Dusan Trestik, historien, médiéviste et lauréat du prix pour la vulgarisation de la science, n'est plus
Le 23 août dernier est décédé Dusan Trestik, historien spécialisé dans l'histoire politique, économique et culturelle de la Bohême et de l'Europe médiévale du VIe au XIIe siècle. Voici donc le portrait de cet historien disparu, qui avait exprimé ses opinions sur l'histoire de la nation tchèque lors d'un dernier entretien pour la Radio tchèque.
Le docteur Dusan Trestik a suivi ses études d'histoire et d'archivistique à Prague, mais aussi en France et en Allemagne. De 1958 jusqu'à sa mort, il a travaillé à l'Institut d'histoire de l'Académie des sciences. Auteur d'une série d'ouvrages, de monographies et d'études, il n'a pas pu enseigner à l'université. Ce n'est qu'après 1989 qu'il a pu participer à la vie publique en tant qu'intellectuel et auteur indépendant. Il était membre du Centre d'études médiévales et du conseil scientifique de l'Académie des sciences. Depuis 1997, il travaillait sur une série de monographies consacrées à l'histoire médiévale de la Bohême et de l'Europe centrale. Les plus connues sont « Les commencements des Premyslides », « Les mythes de la tribu des Tchèques » et « Les rois et les princes de la couronne de Bohême ». Sa spécialisation de médiéviste ne l'empêchait pas de s'exprimer sur des sujets politiques et culturels d'actualité. Ses observations établissaient des parallèles entre le passé et le présent. Dusan Trestik aimait réfuter les mythes enracinés dans l'histoire. Certains l'appelaient l'historien post-moderne. Comment percevait-il cette caractéristique ? Il l'a expliqué lui-même à la Radio tchèque :
« Je me rends compte que je vis à une période postérieure à l'ère moderne qui couvre, disons, les XIXe - XXe siècles, mais qui commence en fait beaucoup plus tôt, au XVIe siècle déjà, et à laquelle sont propres les XIXe - XXe siècles, en tant qu'époque porteuse d'une certaine idée, l'idée du progrès, basée sur un Etat national. Une idée qui appartient désormais au passé. Les certitudes liées à cette époque-là, les certitudes de Jules Verne, par exemple, sont révolues, nous sommes donc à la recherche de nouvelles certitudes, et ceux qui les recherchent, qui doutent des vérités éternelles, on les appelle les post-modernistes. Une injure... »
Un des mérites de Dusan Trestik était de rendre la science historique populaire et accessible. Une faculté qui lui a d'ailleurs valu de recevoir le prix Vojtech Naprstek pour la vulgarisation de la science. Son credo était le suivant : l'historien a l'obligation d'écrire des livres accessibles au grand public. L'historien ne peut exister sans son public. L'histoire qui n'est pas faite pour quelqu'un n'existe pas. Une stricte objectivité de l'histoire est impossible. L'histoire ne peut jamais être objective, elle doit toujours avoir son destinataire.
L'histoire, selon Dusan Trestik, c'est la narration des histoires. A quoi ressemblerait donc l'histoire de la nation tchèque ? Il en a aussi parlé à la Radio tchèque :
« Ce serait une histoire composée d'une série de transformations. La première a été l'adoption du christianisme et la naissance de l'Etat, l'un étant inséparable de l'autre. Cela a été une chose formidable, une révolution sociale, des idées et, en même temps, une ouverture aux courants venant de l'Occident. La deuxième transformation qui a eu lieu au XIIIe siècle reste toujours sous-estimée : c'est alors que le pays s'est modernisé, que les villes ont été fondées et les grandes surfaces de terre colonisées. La vie et la société ont complètement changé, et cette transformation a culminé avec l'ère de Charles IV, au début du XIVe siècle. La troisième transformation a été l'industrialisation de la Bohême, au XIXe siècle. Elle a marqué un changement de base pour la vie de la population. Le XIXe siècle est la période dans laquelle la société actuelle prend ses racines. L'anamnèse familiale de chacun de nous remonte au XIXe siècle, lorsque nos arrière-grands-pères, venus de la campagne, sont arrivés dans les régions industrielles pour y faire leur carrière. Certains ont payé cher les risques, mais la plupart ont réussi. Et ce sont ces carrières, chèrement payées par le sang et la sueur, qui font le code génétique de la nation tchèque. »Dans son entretien à la Radio tchèque, l'historien Dusan Trestik a également dessiné la différence qui existe dans la perception et l'autodéfinition des peuples d'Europe et d'Amérique du nord :
« En premier lieu, nous, ici, en Europe, nous vivons avec l'histoire. C'est l'histoire qui nous définit. A l'opposé de l'Amérique qui vit avec le futur. L'Amérique n'a pas sa propre histoire. C'est cela, la différence essentielle. Nous, quand nous nous interrogeons sur notre identité, nous nous tournons vers l'histoire. C'est valable pour l'Europe toute entière, partout. Bien évidemment, l'histoire est une accumulation énorme d'artefacts créés par les générations précédentes. Parmi ces artefacts, il y a notamment tout ce qui a été créé par l'Etat national tchèque au XIXe siècle : le Théâtre national, le Musée national, le panthéon au cimetière de Vysehrad. Voilà les créations de l'Etat tchèque qui, bien qu'il n'existait pas encore au XIXe siècle, a, de fait, existé, dans ces oeuvres créées à son image. »
Dusan Trestik est aussi l'auteur de l'ouvrage « Saint Venceslas », patron des Tchèques ayant marqué, d'après lui, non seulement le début de l'histoire de l'Etat tchèque mais aussi le début de l'idée de cet Etat et de sa continuité. A propos de la Première République tchécoslovaque, il a écrit qu'elle était, parmi les Etats européens aux prises avec le nationalisme, le communisme, les renversements et même les litiges locaux, une démocratie stable, et cela grâce à son président, Tomas Garrigue Masaryk. Sa dernière monographie intitulée « La Bohême au Xe siècle » est restée inachevée. Dusan Trestik est mort à l'âge de 74 ans.