Du clergé médiéval jusqu’à Srinsky, une petite histoire de l’émigration tchèque

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Les émeutes de février dernier en Guadeloupe ont été commentées par les médias internationaux mais on a généralement oublié celles de mai 1967 à Pointe-à-Pitre, qui finirent de manière tragique. Aux sources des émeutes, on trouvait... un Tchèque ! L’occasion de rappeler les événements et d’esquisser, en toile de fond, une rapide histoire de la présence des Tchèques dans le monde.

Les émeutes de 1967 en Guadeloupe sont peu connues. Et pour cause, l’Etat français maintient ce qu’on pourrait appeler une espèce d’omerta sur ce crime qui fut tout sauf une bavure. Plus surprenant, on trouve, aux sources des émeutes, un Tchèque, dénommé Srinsky, commerçant naturalisé et installé de longue date en Guadeloupe. Tout commence en mars 1967, à Basse-Terre, dans le sud de l’île. Un Noir, petit cordonnier, vient s’installer devant son magasin de chaussures. Srinsky lui ordonne de partir et lâche finalement son chien-loup, qui attaque le cordonnier, infirme de surcroît.

Ce fait divers raciste et impuni mettra le feu aux poudres et les émeutes éclateront deux mois plus tard, en mai 1967 à Pointe-à-Pitre,. Il faut dire que l’affaire a engendré un véritable scandale. Srinsky est un personnage connu à Basse-Terre. Actif agent électoral de l’Union pour la nouvelle République, l’UNR, il est étroitement lié aux milieux gaullistes. C’est même un proche de Jacques Foccart, éminence grise de de Gaulle et qui jouera un rôle ambigu dans la répression, qui fera environ 80 morts parmi les manifestants, la police ayant tiré dans la foule. Quant à Srinsky, les autorités françaises jugeront plus prudent de l’expulser sur une autre île...

Aussi antipathique qu’il nous apparaisse, Srinsky est un exemple unique dans l’histoire tchèque, gaulliste et petit notable en Guadeloupe ! Un itinéraire qui tranche avec l’image résolument continentale qui s’attache aux terres tchèques.

Il faut dire que l’isolement commercial qui touche traditionnellement la Bohême-Moravie n’aide a priori pas beaucoup les mobilités internationales. Dès le Moyen-Age, le bassin tchèque se trouve à l’écart des grands axes commerciaux, qui passe soit au nord soit au sud, avec la voie danubienne. Des souverains essaient bien de remédier à cette situation défavorable. La tentative de percée vers la mer Adriatique, entreprise par Přemysl Otakar II, se solde par un échec. De même, Charles IV essaiera en vain de détourner les axes commerciaux vers la Bohême.

Jusqu’au XVIIIe siècle, toute vague d’émigration est de toute façon presque impossible. Le servage, qui fixe la population au sol, empêche tout déplacement important de population. Quand émigration il y a, elle est liée à une conjoncture politique ou religieuse tendue. Ainsi l’exil des membres du clergé catholique lors des guerres hussites ou celui des protestants après la défaite de la Montagne blanche - ils trouvent refuge en Saxe et en Prusse. Hormis ces saignées ponctuelles, on compte, jusqu’à l’époque baroque, peu d’émigrants tchèques.

Le XIXe siècle change radicalement la donne et voit les premières grandes vagues d’émigrations. Première destination : les Etats-Unis, qui accueillent pas moins de 400 000 Tchèques jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Durant l’entre-deux guerres, un certain nombre émigre également en France.

Pendant la période communiste, Tchèques et Slovaques peuvent passer à deux reprises à travers les mailles du rideau de fer. D’abord lors des deux premières années qui suivent le coup de Prague en 1948, quand cela est encore possible. Près de 100 000 personnes fuient alors le régime de Gottwald.

Plus importante, la vague d’émigration pendant l’année 1968, en particulier après le coup d’arrêt donné au Printemps de Prague. Il faut dire que cette année-là, la frontière de la Tchécoslovaquie avec l’Autriche est quasiment ouverte. On ne contrôle presque plus les véhicules qui sortent et ce sont au total 250 000 Tchèques et Slovaques qui quittent le pays. Dans certains pays, comme en Suisse, où ils sont 14 500 à s’installer à partir de 1969, ils représentent la première communauté immigrée du pays.

Miloš Šuchma
En 2008, Miloš Šuchma, installé à Toronto au Canada depuis 1968, et collaborateur de Josef Škvorecký, évoquait la communauté tchèque au Canada :

« L’émigration tchèque représente au bout du compte une parcelle de la société tchèque. Ils restent des Tchèques, même s’ils se sont imprégnés de la démocratie canadienne. Cela leur a d’ailleurs considérablement réussi comme à leurs enfants. »

Notez que les Tchèques n’ont pas toujours choisi l’exil en terres «occidentales ». A partir des années 1920 et des restrictions imposées par le gouvernement américain, certains opteront pour l’Amérique du sud, comme en Argentine et au Brésil. De même, à partir de 1968, une partie des citoyens tchécoslovaques opte pour l'Afrique du Sud ainsi que, dans une moindre mesure, pour certains Etats sud-américains, comme le Venezuela.

On compte aujourd’hui un millier de Tchèques en Afrique du Sud. L’un d’eux évoquait sur nos ondes son arrivée, avec sa famille, an août 1968 :

« Avant nous existait déjà un groupe considérable d’employés de Baťa, qui étaient venus dans la région du Natal pour travailler à l’usine Baťa. Je fis connaissance avec certains d’entre eux, ils étaient complètement assimilés. »

Les ancêtres de Srinsky, quant à eux, avaient été particulièrement originaux puisqu’ils avaient choisi de s’installer en Guadeloupe. Ce sera bien le seul point positif attaché à la mémoire du lâcheur de chien...