Don Quichotte et les artichauts : les rencontres hasardeuses de Yan Zelenka

Yan Zelenka, 'Les artichauts sur une plaine'

Il cite Giacometti, Gauguin et surtout Cervantès, l’influence « classique » de Millet et le souci de sujets contemporains impliquant des routes bétonnées, des décharges et une bonne dose d’éoliennes. Si vous aimez la soupe et Don Quichotte vous aimerez les tableaux de Yan Zelenka, dont il a présenté une partie en avril à la Galerie 35 de l’Institut français de Prague. Radio Prague l’a rencontré à cette occasion pour parler de son travail à Paris, où il est installé depuis 1978, et de son imagination pour le moins surprenante.

Yan Zelenka,  'Les artichauts sur une plaine'
« Ça a commencé par une admiration tout à fait esthétique, par exemple pour les artichauts. J’ai toujours beaucoup aimé les objets et les personnages en mouvement, comme le mouvement vertical avec la chute ou la montée, l’envol, ou le mouvement horizontal et là c’est plutôt le vol. Tout ça s’est réuni dans des sujets où les fruits et légumes volent, c’était la première période. Pour donner une échelle, j’ai créé des personnages tout petits qui donnent ce côté gigantesque aux légumes. Il y a quelque chose peut-être légèrement surréaliste là-dedans, c’est-à-dire des légumes gigantesques et des personnages tous petits. En cherchant des personnages concrets j’en ai trouvé que tout le monde connaît : Don Quichotte et Sancho Panza. Je suis resté sur ce sujet pendant quatre ans. Dans la période suivante, assez récente, Don Quichotte et Sancho Panza sont restés et le sujet n’était plus les légumes mais les éoliennes. J’ai suivi cette histoire de Don Quichotte, on sait qu’il est très allergique à tout ce qui ressemble à un moulin. J’ai aussi eu une période où je peignais des montagnes et il y a ce tableau où la montagne est traversée par une route. C’est l’expression d’une certaine violence des technologies modernes qui coupent la montagne d’une façon très dure pour faire passer un élément de la vie contemporaine. Et puis, en s’occupant toujours des fruits et des légumes – c’est la dernière période, je les ai laissés posés en tas. C’est une décharge. Il y a un côté décadent, car ces fruits et légumes sont vraiment ‘fatigués’, comme il faut pour une décharge. Quelquefois ce sont des rencontres hasardeuses qui se sont passées dans ma tête. »

Vous avez mentionné Don Quichotte et Cervantès comme une source d’inspiration. C’est vrai qu’on sent beaucoup la littérature dans vos tableaux avec ce côté un peu fantasque, un peu dans l’absurdité. Est-ce que vous avez d’autres sources d’inspiration littéraire ?

Yan Zelenka,  'A travers le mont',
« A ce moment là, non... C’est vrai que la lecture m’inspire quelques fois, même assez souvent, mais à cette période là c’était surtout Don Quichotte. Et puis il y avait des sujets confrontés aux artichauts géants... Mais là, ce n’était pas de la littérature, c’était l’Angélus de Millet. J’ai trouvé l’inspiration dans la peinture classique : les grands artichauts et les tous petits fermiers qui prient, c’est l’Angélus de Millet. Oui, c’est une confrontation avec les arts plastiques classiques, avec la littérature classique. Maintenant, je peins des décharges et il n’y a pas de littérature là-dedans. Enfin, ce sujet des décharges m’est venu en lien avec la littérature. J’ai vu la fin d’une émission littéraire à la télévision où l’animateur présentait les ouvrages en vitesse, c’était tellement rapide qu’on ne voyait pas bien de quoi il s’agissait. Et sur une couverture, j’ai cru voir un tas d’où s’élevait une fumée. Et là j’ai eu cette idée de décharge, tout de suite j’ai pensé aux fruits. C’est une obsession, peut-être. En réalité je ne sais pas du tout si c’était une décharge... Je ne sais pas ce que c’était, c’est une inspiration complètement hasardeuse. »

Est-ce que votre départ pour la France a changé votre manière de peindre ou vos sources d’inspiration ? Est-ce qu’il y a eut un changement dans votre travail ?

Yan Zelenka,  'Vol des petits pois'
« En fait, que je suis parti pour la France je peignais très peu. A l’origine je suis sculpteur, j’ai fait les Beaux-arts ici à Prague et à l’époque j’étais dans la sculpture. Ça n’a pas changé très rapidement, juste un tout petit peu, parce qu’en arrivant en France, j’étais déjà très renseigné sur la sculpture française. En plus dans les années 1970, j’ai eu une bourse de six mois pour les Beaux-arts à Paris, une bourse du gouvernement français, alors je voyais très bien ce que je faisais à Prague même après mon retour, c’était très influencé par exemple par Ossip Zadkine que j’adorais. C’était quand même une vue de quelqu’un qui ne vis pas sur place, parce que Zadkine c’était beau, absolument beau mais c’était déjà de l’histoire et moi je n’avais pas envie d’admettre ça. C’était des choses plus contemporaines, déjà dans les années 1970. Cela s’est développé, toujours au niveau de la sculpture, après mon arrivée en France en 1978 avec une connaissance approfondie de Giacometti et d’autres sculpteurs contemporains. Sauf que je ne pouvais pas vraiment accepter un courant qui était très fort à l’époque : l’art conceptuel. C’est quelque chose qui m’est totalement étranger, même par pure spéculation je ne pouvais pas – je n’ai même pas essayé, je n’avais pas envie. Heureusement après c’était l’art postmoderne et ce qu’on appelle maintenant ‘contemporain’, c’est-à-dire quelque chose où l’on peut faire de tout, et ça a ouvert un espace de liberté. Il y a toujours un peu d’art conceptuel mais ils ne sont plus majoritaires, et ça c’est bien. »

Alors qu’est-ce qui vous a amené à faire plutôt de la peinture ?

Yan Zelenka,  'Les poires contre la mort'
« Même quand j’étais sculpteur je peignais toujours un peu à côté, et soudain mon inspiration s’est déplacé vers les sujets picturaux, de plus en plus. C’était ma période de fruits et légumes... Quelquefois c’était la musique qui m’inspirait. Maintenant je suis dans la peinture et je suis content, vraiment je ressens ce plaisir de la peinture, ce côté pictural assez jouissif qui laisse sa place au hasard. Quand j’étais petit, je peignais seulement pour faire des modelages, et ça a évolué comme ça. C’est un retour à l’enfance avec l’âge (rire). »

A votre avis, pourquoi autant d’artistes tchèques vont en France, à Paris, en Bretagne... ?

« Je pense qu’il y avait un culte de l’art français ici, en Bohême, parce que la France était une superpuissance artistique jusqu’à la fin des années trente. Ça a duré même après la guerre, dans les années 1950-1960. Je ne sais pas si le fait que la Tchécoslovaquie était un peu coupée des actualités de l’art en Occident que ce culte de l’art français a subsisté si longtemps. J’ai eu aussi l’impression que cela dépendait des mentalités de chacun, que les gens un peu romantiques migraient plutôt en France et que les gens pragmatiques et plus renseignés, plus au fait de l’actualité, allaient plutôt en Allemagne, en Angleterre, aux Etats-Unis. Mais bon, moi je suis à Paris, il ne s’agit pas seulement de centre artistique mais aussi de façon de vivre, et c’est en France que je préfère être. »