« Krakatit », un roman d’anticipation de Karel Čapek inspiré d’une catastrophe

'Krakatit'

Il y a cent ans paraissait le roman Krakatit de Karel Čapek (1890 -1938). Un siècle après sa parution, l’ouvrage, qui développe une vision suggestive du danger menaçant la civilisation humaine, ne perd rien de son actualité.  

C'était comme l'apocalypse

Château de Chyše | Photo: Jana Strejčková,  ČRo

Après la fin de ses études, Karel Čapek devient précepteur du fils du comte Lažanský au château de Chyše, en Bohême de l’Ouest, non loin de la ville de Plzeň. C'est dans cette contrée charmante et assez isolée qu’il devient le témoin indirect d’un événément terrible qui bouleverse toute la région. Vladimír Lažanský, qui est aujourd’hui propriétaire du château de Chyše, tire de l’oubli cet événement catastrophique survenu un an avant la fin de la Première Guerre mondiale :

Vladimír Lažanský | Photo: Karolína Němcová,  ČRo

« Cela s’est passé le 25 mai 1917. Ce jour-là une usine de munitions a explosé à Bolevec, une commune située à une trentaine de kilomètres du château de Chyše. Cela a ressemblé à l’apocalypse. Il y a eu deux cent morts, dont beaucoup de prisonniers de guerre français, mais parmi les victimes se trouvaient aussi des adolescents de 14 à 15 ans qui travaillaient eux aussi à l’usine. Les autorités autrichiennes ont placé cette catastrophe sous le sceau du secret le plus strict. L’usine et ses environs ont été hermétiquement isolés et il a été formellement interdit à la presse de reveler quoi que ce soit sur cette explosion. Cependant, Karel Čapek, qui en avait quand même été informé par le comte Lažanský, a retenu ce souvenir dramatique et triste qui, six ans plus tard, lui a servi d’inspiration pour son roman Krakatit. »

L’explosion de l’usine de munitions à Bolevec | Photo: Wikimedia Commons,  public domain

Une invention diabolique

'Krakatit' | Photo repro: Karel Čapek,  'Krakatit'/SNDK 1966

L’ingénieur Prokop, qui est le héros du roman, est un jeune chercheur qui invente un explosif d’une puissance telle qu’il pourrait servir d’arme de destruction massive. Pour baptiser son invention, l’ingénieur emprunte le nom du volcan Krakatoa, connu pour son éruption explosive en 1883 qui a été une des plus dévastatrices de mémoire d’homme. Conscient du danger que représente son invention appelée Krakatit, Prokop en garde jalousement la formule chimique. Toutefois, il n’arrive pas à se protéger de l’intérêt croissant des fabriquants d’armes qui voient dans Krakatit un moyen de dominer le monde. Le politologue et journaliste Josef Mlejnek décrit les spécificités de cette invention diabolique :

Josef Mlejnek | Photo: Jana Přinosilová,  ČRo

« Il lui a suffi de dispercer Krakatit en petits tas à des endroits différents puis de le faire exploser à l’aide des ondes émises par une station de radio pirate. Cela a provoqué une explosion dévastatrice. Inutile de préciser les conséquences que cela pourrait avoir si des organisations terroristes venaient à disposer d’un tel explosif. Par exemple, le système antimissile américain serait tout à fait inefficace contre Krakatit. »

La trahison d’un ami

'Krakatit' | Photo: ČT

Malheureusement, Prokop tombe grièvement malade. Il souffre d’une méningite, il est même sur le point de mourir lorsqu’il est retrouvé dans la rue presque inconscient par son ami Tomeš qui l’emmène chez lui. Dans un délire fiévreux, Prokop laisse alors échapper une partie de la formule chimique de Krakatit. Conscient de la valeur de cette révélation, Tomeš décide de l’exploiter et abandonne le malade à son sort. Guéri, Prokop se lance sur les traces de cet ami traître. Une recherche qui le mène jusque dans le complexe militaro-industriel de Balttin. S’il ne retrouve pas Tomeš, Prokop est reconnu comme l’inventeur de Krakatit et retenu de force. On espère lui arracher son secret et le faire collaborer avec les marchands d’armes. Prokop refuse et déploie toute une série d’astuces pour résister aux pressions et échapper à ses gardiens.

'Krakatit' | Photo repro: Karel Čapek,  'Krakatit'/SNDK 1966

La théorie de la relativité

Pour écrire son roman, Karel Čapek a probablement étudié dans le détail les aspects techniques et scientifiques de la fabrication des explosifs. Un travail qui, aujourd’hui encore, suscite l’admiration de personnalités comme l’astrophysicien et vulgarisateur des sciences Jiří Grygar :

Jiří Grygar | Photo: René Volfík,  iROZHLAS.cz

« J’ai lu Krakatit quand j’avais onze ans, et ce qui m’a particulièrement captivé dans ce livre, ce sont les refléxions de l’ingénieur Prokop sur la théorie de la relativité. Je n’ai donc pas appris l’existence de la théorie de la relativité à l’école mais dans Krakatit. Et quand je relis ce livre plusieurs décennies plus tard, alors que je sais dèjà beaucoup de choses sur cette théorie, je reste frappé par l’ampleur et l’exactitude des connaissances de Karel Čapek concernant cette problématique. C’est une vulgarisation parfaite de la théorie de la relativité tout en étant une excellente œuvre littéraire. »

Un roman d'amour

Photo de film 'Krakatit' | Photo: Mémorial de Karel Čapek

Au-delà de son aspect de science-fiction, Krakatit est aussi un roman d’amour. Son héros rencontre successivement plusieurs femmes qui exercent sur lui un attrait érotique. Le personnage féminin principal du roman est la princesse Wille, une jeune aristocrate que Prokop rencontre au complexe de Balttin et qui lui devient de plus en plus chère. La liaison amoureuse qui se noue entre ces deux êtres très différents, est un des grands thèmes du roman. C’est une passion tumultueuse et douloureuse, pleine de malentendus, de déceptions et de surprises.

Nous savons aujourd’hui que durant la rédaction de son livre, Karel Čapek était tiraillé entre deux femmes. S’il connaissait déjà sa future épouse Olga Scheinpflugová, il ressentait aussi une profonde sympathie pour une autre jeune femme à laquelle il adressait de nombreuses lettres. Selon Josef Mlejnek, c’est précisément cette femme qui a servi de modèle pour le personnage de la princesse Wille :

Bohuvěra  (Věra) Hrůzová | Photo: Mémorial de Karel Čapek

« Il s’agissait de Věra Hrůzová, qui était fille d’un professeur à l’université de Brno. Elle n’a confié ce secret que la veille de sa mort, en 1979, à l’historien de la littérature Jiří Opelík. La correspondance entre Věra Hrůzová et Karel Čapek ne laisse la place à aucun doute. Cependant, la relation entre l’écrivain et la femme qui l’a tant inspiré, s’est terminée de façon très prosaïque. Au début de l’été 1923, Věra a annoncé à Karel qu’elle allait épouser le riche propriétaire de mines Josef Skoupil. C’est à ce moment-là que le travail de Karel Čapek sur son roman, jusqu’alors assez négligé, a pris une grande intensité. »

Face à la postérité

'Krakatit' | Photo repro: Karel Čapek,  'Krakatit'/SNDK 1966

Ici s’arrête notre tentative de résumer ce roman, car nous souhaitons laisser aux lecteurs curieux la possibilité de découvrir la suite de l’action pleine d’aventures, de passions, de mouvement, de passages oniriques et de coups de théâtre. Omniprésents dans ce livre, les motifs érotiques font figure d’exception dans l’ensemble de l’œuvre de Karel Čapek. Krakatit est le roman d’un auteur encore jeune et avide d’amour qui s’inspire pleinement de sa vie sentimentale.

Cependant, la postérité en retiendra surtout l’histoire de cet explosif annonciateur des armes nucléaires. Pour Josef Mlejnek, ce roman de science-fiction est aussi un avertissement :

'Krakatit' | Photo: ČT

« Bien que personne n’ait encore inventé Krakatit, l’explosif décrit par Karel Čapek dans son roman, peut-on exclure une telle invention à l’avenir ? Peut-on d’ailleurs exclure quoi que ce soit, compte tenu de la rapidité vertigineuse des progrès scientifiques et techniques ? Si l’on peut fabriquer un téléphone portable qui peut également servir de télévision, de radio, d’appareil photo, de boussole, d’appareil de navigation et que sais-je encore, donc un téléphone dont les fonctions auraient pu sembler tout à fait irréelles aux services secrets récemment encore, pourquoi ne pourrait-on pas réduire de façon semblable et rendre accessible par exemple une bombe atomique ? »

'Krakatit' | Photo repro: Karel Čapek,  'Krakatit'/SNDK 1966

C’est avec un grand esprit d’invention que Karel Čapek expose les dangers du progrès scientifique et le thème de la responsabilité des chercheurs dans son roman. Depuis un siècle, l’histoire de l’ingénieur Prokop rappelle à tous ceux qui travaillent dans la recherche, la nécessité de se poser la question de savoir si l’on ne peut pas abuser de leur travail, et si leurs découvertes, au lieu de servir l’humanité, ne risquent pas plutôt de participer à sa destruction.

Auteur: Václav Richter
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