E. Best: "Le radar était pour beaucoup de Tchèques une sécurité contre les intrêts russes ici"
C’est donc terminé, il n’y aura pas de radar américain en Bohême, Barack Obama l’a finalement annoncé lui-même ce jeudi. Pour parler du volet économique de cette affaire avec nous aujourd’hui, le journaliste et commentateur américain basé à Prague Erik Best.
Première question d’abord concernant les raisons, selon vous, de ce revirement américain, de ce changement de stratégie. Est-ce lié aussi, ou surtout, à une question d’argent ? Dans son intervention télévisée jeudi, Barack Obama a employé à plusieurs reprises le terme « cost-effective » pour le futur projet.
« Oui, je crois que l’argent joue un rôle, mais pas dans le sens où ce serait lié à la crise économique et qu’il faudrait économiser. Je crois que c’est plutôt une question d’efficacité du bouclier antimissile et il y a une question de savoir si le système prévu fonctionne et ne sera pas trop cher. »
Est-ce que les conséquences économiques de l’abandon du projet initial peuvent être importantes en République tchèque ?
« Cela va certainement avoir un effet parce qu’il y avait des contrats liés au bouclier antimissile et il y aura des sociétés tchèques qui vont avoir des pertes. Mais ce n’étaient pas des sociétés essentielles au système, la plupart du travail était réservé aux sociétés américaines. Dans le même temps, je pense que cela peut poser des problèmes en général pour les investissements américains en République tchèque. Et ça peut aussi ouvrir un peu la porte aux sociétés russes. Pour beaucoup de Tchèques, le bouclier n’était pas une question de sécurité en tant que telle, mais plutôt une question de sécurité contre les Russes et les intérêts russes qui veulent s’enraciner en République tchèque. Concrètement il y a la question de la centrale nucléaire de Temelín et il y a déjà des indications que ce seront des sociétés russes qui auront la plus grande participation aux futurs projets. »On sait que la centrale de Temelín fonctionne déjà avec du combustible russe...
« Exactement, les Tchèques ont déjà changé de fournisseur de combustible. Maintenant il est question de l’élargissement de la centrale. Il y a une société française, Areva, qui souhaiterait participer à ce projet. Quand j’ai entendu dire M. Sarkozy que la décision de M. Obama était une ‘excellente décision’, je me suis demandé s’il avait aussi considéré la possibilité que cela pouvait empêcher les intérêts français en République tchèque. »
Pensez-vous que le fait que le radar ne soit pas installé va réellement freiner les futurs investissements américains en République tchèque ?
« Il y a certainement un pressentiment en République tchèque que les Américains pourraient avoir une influence sur l’augmentation des intérêts russes ici. Je crois que c’est l’ancien premier ministre Topolánek qui avait même dit que c’était une menace, que sans le radar les Russes allaient élargir leurs intérêts en République tchèque. Il y a déjà des indications qu’il y a ici plus de présence de sociétés russes qu’auparavant. »
D’un autre côté est-ce que ce ne serait pas finalement une bonne nouvelle pour la République tchèque ? La population tchèque ne voulait pas de ce projet, mais Prague a montré que Washington pouvait compter sur son aide ; finalement les Etats-Unis n’en ont plus besoin, mais vont peut-être se sentir redevables. Ainsi les Tchèques pourraient obtenir des compensations pour ‘pas grand-chose’. Le ministre Kohout parlait jeudi à la TV de choses concrètes, entre autres de la possibilité d’envoyer un cosmonaute tchèque dans une navette américaine, etc. Ce serait seulement de la poudre aux yeux ?
« Oui, je crois que ce sont des choses qui ne sont pas très significatives, mais je crois qu’il y a des tranferts de technologie et d’autres contrats qui peuvent être plus intéressants. Donc je pense qu’il y a toujours des possibilités pour un peu d’échanges entre Américains et Tchèques. C’est vrai que pour les Tchèques c’est une bonne nouvelle dans le sens où la majorité était contre. Mais concrètement, en ce qui concerne ‘l’invasion’ des Russes, dans ce sens-là ça peut être négatif. Il faut cependant rappeler que les politiciens qui disent que les Russes sont une menace sont les mêmes politiciens qui d’une certaine manière permettent aux Russes de s’implanter ici. Donc c’est une chose très politique... Ce qui est très intéressant du point de vue des Américains est que M. Obama est le premier président américain qui a montré une bonne volonté de céder la place dominante des Etats-Unis dans le monde. Il était à Prague en avril et il a dit à peu près ça, qu’il fallait faire appel aux autres pays, que le monde n’est pas unilatéral, et qu’il fallait davantage coopérer. Je crois qu’on peut comprendre dans le même sens la décision d’enterrer le bouclier antimissile. »La fin de l’hyperpuissance ?
« Oui. »
Merci Eric Best, je rappelle que vous êtes un journaliste américain basé à Prague, fondateur de Fleet sheet, bulletin économique tchèque en anglais.