Eliška Wagnerová, une juge engagée
Avec elle, c’est l’ère Havel qui continue peu à peu à s’achever. Elle, c’est Eliška Wagnerová, juge à la Cour constitutionnelle, dont le mandat s’achève mardi et qui, ces derniers temps, montre par ses déclarations retentissantes, qu’elle n’a pas la langue dans sa poche. Personnage public, elle peut se permettre de dire tout haut, ce que le citoyen lambda peine à dire tout court. Et évidemment, ses propos n’ont pas l’heur de plaire à tout le monde.
« Le jour où madame Wagnerová va achever son mandat à la Cour constitutionnelle sera un jour de fête pour la démocratie tchèque. Il s’agit là d’une déclaration politique et selon moi, elle entache la réputation de la Cour constitutionnelle. »
Telle a été la réaction immédiate du Premier ministre Petr Nečas aux déclarations d’Eliška Wagnerová au quotidien Právo. Mais pour la juge constitutionnelle en fin de mandat, pas question de se laisser impressionner ou intimider :
« Ce qui me gêne, c’est le manque de sensibilité totale vis-à-vis des populations les plus fragiles, c’est-à-dire les personnes âgées, les personnes affaiblies ou les personnes handicapées. »
Alors que de plus en plus de voix, issues de la société civile se font entendre pour critiquer le gouvernement et ses mesures d’austérité drastiques, comme par exemple l’appel de Holešov, l’intervention d’Eliška Wagnerová vient ajouter du poids à ceux qui estiment que quelque chose ne tourne pas rond dans le système. En clair, elle est révélatrice d’un conflit majeur qui agite la société actuelle : quel visage doit avoir la société tchèque à venir ?« Bien sûr, il faut faire des économies. Mais ce n’est pas là le principe constitutionnel suprême. Nous avons un ordre constitutionnel qui implique de nombreux principes. Et pour moi, parmi les plus importants, il y a la dignité humaine, le respect de la dignité humaine. »
Des paroles qui se font rares à une époque où « austérité » et « compétitivité » sont les maîtres mots d’une majorité de personnalités politiques.
Eliška Wagnerová, née en 1948, a un parcours atypique, mais similaire à celui de certains Tchèques : avocate jusqu’en 1982, elle choisit alors l’exil, en Allemagne, puis au Canada. A l’étranger, elle aide les Tchèques qui fuient le régime et travaille également en tant que journaliste, et même serveuse. Revenue au pays au milieu des années 1990, elle est nommée en 2002 par l’ancien président Václav Havel à la Cour constitutionnelle. Son départ de ses fonctions, mardi, témoigne, après la mort de celui-ci en décembre, une des étapes de la fin de cette ère Havel, marquée par la présence à des postes importants de personnalités guidées par une certaine idée de la morale. Côté gouvernement, les récentes déclarations d’Eliška Wagnerová ont évidemment scandalisé, d’aucuns arguant qu’elle dérogeait à la réserve liée à sa fonction. Mais pour Jiří Přibáň, expert en droit constitutionnel, ces accusations sont largement exagérées :« Je ne pense pas qu’Eliška Wagnerová soit obligée d’attendre pour s’exprimer car de facto, elle a déjà fini son mandat à la Cour. Elle ne va plus traiter aucun dossier. Donc l’accuser de menacer l’indépendance des juges est pour le moins mesquin voire malintentionné. Eliška Wagnerová a formulé quelque chose qui est le fond même de notre crise politique actuelle : la privatisation de la sphère de l’Etat et les tentatives de privatiser la justice. »En attendant, alors qu’une nouvelle période s’ouvre pour la juge Eliška Wagnerová, des voix commencent à se faire entendre, espérant qu’elle se présentera à la prochaine élection présidentielle qui se déroulera en février 2013, pour la première fois au scrutin direct.