En Bohême du Nord, à la découverte de la Vallée du cristal
Le travail du verre est une tradition séculaire en République tchèque. La réputation du cristal de Bohême, apprécié dans le monde entier pour sa finesse, n’est plus à faire. Radio Prague vous emmène à Kamenický Šenov, dans le nord du pays, où se trouvent les ateliers de Preciosa, la plus importante société tchèque du genre, spécialisée notamment dans la production de lustres.
Quel que soit leur style, historique ou dans un design dernier cri, ces lustres sont créés et fabriqués de A à Z dans la Vallée dite du cristal. Responsable du département en charge du commerce international et du développement de Preciosa Lighting, société spécialisée dans la création et la réalisation de luminaires, Pavel Kadleček nous aide à mieux situer cette vallée de Bohême du Nord sur une carte :
« Cela fait désormais trois ans que nous nous efforçons de faire la promotion de cette Vallée du cristal. Concrètement, c’est une région qui s’étend de Železný Brod à Česká Kamenice et dont la spécificité est qu’elle regroupe de nombreux producteurs de verre et de cristal, artisans en tous genres et autres musées du verre. Ici même à Kamenický Šenov se trouve la plus ancienne école en Europe qui forme à tous les métiers du verre : soufflerie, gravure, décoration... En d’autres termes, c’est une région où les gens sont passionnés par le travail du verre et du cristal. »A moyen terme, Preciosa aspire à ce que cette Vallée du cristal soit inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Forts de leur succès international, les dirigeants du groupe qui emploie plus de 4 000 personnes majoritairement en Bohême du Nord, estiment que la région a le potentiel, à l’image de la Silicon Valley en Californie avec son pôle des industries de pointe, pour devenir le cœur du monde du verre. Tchèque francophone origine de la région, Jana Denková, visiteuse attentive des ateliers, verrait cela d’un bon œil :
« Je suis d’abord très heureuse de constater que Preciosa reste un fabricant tchèque comme depuis ses origines. Toutes les petites pièces qui composent ces fameux lustres proviennent de Jablonec nad Nisou, qui doit sa renommée à sa bijouterie. Or, c’était une activité qui tendait à disparaître à cause notamment de la globalisation. Je suis donc impressionnée par la voie que suit Preciosa avec un retour aux sources qui me fait très plaisir. Et puis c’est beau… Tout simplement ! »
En Bohême du Nord, la tradition du travail du verre remonte à plus de 450 ans et celle du cristal à plus de 300 ans. C’est avec ce verre enrichi en plomb que les artisans tchèques ont produit les premiers bijoux et lustres en cristal, ou encore les premières perles de verre qui ont elles aussi grandement contribué à la renommée du cristal de Bohême. Une renommée plus que jamais internationale, comme le confirme Pavel Kadleček :« Je voyage souvent en Europe et l’opinion générale est qu’il existe deux grandes puissances du travail du verre plus particulièrement réputées : l’Italie avec le verre de Murano et la Tchéquie avec son cristal. Malheureusement, beaucoup de verreries ont été fermées en Italie, tandis qu’ici, en Bohême, la tradition perdure et se porte même plutôt bien. On n’y fabrique pas seulement des luminaires, mais aussi des pendeloques pour les lustres ou bien entendu des bijoux qui se vendent eux aussi dans le monde entier. La situation s’est un peu compliquée au moment de la crise économique en 2007 et 2008 sans pour autant remettre en cause les méthodes de production traditionnelles pour autant. Mais la richesse de cette région réside d’abord dans ses habitants. Ce sont eux qui font évoluer la production et savent l’envisager dans sa modernité. »
Visiteur français, Dominique Collin est lui aussi sous le charme de l’endroit et du travail réalisé :
« C’est quelque chose que je voulais découvrir depuis quelque temps déjà en raison de la réputation internationale du cristal de Bohême. J’ai à la maison un petit lustre que nous avons hérité du côté de ma femme et qui m’a toujours impressionné, alors qu’il est dix fois plus petit que les lustres qui nous entourent ici. C’est fascinant de voir le processus de fabrication et tout ce savoir-faire. Ce qui est étonnant aussi, c’est que tandis qu’on a l’impression de voyager dans le passé dans certains ateliers, d’un seul coup on se retrouve dans le laboratoire où, au contraire, on se projette littéralement dans le futur. Cela fait plaisir de voir un fleuron de l’industrie tchèque qui se met au diapason pour être prêt à continuer à conquérir le monde. Quand on voit ces ouvriers qui soufflent le verre sans protection malgré la chaleur et à quel point ils maitrisent leur art, c’est vraiment impressionnant. »Chez Preciosa, le mot d’ordre est de respecter la riche histoire de l’entreprise tout en adaptant celle-ci à l’époque contemporaine. C’est là une nécessité qui explique son succès. Pavel Kadleček :
« Nous ennoblissons les luminaires, ce qui signifie que nous savons comment ils étaient fabriqués il y a trois siècles de cela tout en nous efforçant de leur donner un souffle moderne. L’histoire, la tradition et la modernité ne sont pas des notions opposées, bien au contraire. Nous marions le travail du verre, qui est une activité historique, aux technologies les plus modernes. Nous disposons d’un centre d’innovation ultramoderne avec des laboratoires de chimie et de physique qui nous permettent de tester les dernières sources disponibles sur le marché. Nous testons les effets lumineux avec différents types de verre. La science est désormais au cœur de notre travail, et tous ces éléments font que nous sommes aujourd’hui une société tout à fait unique en son genre. »Une exclusivité qui doit beaucoup également au travail des designers, tenus eux aussi de s’adapter à la ligne de conduite de leur employeur. Pavel Kadleček :
« Nous employons ici-même dans nos ateliers vingt-cinq designers à temps plein, et il s’agit uniquement de designers tchèques, car nous avons besoin d’un design atemporel. Nous tenons à cette référence à notre histoire, et c’est pourquoi nous pensons que les designers doivent connaître parfaitement le matériau avec lequel ils travaillent. Il faut qu’ils entretiennent une relation particulière avec le verre, comme peut l’avoir un souffleur ou un graveur. Nous ne doutons qu’il y a d’excellents designers partout dans le monde. Mais nous avons besoin de lustres et de luminaires dont le design ne sera pas passé de mode dans quarante ans. C’est d’ailleurs précisément pour cette raison que nous en revenons toujours et encore à l’histoire, car les lustres qui étaient appréciés il y a trois siècles de cela le sont encore aujourd’hui, parfois dans un design modernisés. »
Une philosophie que Jana Denková, admiratrice du travail des maîtres verriers, a fait sienne elle aussi :
« C’est une autre optique que celle que j’ai pu avoir lorsque j’étais petite fille, car c’est une activité que l’école nous faisait bien entendu découvrir. La tradition est toujours bien présente avec le savoir-faire qui se transmet de génération en génération. C’est pour moi quelque chose d’émotionnellement très fort, car il y a de très nombreux ateliers dans cette région qui ne s’appelle pas la Vallée du cristal par hasard. Mes grands-parents vivaient dans une grande ferme dans laquelle se trouvaient des lustres de ce type qui ont été complétement détruits sous le régime communiste. Bien sûr, nous n’en sommes pas morts, mais cela me fait chaud au cœur aujourd’hui de voir la continuité de ce savoir-faire historique. »La visite des ateliers de Preciosa était organisée par la Chambre de commerce franco-tchèque