Empreinte espagnole dans les arts et la culture de Bohême

Les influences du contexte culturel espagnol sur les arts et la culture de Bohême et de Moravie, du Moyen-âge jusqu’au XIXe siècle, sont mises en évidence par une exposition intitulée « La Prague espagnole » qui est à découvrir au Manège impérial du château de Prague.

Des dizaines d’objets d’art exposés, de la peinture, de la sculpture, des oeuvres graphiques, des bijoux, des meubles, des livres et même des armes illustrent les influences de l’Espagne sur la Bohême au fil des siècles. Ces influences culminent pendant le règne de Rodolphe II de Habsbourg. Lorsque ce mécène généreux et amateur de sciences éduqué à Madrid installe la résidence impériale à Prague, de grands artistes et savants séjournent alors à sa cour. Les collections réunies au château de Prague, pour lesquelles Rodolphe acquiert des Titien, des Dürer, des Breughel, compteront parmi les plus riches d’Europe. L’empreinte espagnole se reflète non seulement dans les arts, mais aussi dans les traditions, les coutumes et la vie de tous les jours des Tchèques, observe l’historien d’art et auteur de l’exposition, Pavel Štěpánek :

Pavel Štěpánek,  photo: CTK
« C’est le cas, par exemple, avec les colonnes de la peste qui sont ornées de statues de nombreux saints et patrons espagnols. Les colonnes mariales sont presque exclusivement une affaire espagnole. Le culte de l’Immaculée conception répandu en Europe est venu d’Espagne, de même que les confessionnaux et autres éléments rituels. »

C’est de l’Espagne, aussi, que l’érudition médiévale se propage :

« Le cousin du roi de Bohême Otakar II de la dynastie des Přemyslides, Alphonse X le Sage, roi de Castille, a fondé à Tolède une école de traducteurs grâce à laquelle la culture antique traduite en latin à partir de retranscriptions arabes s’est propagée vers l’Europe toute entière. »

Au Moyen-âge également, les pèlerins partaient de Bohême jusqu’à Compostelle, prenant la route du fameux Chemin de Saint-Jacques qui traversait l’Europe. Les influences espagnoles atteignent leur apogée aux XVIe-XVIIe siècles, raconte Pavel Štěpánek :

« Ces influences se manifestent à partir de 1526, date de l’élection sur le trône de Bohême de Ferdinand Ier de Habsbourg. Dès le début, son règne est modelé par son éducation espagnole : il est entouré de conseillers, de banquiers espagnols, mais aussi d’artistes et de poètes qui composent leurs poèmes au château de Prague. »

Ainsi, la vie en Bohême et notamment à la cour de Prague est devenue, selon Pavel Štěpánek, de plus en plus proche de la culture espagnole :

« Cela est d’abord dû aux rapports de parenté entre les familles impériales, mais pas seulement. C’est dû aussi à la tradition de l’aristocratie tchèque et à la tradition religieuse qui ont pour dénominateur commun le catholicisme. Evidemment, nous ne pouvons pas omettre les gens simples qui cheminaient sur la route de Saint-Jacques depuis le XIIe siècle déjà. »

C’est sous le règne de Rodolphe II que les influences espagnoles sur la Bohême connaissent leur apogée. La Salle espagnole nommée d’après les écuries pour chevaux espagnols élevés par Rodolphe est aujourd’hui la plus grande salle représentative du château de Prague. La galerie rodolphienne voisine porte aussi son nom. Rodolphe a fait de Prague un important centre culturel en invitant à sa cour des artistes de renom comme le peintre d’Anvers Bartholomé Spranger, l’Italien Giuseppe Arcimboldo, ou le sculpteur de La Haye Adrian de Vries. L’influence espagnole est présente dans la mode et la façon de s’habiller. L’auteur de l’exposition la relève lors d’un événement historique qui a donné le coup d’envoi du soulèvement des Etats tchèques, la deuxième défénestration praguoise :

« Lorsque deux gouverneurs, Slavata et Martinic, sont jetés par la fenêtre dans les fossés du château, ils sont habillés selon les canons de la mode espagnole. Le manteau qu’ils portaient, baptisé bohemio, leur a fort probablement sauvé la vie, les protégeant contre les balles tirées sur le fossé. »

L’influence espagnole prend de l’ampleur à l’époque de la Contre-Réforme, suite à la défaite des Etats tchèques protestants. Elle vient notamment des Jésuites, un ordre fondé en Espagne par saint Ignace de Loyola. En dépit d’une image plutôt négative qu’ils ont laissée dans l’historiographie tchèque, certains comme Bohuslav Balbín ont fait beaucoup pour affirmer la langue tchèque, et leur influence sur l’art sacral n’est pas sans importance non plus :

« Nous arrivons jusqu’à la fin du XVIIIe siècle et là, nous ne pouvons pas omettre le miraculeux Enfant Jésus de Prague, une petite statuette amenée d’Espagne et offerte aux Carmélites pragoises. C’est à Prague que son culte s’est développé pour devenir un culte vraiment mondial. »

L’exposition « La Prague espagnole » présente des œuvres créés uniquement par des artistes tchèques. Ainsi, Jan Jiří Heinsch est l’auteur du portrait de Saint-François-Xavier, un missionnaire jésuite basco-navarrais. La sculpture de Garino, un ermite catalan, au château de Kuks créée par le sculpteur baroque tchèque Mathias Braun est unique en Europe, hormis l’Espagne. Toutes ces œuvres symbolisant directement ou indirectement les influences espagnoles sont à voir au Manège impérial du Château de Prague jusqu’au 28 juin.