Disparition de Magor, le « maboul », père spirituel de l’underground tchèque
Jeudi s’est éteint le poète Ivan Martin Jirous, grande figure de l’underground tchèque. Il avait 67 ans. Surnommé « Magor », le « maboul » ou le « cinglé », Ivan Jirous était une grande gueule attachante et un des symboles de la lutte anti-communiste par l’art et la dérision. Un peu comme si Serge Gainsbourg avait vécu dans la Tchécoslovaquie d’alors. Comme beaucoup d’autres, il en a, à l’époque, payé de sa liberté ; des séjours derrière les barreaux doublés d’une vie rock’n’roll, qui ont aussi laissé des traces.
Avec le décès d’Ivan Martin Jirous, difficile de ne pas se dire que c’est une certaine génération de Tchèques qui est appelée à disparaître dans un proche avenir. Une génération marquée par la dissidence vis-à-vis du régime communiste, mais aussi par les excès en tous genres.
Né en 1944, Ivan Jirous a fait des études d’histoire de l’art, mais aucune carrière scientifique ne l’attire, d’autant moins au sein d’un régime dans lequel il ne se reconnaît pas.
Dès les années 1960, il écrit des articles mais aussi des textes poétiques dont il dit qu’ils doivent se lire « comme on lit le bottin ». František Stárek, dit Čuňas, ancien dissident et proche d’Ivan Jirous :
« Je pense qu’on ne peut pas réduire sa personnalité à celle de poète. Il faut se rendre compte qu’il a surtout formulé les grandes lignes de l’underground tchèque. Des milliers, voire des dizaines de milliers de jeunes ont vécu et se sont créés des échelles de valeur à partir de ces principes qu’il avait établis. »
Comme pour beaucoup d’autres en effet, la période de la normalisation modifie profondément l’existence de celui que, bientôt, tous appellent Magor - « le maboul ». Il se fait le manager, et donc le défenseur, du groupe de rock mythique de l’underground, Plastic People of the Universe. Dans les années 1970, il organise des concerts illégaux, des expositions interdites, inspire par sa personnalité de nombreux intellectuels en quête de sens dans un monde absurde. Intransigeant sur ses convictions et sur la nécessité de liberté, il passe en tout plus de huit années en prison pour raisons politiques. František Stárek :
« Il était avant tout une icône. La pureté de son caractère était toujours une sorte de miroir par rapport auquel on évaluait sa propre personnalité. Et il a passé du temps en prison, souvent à la place de personnes qui n’auraient pas supporté l’épreuve. »
Habitué des provocations en tout genre, imprégné de l’esprit rock’n’roll jusque dans sa vie quotidienne, alcool compris, Magor l’excentrique était aussi, pour ses proches, un homme chaleureux sur lequel on pouvait compter, un homme qui portait en lui une foi sincère, presqu’inattendue tant il fut iconoclaste. Ce n’est pas là le moindre des paradoxes des fortes personnalités. František Stárek :
« La foi l’a beaucoup influencé. Il était profondément croyant. Quand il fallait vaincre un obstacle, il s’appuyait sur sa foi. »
Au lendemain de sa disparition, les témoignages affluent pour rendre hommage au poète, au dissident, au compagnon de route et de galère. Parmi les souvenirs et condoléances exprimés, ceux de l’ancien président et ancien opposant Václav Havel ou encore de l’actuel ministre des Affaires étrangères Karel Schwarzenberg, qui, tous deux, ont souligné l’apport moral et intellectuel de Magor à la société tchèque.