’a lu et cité dans les années 1970. »Il faut rappeler que son premier roman Les lâches est immédiatement mis au pilori par les autorités communistes. Il décrit en effet la libération de sa ville natale, Náchod, par les troupes soviétiques, un récit qui ne correspond pas exactement à la version officielle…
« Exactement. Même si pour moi, ce n’est pas le roman le plus intéressant. Mon préféré reste Miracle en Bohême que je relis de temps à autres et qui m’apporte toujours autant de plaisir. »
Jiří Gruša, Arnošt Lustig, Ivan Martin Jirous, récemment Václav Havel. C’est une liste noire de personnalités de la culture tchèque qui disparaissent les uns après les autres. C’est aussi une génération qui disparaît. Qu’est-ce que cela vous inspire, qu’est-ce qui disparaît avec eux et y a-t-il une relève ?« Tous ces gens étaient membres du PEN Club tchèque. Pour nous, c’est vraiment une perte immense. C’est en effet une génération qui disparaît peu à peu. J’ai encore quelque collègues qui ont 70, 80 ans. Il faut réaliser que c’est la vie : on vit, on travaille, on disparaît. Mais quand ça s’accumule ainsi, en quelques mois, on se demande si c’est le destin qui veut vous dire quelque chose. Pour le peuple tchèque, pour le peuple littéraire, pour ceux qui aiment lire, pour le PEN Club, c’est une grande perte. Il faut organiser une soirée à la mémoire de tous ces hommes, et surtout, relire leurs livres. »A noter que les éditions Gallimard ont sorti en octobre dernier Une chouette saison de Josef Škvorecký, dans la traduction de François Kérel.