Économie/Commerce

Aujourd'hui, nous allons faire une rétrospective sur un vieux thème mais toujours d'actualité : la privatisation par coupons. C'est un modèle spécial Tchéquie, puisque aucun pays postcommuniste n'a expérimenté ce genre de privatisation populaire. Elle consistait à donner à tout citoyen, moyennant le paiement de 1000 couronnes de frais, sa part du patrimoine étatique privatisé par ce biais en 1990. Que reste-t-il aujourd'hui de cette expérience ? C'est la question à laquelle nous tenterons de répondre.

Des espoirs non atteints, c'est le sentiment ressenti par la majorité des petits investisseurs de la privatisation par coupons terminée il y a à peu près une décennie. On est loin du surnom donné à la Tchéquie à l'époque : La nation des actionnaires. C'est ainsi qu'on a écrit en parlant des Tchèques au début des années 90, alors que se déroulait la privatisation par coupons. Que reste-t-il aujourd'hui de ce que les journalistes ont appelé à l'époque : " la loterie des coupons " ? Sur les sept millions de nouveaux actionnaires au départ, un sur deux, à peu près, possède des actions. Mais il y a beaucoup moins d'investisseurs actifs, c'est-à-dire des investisseurs qui gèrent leur portefeuille. Les spécialistes estiment leur nombre à quelques centaines de milliers seulement. Autrement dit, la moitié s'est débarrassée des coupons, et, sur l'autre moitié, seul un faible pourcentage ne laisse pas moisir ses coupons dans une armoire. D'où cette conclusion des observateurs : la privatisation par coupons n'a pas attiré les citoyens tchèques pour investir sur le marché des actions. Au contraire, elle fut pour eux une mauvaise expérience. Elle le fut parce que les petits porteurs qu'ils étaient n'ont pas été protégés par la loi et se sont fait dévorer par les grands et les professionnels. Ainsi, la privatisation par coupons allait aboutir à l'effet inverse de l'effet recherché. Au lieu que les bénéficiaires des coupons prennent goût à l'aventure du marché financier, il est devenu pour eux source de défiance puisqu'ils s'y sont brûlé les doigts. Aujourd'hui, les sondages montrent que la majorité écrasante des Tchèques, soit huit sur dix, font plutôt confiance aux comptes bancaires classiques et aux livres d'épargne.

Pourtant, selon l'estimation des spécialistes, les acteurs de l'expérimentation de la privatisation ont gagné en moyenne dix fois la somme investie (donc à peu près 20 mille couronnes). Il n'empêche que la protection insignifiante des petits actionnaires a déçu des millions de personnes et a enraciné en eux le manque de confiance dans le marché financier en général comme nous venons de le dire. Les douze milliards de couronnes promis à l'origine aux clients des fonds d'investissement sont passés dans les poches d'escrocs ayant tout simplement mis à profit les carences des lois. Ce projet gigantesque, dont on espérait qu'il allait même faire école, sur lequel des experts de certains pays sont même venus se renseigner à Prague, avait en fait un talon d'Achille des plus insoupçonnables et des plus inattendus : l'absence, sur le marché financier, de règles du jeu justes. Un arbitrage faisait défaut. Et cet arbitrage était le défaut d'une Commission de surveillance du marché des valeurs, qui n'allait voir le jour que plusieurs années après. Des dispositions protectrices dans le code des sociétés commerciales n'existaient pas non plus. Certaines sociétés n'étaient pas cotées en bourses et sont parvenues par le jeu des assemblées générales, des votes et des quorums, à voter des résolutions désavantageuses pour les petits porteurs et à les écarter purement et simplement en effaçant leurs actions ou en leur offrant la valeur nominale payée au moment de l'achat. Sans compter que, déjà au moment de l'offre des sociétés, le sentiment régnait que les actions les plus juteuses étaient mises en réserve par les initiés et que, sauf accident, il ne restait à Monsieur-tout-le-monde que des broutilles.

Quel écho reste aujourd'hui de la privatisation par coupons ? Etait-ce une idée géniale ou une grande escroquerie ? L'idée de diviser les biens parmi les citoyens n'était pas mauvaise, seule l'exécution en a été mauvaise. Cinq ans après la fin de la privatisation par coupons, les politiciens avaient fini par admettre les faiblesses législatives de cette opération. Nombreuses sont les personnes qui, pendant longtemps, et peut-être même aujourd'hui, ne savent toujours pas quoi faire de leurs actions. Selon certains spécialistes, la privatisation par coupons, qui a démarré la voie tchèque du capitalisme, est jusqu'à ce jour l'un des événements les plus problématiques de l'histoire postcommuniste de la République tchèque. Elle reste toujours sujet de grand débat. Les uns (ceux qui ont crée et démarré la privatisation par coupons) soutiennent qu'elle était le moyen idéal de faire passer les biens de l'Etat aux mains des privés, ce qui a plus ou moins était réussi. Les autres (ceux qui ont participé au jeu des coupons ou ont tout observé de loin) sont, au contraire, convaincus que la privatisation par coupons, dans son ensemble, était seulement " une grande escroquerie de la nation tchèque".

Le moment de rupture dans la privatisation par coupons était la création des fonds d'investissement qui, par une publicité large et des promesses des gains importants, ont en principe tout démarré, en mettant, comme le fonds Harvard, des artistes et des sportifs tchèques célèbres à contribution dans les spots publicitaires. Des millions de gens, qui dans l'euphorie d'un capitalisme arrivant ont cru à la fructification énorme de leur argent, ont confié leurs coupons de privatisation à des fonds. Beaucoup les ont perdus.

Certains fonds de privatisation ont rapporté certains gains, mais leur montant n'a pas du tout atteint les sommes attendues par les propriétaires. Plusieurs fonds ont été vidés même de l'argent que les gens y ont mis moyennant leurs coupons. La langue tchèque a trouvé pour ce mouvement d'argent qui balance à la limite de la loi une expression « tunelovani ». Cela veut dire creuser les tunnels dans les institutions financières. Le mot a provoqué un tel intérêt qu'il est passé même en anglais (tunnelling).

« Nous avons commis une grave faute quand nous avons sous-estimé l'adoption des lois de régulation de l'économie du marché » a admis sur les colonnes du quotidien français Le Monde, l'un des pères spirituels de la privatisation par coupons et ancien ministre de la Privatisation, Tomas Jezek. N'oublions pas quand même qu'une partie de ceux qui ont investi tout seuls et sans l'aide des fonds d'investissement ont finalement gagné. Dans une Tchéquie sans expérience des affaires en 1990, ce n'est pas mal.

Auteur: Omar Mounir
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