Eliška, chef d’entreprise et bénévole : « Grâce aux réseaux sociaux, des millions d'Ukrainiens ont été sauvés »

Eliška Dobiášová Turková

Eliška Dobiášová Turková est propriétaire d’un atelier de couture à Poděbrady, ville thermale située à une soixantaine de kilomètres à l’est de Prague. Jeune maman de trois enfants en bas âge, elle fait partie de nombreux bénévoles qui viennent en aide aux réfugiés ukrainiens. Par l’intermédiaire des réseaux sociaux, Eliska co-organise, depuis son domicile, des convois de dons matériels à destination de l’Ukraine. Depuis le début de la guerre, elle a trouvé un hébergement et un travail à plusieurs dizaines de réfugiés.

Avec son mari, elle s’est engagée comme bénévole dès le premier jour de l’invasion russe en Ukraine :

« Au début, nous avons aidé les réfugiés directement à la frontière ukrainienne, nous leur avons fourni des informations nécessaires, pour qu’ils sachent à qui s’adresser en Tchéquie, nous avons cherché où les loger. Sur les réseaux sociaux, j’ai fait la connaissance de dizaines de Tchèques qui essayaient d’apporter leur aide, comme moi. Actuellement, je continue de coopérer avec quatre groupes de bénévoles. Ces groupes se sont formés de manière spontanée et fonctionnent indépendamment des grandes organisations, comme la Croix rouge. Ils sont principalement composés de femmes qui, en l’occurrence, travaillent pour la télévision et le cinéma. »

Convois humanitaires

Photo: Archives de Jana Rumpik

« Chaque semaine, nous organisons un convoi humanitaire. Moi-même, je contacte des entreprises qui apportent une aide matérielle. Puis nous collectons, auprès du public, des produits alimentaires et hygiéniques, ainsi que des vêtements. Je collabore aussi avec des professionnels de santé qui envoient en Ukraine des médicaments. »

« Concrètement, ces groupes qui sont liés l’un à l’autre chargent partout en Tchéquie quatre ou cinq grosses voitures et acheminent ces dons à la frontière ukrainienne. Ils sont ensuite transmis à des bénévoles ukrainiens qui les transportent là où les gens en ont besoin, de préférence dans les lieux un peu oubliés, qui ne sont pas forcément dans le viseur des organisations humanitaires. Actuellement, nous ciblons notre aide sur la région de Kyiv. »

Photo: Archives de Jana Rumpik

Eliška, ainsi que les autres personnes qui organisent les convois et qui ne se connaissaient pas entre elles avant l’éclatement de la guerre, sont en contact direct avec leurs collègues ukrainiens, via les réseaux sociaux. Ce lien leur permet non seulement de vérifier que l’aide humanitaire est bien arrivée sur place, mais également d’évacuer les Ukrainiens vers la République tchèque et d’autres pays.

Natalija, couturière à Poděbrady

« Dans les vidéos, nous pouvons voir que les produits sont déballés et transmis aux personnes concrètes. Nos partenaires en Ukraine nous disent ce qu’il faut envoyer la prochaine fois. Ils postent aussi sur les réseaux sociaux des appels, lorsqu’ils cherchent un hébergement pour les familles qui veulent quitter le pays. C’est ainsi que j’ai connu Natalija, une couturière ukrainienne pleine de talent que j’embauche désormais dans mon atelier. »

« Son histoire est terrible. Avec ses enfants, elle a fui la guerre deux fois : en 2014, quand elle a quitté Louhansk pour aller vivre à Odessa, et maintenant. A deux reprises, Natalija a été séparée de son mari qui continue à travailler dans une usine en Ukraine. Elle s’est adressée à moi lorsqu’elle était encore à Odessa où la situation devenait très compliquée. Avec l’aide de plusieurs autres personnes, j’ai réussi à la faire venir en Tchéquie, à Poděbrady, avec ses deux enfants. Ils ont traversé la Moldavie, la Roumanie, la Hongrie et la Slovaquie. En Hongrie, les douaniers avaient délivré à sa fille adulte un document suspect, dont personne ne comprenait le sens en Tchéquie. Mais à cause de ce papier, elle a eu du mal à obtenir son visa en Tchéquie et a même failli être rapatriée ou transférée en Hongrie. Avec mon mari, nous avons fait l’impossible pour qu’elle puisse rester et la Télévision tchèque a même tourné un reportage à son sujet. Il y a quelques jours, elle a finalement obtenu son visa tchèque. Nous lui avons trouvé du travail dans une école maternelle. »

Parrainer une famille ukrainienne

S’enregistrer auprès de la police et d’une agence pour l’emploi, ouvrir un compte bancaire tchèque, acheter un forfait de téléphonie mobile, inscrire les enfants à l’école… Les démarches administratives que doivent entreprendre les nouveaux venus sont nombreuses et parfois compliquées. Eliška Dobiášová Turková conseille aux Tchèques qui veulent aider les réfugiés et ne savent pas très bien comment, de « parrainer » une famille, l’accompagner dans son quotidien.

« Choisir une famille et lui montrer où se trouve le supermarché le plus proche, l’aider à communiquer avec l’administration, à inscrire les enfants à l’école, c’est une aide très précieuse. J’ai découvert par exemple qu’une banque tchèque offrait 2 500 couronnes aux réfugiés qui ouvrent un compte chez elle. Un opérateur de téléphonie mobile leur propose des appels gratuits en Ukraine. C’est bon à savoir ! Employer un Ukrainien est devenu aussi simple que d’embaucher un Tchèque, ce qui n’était pas le cas auparavant. Il faut juste remplir un formulaire de plus. »

Eliška et son équipe | Photo: Archives d’Eliška Dobiášová Turková

Avec l’anglais, on trouve un emploi plus facilement

Depuis le début de la guerre, Eliška a trouvé un emploi à des dizaines de réfugiés.

« Le plus simple, pour moi, est de trouver du boulot à une couturière. Avec mes amis, nous avons également aidé des institutrices, une économiste… Evidemment, les femmes qui parlent anglais trouvent un emploi plus facilement. Je connais une professeure ukrainienne qui enseigne les mathématiques en anglais dans une école internationale. En revanche, je peine à trouver du travail pour une ingénieure chimiste qui ne parle ni anglais ni tchèque. »

Poděbrady | Photo: CzechTourism

« Quand je cherche un emploi pour quelqu’un, j’appelle mes amis ou mes contacts professionnels. Ou alors je poste un appel sur Facebook. Il ne s’agit pas seulement de trouver un poste, mais aussi un hébergement et une place à l’école pour les enfants. Tout cela à la fois, pour que les familles soient encadrées et puissent vivre le plus normalement possible. »

Peu à peu, la vie reprend son cours pour les réfugiés installés en Tchéquie. Comme la ville de Poděbrady et sa région sont propices à la pratique du vélo, le mari d’Eliška en a déjà rassemblé une centaine dans le cadre d’une collecte destinée aux nouveaux arrivants ukrainiens qui ne disposent pas d’autre moyen de transport.

Ceux qui ont choisi de rester

Breberky | Photo: Archives d’Eliška Dobiášová Turková

Eliška continue, elle aussi, à gérer son entreprise Breberky, spécialisée en fabrication de couches lavables pour bébés et de serviettes hygiéniques réutilisables. Actuellement, elle organise une aide matérielle pour Olena qui attend la naissance de son premier enfant en juin et ne peut pas être évacuée d’Ukraine. Mais c’est la famille de la couturière Natalija, embauchée dans son entreprise, qui tient particulièrement à cœur à Eliška :

« Natalija et ses enfants voudraient rester en Tchéquie, ils sont contents ici. Sa fille est très heureuse à l’école maternelle où elle travaille et son fils qui va encore à l’école est déjà beaucoup mois traumatisé qu’à son arrivée. Au début, il ne parlait pas du tout, ce qui m’a fait peur. Mais dès qu’il a commencé à faire du vélo et du sport, car nous l’avons inscrit dans un cours d’arts martiaux animé par mon ami, il s’est épanoui. »

« Pour moi, cette famille est comme une lumière au bout du tunnel. J’ai pu la sauver grâce aux réseaux sociaux. Quoi que l’on pense de Facebook, d’Instagram ou de WhatsApp, je suis persuadée que les réseaux sociaux jouent un rôle très important dans cette guerre. Par le fait d’interconnecter les gens, ils sont extrêmement efficaces et permettent de sauver des millions de vies en Ukraine, depuis n’importe quel endroit du monde. »

Photo illustrative: René Volfík,  iROZHLAS.cz