Emission spéciale à l’occasion du 17 novembre et du 70e anniversaire du Procès Slánský

Artur London (Stellvertretender Außenminister)

Le 17 novembre marque le 33e anniversaire de la révolution de Velours tchécoslovaque qui mit fin au régime communiste. La répression du pouvoir totalitaire inféodé à Moscou a été particulièrement funeste dans les années 1950 et le procès Slánský en est un des épisodes les plus symboliques et médiatiques, orchestré entre le 20 et le 27 novembre 1952.

Echappant à la peine capitale infligée à plusieurs autres condamnés dont Rudolf Slánský, Artur London est condamné à perpétuité avant d’être libéré quelque temps après et d’écrire ses mémoires, adaptées au cinéma  par Costa-Gavras dans le film L’Aveu.

Né à Prague, Michel London est le fils d’Artur et Lise London. Il figure avec sa sœur et son frère aînés dans le récent documentaire de Ruth Zylberman qui reprend des archives de ce procès stalinien. Il a répondu aux questions de RPI.

Le Procès Slánský | Photo: Archives nationales

Extraits

Que représente ce procès pour vous sept décennies après ?

Michel London | Photo: Archives personnelles de Michel London

Michel London : « J’avais un an à l’époque quand mon père a été arrêté, je ne l’ai pas vécu comme mon frère et ma sœur qui étaient plus vieux mais j’ai quand même des souvenirs d’enfant, notamment juste avant qu’on rentre en France. Ma mère travaillait en usine et elle a réussi à faire en sorte qu’on puisse quitter la Tchécoslovaquie fin 1954. Avant notre départ, je me souviens qu’on est allé voir mon père en prison, avec des cris dans un long couloir et mon père qui était debout et nous parlait. »

« J’ai aussi un souvenir de l’année 1956, quand il est sorti de prison en février. J’ai rejoint ma mère et mon père à Prague et je me souviens de lui qui m’attendait à l’aéroport. Après on a eu une vie normale. »

Une vie d’écolier tchécoslovaque normale ?

« Oui, il a fallu la première année que je réapprenne le tchèque que j’avais oublié en une année à Paris. Après j’ai fait ma scolarité à Prague jusqu’à l’âge de 14 ans et demi. Mon père est rentré à Paris en 1963, je suis rentré moi en 1964. La découverte du système scolaire français a été rude, j’ai eu -65 à ma première dictée de troisième, les points étant comptés en dessous de 0 ! »

De quand date votre prise de conscience que vos parents avaient un parcours atypique ?

« Déjà l’époque, mes parents avaient des amis français de résistance et de déportation qui passaient la nuit à discuter chez nous – j’avais quelques bribes qui me venaient aux oreilles… »

De la déportation, vos parents vous en parlaient ?

« On baignait dedans, parce qu’on voyait souvent des anciens déportés, notre mère nous parlait de certains événements. Il n’y avait pas de discussions précises… »

Nos carnets de santé dans les dossiers de la StB

Quelle a été votre réaction au premier visionnage du récent documentaire de Ruth Zylberman ?

« J’avais déjà vu quelques films d’archives et avais été horrifié, sutout par les dernières séquences quand tout le monde se déclare coupable et demande même la peine capitale… Le documentaire est excellent. Pendant le tournage, j’ai beaucoup sympathisé avec les autres enfants de condamnés, dont Marta Slánská et Ivan Margolius. Dans le film, notre passage aux archives est étonnant… »

C’est une des séquences émouvantes du film, avec votre fratrie devant vos dossiers StB qui renferment des choses très personnelles…

« Incroyable, même nos carnets de santé et de températures, les agendas de ma mère à sa sortie de camp… Cela m’a beaucoup rappelé une scène de L’Aveu, la perquisition avec les tiroirs renversés directement dans des cartons, et c’est exactement ce qui a dû se passer, sans aucun classement. »

Les archives des dossiers StB | Photo: ČT

1968 : « à droite c’est bon, à gauche des chars ! »

« Mon père a commencé à écrire son livre début 1968. Je passais les vacances à Prague et mes parents sont arrivés en voiture le 20 août vers 18h pour apporter le manuscrit à la maison d’édition des écrivains tchèques. »

La veille de l’invasion !

Photo: Gallimard

« La veille de l’invasion et je m’en souviens parfaitement. Ils dormaient dans un hôtel et moi chez des amis où il y a eu un coup de fil à 2h du matin nous annonçant l’invasion. Je suis allé à leur hôtel les prévenir à 6h du matin. J’ai frappé à la porte et mon père a cru que c’était la police – il faisait beaucoup de cauchemars encore à l’époque… Il a quitté l’hôtel pour aller habiter chez des amis et a voulu repartir le plus vite possible en France mais il a eu un problème de visa. Il a fallu qu’on aille avec ma mère obtenir un tampon grâce à un ami, Vavro Hajdů, et on a filé le lendemain par l’Autriche. J’étais arrivé au début du mois d’août et avec mes copains on disait ‘Zprava dobrý! Zleva tanky!’ (A droite c’est bon ! A gauche les chars), une plaisanterie qui hélas est devenue réalité… »

Vous sentiez-vous chez vous à Prague ?

« A l’époque oui, mon petit quartier. Ensuite je n’ai pas pu y aller pendant vingt ans, j’étais interdit de séjour. En revenant fin décembre 1989 avec ma femme, Prague me semblait être une toute petite ville, que j’ai redécouverte ! »

Prague en novembre 1989 | Photo: Mark Baker

Y avait-il une certaine nostalgie de la Tchécoslovaquie au foyer parental ?

« Je ne pense pas chez mes parents, ils en avaient tellement bavé… Par ailleurs mon père, né à Ostrava, avait vécu en Tchécoslovaquie jusqu’à l’âge de 18 ou 19 ans, parti en 1934 et revenu fin 1948, contraint parce qu’il n’a pas eu l’autorisation de rester à Paris. »

Interdit de séjour 

Comment votre famille a vécu le tournage de L’Aveu ?

« Mes parents avaient d’excellents rapports avec Semprun, Costa-Gavras, Montand et Signoret. Costa-Gavras raconte que mon père était en larmes lors de la projection. Mais ce qui a été vraiment difficile ce sont les campagnes menées contre lui à ce moment-là. »

L'Aveu (1970) Bande Annonce VF [HD]

Par qui et que lui reprochait-on ?

« Il était accusé d’être un traître, d’avoir trahi la cause, beaucoup d’amis de déportation et d’autres ne lui adressaient plus la parole. Certains dirigeants communistes, à commencer par Georges Marchais, ont vivement critiqué le film, l’accusant de faire le jeu de ‘l’ennemi de classe’. »

Impossible pour vous les enfants de revenir en Tchécoslovaquie ?

« Mon père a été déchu une première fois de sa nationalité tchécoslovaque en 1952. On lui a rendu quand il a été réhabilité avant d’en être à nouveau déchu en 1970. Moi, j’étais interdit de séjour. J’y allais régulièrement jusqu’à la sortie du film L’Aveu, peut-être jusqu’en 1969. Sur mon acte de naissance à Prague, je suis marqué comme de nationalité tchécoslovaque. Mais en 1954 j’étais inscrit sur le passeport français de ma mère quand nous sommes partis. Parti avant mes 15 ans, je n’ai jamais eu de carte d’identité tchécoslovaque. Mais j’ai fait plein de démarches, cela a été digne de Kafka au consulat ici à Paris mais ça n’a pas abouti. »

« Quand Mitterrand a fait son fameux voyage à Prague, j’ai écrit à son cabinet et il est intervenu. Les diplomates ont fini par obtenir pour moi un laisser-passer pour 15 jours, que j’ai refusé en disant que je voulais un visa comme tout le monde. Donc je n’ai pu revenir qu’en 1989… »

C’était comment ce retour ?

Václav Havel élu le président | Photo: ČT24

« Extraordinaire. Retrouver Prague, la famille et les copains d’école c’était un peu un conte de fées. Et puis on était devant le Château au moment de l’élection de Havel, toute cette effervescence politique, c’était fabuleux ! »

En cette année anniversaire de ce procès tristement célèbre vous avez fait la demande d’un passeport tchèque…

« Oui c’est peut-être à cause de ça, je ne sais pas c’est inconscient, c’est aussi sur l’insistance de mes enfants. Ils m’ont dit ‘c’est ton héritage et c’est aussi le nôtre’. J’en ai fait la demande il y a quelques mois, pensant que cela ne prendrait que quelques semaines. Mais les autorités tchèques n’ont pas retrouvé les actes établissant la nationalité de mon père. C’est Kafka. »

Il y a une place à Paris qui porte le nom de vos parents, vous y allez souvent ?

« Absolument, on habite pas très loin. Et il n’y a pas beaucoup de places à Paris qui portent le nom d’un citoyen tchécoslovaque, peut-être deux ou trois, et encore ! »

Place Lise et Artur London à Paris | Photo: JJ Georges,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 4.0 DEED

*Depuis l’enregistrement de cet entretien à écouter dans son intégralité, Michel London a fini par obtenir un passeport tchèque fin septembre.