Retour difficile des exilés dans leur pays d’origine

Nous avons choisi quelques extraits tirés de la série d’articles publiés dans le quotidien Lidove noviny et qui ont été consacrés à l’émigration tchécoslovaque, à ses différentes vagues, à ses différentes aspects et facettes. Une façon de payer, ne serait-ce que modestement, la dette à l’égard de ceux qui, dans la deuxième moitié du XXe siècle, ont été contraints de quitter le pays, et dont on a assez peu parlé dans les médias nationaux.

Photo: Archives de ČRo7
« Le chapitre exil et émigration implique également les fuites à l’étranger qui ont mal tourné » peut-on lire dans une des récentes éditions du quotidien Lidové noviny qui rappelle que les rêves des nombreux Tchèques et Slovaques qui voulaient rejoindre le monde « libre » ont été violemment brisés sur le sol même de leur patrie d’origine.

S’appuyant sur les statistiques de l’Office de la documentation et de recherche sur les crimes du communisme, l’auteur de l’atricle écrit que dans les années 1948-1989, plus de trois cents personnes ont trouvé la mort lors de leur tentative d’évasion vers l’Autriche ou l’Allemagne, finissant leur vie fusillés, électrocutés ou noyés. Des centaines d’autres personnes ont été arrêtées et condamnées à de lourdes peines.

La fuite des Tchèques et des Slovaques a été particulièrement dramatique à la fin des années 1940 et au début des années 1950. Le journal en décrit plusieurs exemples, dont le cas de l’ancien pilote de la RAF, František Peřina, qui a réussi à fuir la Tchécoslovaquie communiste avec son épouse, le 11 avril 1949, en empruntant un petit avion sportif destiné à des vols à courte distance à l’intérieur du pays et qui lui a permis de franchir la frontière et d’atterrir au bout de quelques heures de vol en Allemagne. Le quotidien évoque, aussi, plusieurs cas d’avions enlevés. Plus loin, il ajoute :

« Techniquement parlant, les fuites après l’occupation soviétique du pays en 1968 ont été plus faciles que celles dans les années 1950. Beaucoup de gens ont pu émigrer, par exemple, via l’ex-Yougoslavie… Mais toujours, même dans les années 1970 et 1980, ils étaient obligés de vivre l’expérience difficile des camps de réfugiés et l’attente de l’asile politique ».

Le retour des exilés dans leur pays d’origine est un autre thème important traité dans les articles qui ont paru pendant la semaine écoulée dans le quotidien Lidové noviny et qui ont été consacrés au phénomène de l’émigration tchécoslovaque entre les années 1948 – 1989.

« Il est extrêmement difficile d’identifier le nombre d’exilés tchécoslovaques ayant fui le régime communiste détesté et qui sont retourné au pays après la chute de ce régime en 1989, car les statiques exactes font défaut », peut-on lire en introduction de l’un des articles signé du journaliste Adam Drda. Une chose est pourtant certaine : la majorité de ceux qui sont partis ont préféré rester dans leur pays d’accueil devenu leur patrie d’adoption, pour des raisons économiques, politiques, familiales ou autres. Il explique :

Photo illustrative: Archives de Radio Prague
« Une grande partie des gens qui ont émigré après février 1948 étaient trop vieux ou bien étaient déjà morts, des dizaines de milliers d’anciens citoyens tchécoslovaques se sont établis à l’étranger et y ont construit de nouvelles existences. Les motifs de ceux qui ont préféré ne pas revenir dans leur ancienne patrie sont très variés ».

L’hostilité manifestée par la population et les autorités de leur pays d’origine à leur égard a probablement aussi découragé une partie d’entre eux de revenir. Les résultats d’une enquête effectuée au début des années 1990 ont bel et bien montré que les émigrés avaient une « mauvaise réputation » aux yeux du grand public. En effet, les Tchèques ou du moins une grande partie d’entre eux, prenaient leurs compatriotes émigrés pour des « des gens qui s’étaient enrichis à l’étranger, n’ayant donc aucun intérêt sincère d’aider la république ».

« Vous n’avez pas vécu ici, donc vous ne comprenez pas notre situation ». Voilà un autre stéréotype très répandu vis-à-vis des émigrés. L’enquête mentionnée a également montré que peu de Tchèques semblaient prêts à reconnaître aux émigrés revenus le droit de vote, le droit de récupérer leurs biens dans le cadre de restitutions ou encore le droit de toucher une retraite dans leur ancienne patrie.

Un mélange de jalousie, de méfiance, d’ignorance, d’influence de la propagande communiste. Autant de caractéristiques qui, d’après le journal, saisissent le mieux la position de la population tchèque à l’égard des émigrés. Un constat émerge : le fossé entre l’exil et la patrie était bien plus profond dans le milieu tchèque que dans les autres pays de l’ex-bloc soviétique, notamment en Hongrie ou en Pologne.

Lidové noviny cite l’écrivain Lubomir Martinek qui est parti en 1979 en France et qui dit :

« Après 1989, les Tchèques n’ont pas su ‘exploiter’ dans le bon sens du mot leurs compatriotes. Des gens de qualité revenus d’exil – techniciens, juristes professeurs – étaient prêts à offrir leur aide, à enseigner, former, introduire des technologies… Les universités auraient très bien pu se débarrasser de gens incapables, de carriéristes issus de l’ère communiste en les remplaçant par des spécialistes mondialement reconnus. Elles ne l’ont pas fait. Les gens qui sont revenus après 1989 dans le pays, ont souvent reçu une douche froide ».

Pourtant, des milliers de Tchèques sont rentrés chez eux après la chute du régime communiste,. Les motifs de ces retours sont évidents : la nostalgie du pays, les liens familiaux et amicaux. Il y a eu des retours heureux, mais il y a aussi eu ceux qui ont été difficiles et amers. Le journal Lidové noviny cite la psychologue Olga Merlinova selon laquelle le retour dans leur pays d’origine peut être, pour les exilés, aussi difficile que le départ :

« Pour beaucoup de gens, la re-émigration a été le synonyme d’une détérioration de leur niveau de vie, de changement de leur mode de vie… Ils avaient à construire une nouvelle existence professionnelle, rétablir les liens familiaux et amicaux interrompus, créer de nouvelles relations. Le processus traumatisant qu’ils avaient à vivre au moment de leur départ, s’est répété en bien des points. Passer d’une culture vers une autre, c’est la tâche d’une vie ».

Le journal conclut son dernier chapitre qui est consacré à l’émigration tchécoslovaque depuis 1948 à 1989 en citant Ivan Medek, journaliste, dissident et ancien directeur du secrétariat de l’ex-président Václav Havel qui s’est éteint en janvier 2010. Ivan Medek a passé de longues années en exil en Autriche. Revenir à Prague était pour lui, d’après ses propres mots, une chose on ne peut plus naturelle.

A la question qui lui a été souvent posée, de savoir pourquoi il est revenu et quel regard il portait sur la situation peu réjouissante dans son pays natal, au lendemain de la chute du régime communiste, Ivan Medek a répondu :

« Je crois comme je l’ai cru durant les années de mon émigration que la situation peu réjouissante ne pourra pas durer pour toujours. Je pense qu’il existe toujours des moyens de se battre… La perte de l’espoir, c’est la fin, c’est la mort. L’espoir est une condition de la vie ».