Emigrés royaux en Bohême

Charles X
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Il y a deux semaines, nous avions évoqué la réception en Bohême de la Révolution française de 1789. Suite aujourd'hui, avec l'histoire des émigrés contre-révolutionnaires, qui trouvèrent, le temps d'un séjour ou d'une vie, refuge en Bohême. Et qui essayèrent souvent de faire revivre le passé monarchique français...

Malentendu et projection de soi-même ? Ces deux mots résument peut-être le rapport de Chateaubriand à Prague, lors de son séjour dans la capitale de Bohême en 1833. Pour lui, la Ville dorée apparaît surtout comme un cadre, un décorum pour son inspiration et ses réflexions. Elle lui permet d'atteindre l'intensité dramatique qu'il recherche pour évoquer les temps passés de la monarchie française. Et pour cela, la Prague multiséculaire est parfaite !

Ses notes sur son arrivée au Château de Prague, en mai 1833, évoquent directement une autre monarchie, celle des Habsbourg espagnols : «Nous passâmes trois salles sombres et presque sans meubles, je croyais errer dans le terrible monastère de l'Escurial.»

Prague
Objet de mise en scène, Prague ne semble pas intéresser l'écrivain en soi et ses contacts avec la société locale se limitent au comte de Chotek, qui l'invite à dîner dans son palais. Un séjour assez superficiel au total, qui n'aura pourtant pas entamé l'enthousiasme des Tchèques pour l'auteur d'«Atala», traduit en tchèque. Sans parler des Allemands de Bohême qui ont pu lire les nombreuses traductions en allemand de Chateaubriand.

Il faut dire que l'objet premier de son voyage est une mission confiée par la duchesse de Berry, mère des enfants royaux. Chateaubriand est chargé de négocier auprès du roi le maintien de son rang de princesse royale. Suite à une insurrection en Vendée, elle a en effet été arrêtée et internée à Bordeaux.

Le blason de la famille de Rohan
Cette requête d'Ancien Régime, environ quarante ans après l'abolition des privilèges, a quelque chose d'anachronique. Encore plus décalé, l'univers des Rohan en Bohême est un hommage permanent à la France monarchique. Les Rohan appartiennent à la première vague d'émigration consécutive à la Révolution de 1789.

L'installation de cette famille en Bohême a de quoi surprendre. C'est en effet une véritable et prestigieuse dynastie française. Aux origines de ce grand lignage, on trouve un obscur seigneur breton, le chevalier Guethenoc. Très vite, on retrouvera constamment la famille aux côtés du roi de France, en tant qu'évêques ou grands généraux. 1789 sonne le glas de leur assise politique. Dépossédés de leurs propriétés, ils décident d'émigrer et d'offrir leurs talents militaires à l'Autriche contre-révolutionnaire.

En 1808, l'empereur Franz Ier délivre à Charles Alain Gabriel Rohan le titre de duc. Dans les années 1820, Rohan acquiert le château de Sychrov dans le nord de la Bohême, un château baroque qu'il rénove en style néo-Renaissance et néo-gothique. Lieu d'habitation, c'est aussi un vaste musée de légitimation de la famille.

Henri de Rohan
Dans la cour du château figurent les noms des branches de la famille (Guémené, Polduc, Rochefort...). Les portraits qui couvrent l'ensemble des intérieurs rappellent les plus lointains ancêtres des Rohan, pour mieux affirmer le cru du sang bleu. Avec 240 portraits, le château constitue la plus grande collection de portraits de nobles et souverains français hors de France ! Et l'édifice se mue à nouveau en musée familial. On aperçoit par exemple le général Henri de Rohan, cousin du roi Henri IV de Navarre.

Comme pour le voyage de Chateaubriand à Prague, la nostalgie de l'Ancien Régime transparaît clairement dans les aménagements du château.

Charles X
Symbole d'un temps révolu, l'intransigeant et ultra Charles X séjournera, en 1834, quelques jours au château de Sychrov. Mais ce sera en tant que souverain déchu, quatre ans après la Révolution Des Trois Glorieuses. En octobre 1832, l'empereur d'Autriche François II a offert l'exil en Bohême au roi français. Il sera installé au Château de Prague, devenu un palais inconfortable et mal chauffé durant l'hiver. Son séjour est loin des honneurs réservés autrefois aux monarques de droit divin ! Les émigrés royaux quitteront d'ailleurs Prague en 1836 et ils s'installeront dans le sud de l'Autriche.

En attendant, le Château de Prague devient un reflet à l'état miniature des idées sur la royauté en France. Autour de Charles X, deux personnalités symbolisent deux courants contradictoires. Le baron de Damas, principal conseiller du roi et réactionnaire, et Joachim Barrande, représentant du courant jeune et progressiste mais qui démissionnera en 1833. Grand savant, c'est à lui qu'avait été confiée l'éducation du jeune duc de Bordeaux, Henri, héritier d'un trône plus qu'hypothétique.

Major de l'Ecole polytechnique, Barrande n'aura pas seulement donné son nom à une colline de Prague en face de Vysehrad. De célèbres studios de cinéma portant son nom y seront construits pendant l'entre-deux-guerres. Preuve de son attachement à son expérience tchèque, Barrandov lèguera en effet une partie ses collections et ses manuscrits au Musée national de Prague.