Preciosa : les petites perles de verre tchèques voyageuses, de la Malaisie à l’Amérique
On les retrouve sur les coiffes traditionnelles des chefs de tribus des Premières nations d’Amérique du Nord, sur des colliers typiques ukrainiens ou encore sur les pantoufles de la communauté Peranakan d’anciennes colonies britanniques en Asie, comme l'était Singapour : les petites perles de verre de Bohême du Nord de la société Preciosa font le tour du monde, et continuent, encore aujourd’hui, à orner les vêtements traditionnels de nombreuses cultures. Si le groupe Preciosa produit toutes sortes d’objets à partir de verre et de cristal, c’est à ces perles que nous nous intéresserons dans ce nouvel épisode de notre série Czech Made.
L’histoire du verre et du cristal de Bohême remonte à un demi-millénaire. A partir de la moitié du XVIe siècle, les montagnes du nord du pays développent un travail du verre, d’abord artisanal puis qui, avec le temps, deviendra industriel à partir de la moitié du XIXe siècle. Un savoir-faire qu’aujourd’hui, les verriers actuels souhaiteraient voir entrer sur la liste du patrimoine de l’UNESCO.
Aujourd’hui la société Preciosa est le principal producteur de verre et de cristal de la région et regroupe plusieurs entités, chacune spécialisée dans les luminaires de luxe, les pierres taillées destinées au monde de la mode et du design, des bijoux et des perles de verre.
C’est justement de ces petites perles de verre que nous allons parler aujourd’hui, des perles produites par une des succursales du groupe, Preciosa Ornela. Petr Puš en est le directeur marketing, il revient sur la spécificité de ces perles de verre :
« Nos perles sont uniques en leur genre en raison de la technologie employée. Contrairement aux perles de verre qui sont fabriquées à partir d’une matière appliquée dans un moule, ce qui implique une production à l’unité, nos perles sont produites en masse. A l’atelier, on étire des tubes en verre qui ressemblent à de grandes pailles percées d'un petit trou. Ces tubes sont ensuite coupés sur de grandes machines, chaque morceau est ensuite arrondi et c’est ainsi qu’est créée une perle. Chaque année, nous fabriquons jusqu’à 3 000 tonnes de ces petites perles, ce sont donc des milliards et des milliards d’unités produites en 22 tailles différentes. Ces perles font entre 1 et 8 mm de diamètre. Imaginez une perle d’1,5 mm avec un minuscule trou de 0,5 mm. Travailler avec des perles de cette taille, c’est comme travailler avec un grain de sable ou de pavot. »
Environ 80 types de couleurs sont ainsi fabriqués dans les ateliers de Preciosa Ornela, des couleurs pleines et non pas peintes par-dessus une perle neutre. Ces petites perles de couleur iront ensuite orner, sous forme de broderies, des vêtements, des accessoires vestimentaires, mais aussi serviront à composer des bijoux.
La grande majorité des débouchés commerciaux de ces perles colorées de Bohême du Nord se trouve sur tous les continents, mais plus spécifiquement chez une clientèle qui les utilise pour la confection de vêtements et objets ethniques :
« A l’heure actuelle, il y a une demande extrêmement importante en Amérique du Nord. Ceci est dû au fait que les représentants des Premières nations, qu’on appelait autrefois les Indiens, vivent actuellement une immense renaissance culturelle. Ils recréent leurs objets traditionnels, des souvenirs, des vêtements. Il y a des choses qui sont fabriquées pour être vendues comme souvenirs aux touristes. Résultat, ils achètent davantage de perles qu’autrefois. Il ne s’agit pas seulement de quelque chose de commercial : ces petites perles ont un rôle culturel et traditionnel, qu’on parle des Indiens d’Amérique du Nord et du Sud, ou même de certaines populations d’Afrique. »
Une clientèle particulière se distingue, sinon par la part de marché qu’elle représente pour l’entreprise Preciosa - à peine quelques centaines de kilos par an -, tout du moins par son originalité et son prestige culturel : la communauté Peranakan, implantée notamment dans l’île-Etat de Singapour où un musée retrace leur histoire, mais également présente dans tous les anciennes colonies britanniques des Détroits comme Malacca et Penang.
Les Peranakan sont issus depuis plus de 300 ans de mariages entre des négociants chinois et des femmes malaises ou indonésiennes. Leur culture est ainsi marquée à la fois par les traditions chinoises et malaises, même si ces dernières ont eu tendance à prévaloir par souci d’intégration. Bien placées dans la société de par leur activité de commerce, ces communautés métissées développent une identité culturelle forte et singulière.
Les hommes Peranakan sont appelés « Baba », les femmes « Nyonya » qui ont donné leur nom aux broderies Peranakan réalisées avec des fils d’or, de la soie et les minuscules perles fabriquées dans les montagnes de Bohême.
« Grâce aux lieux où ils étaient implantés et grâce aussi à leur position dans la société, les Peranakan se sont retrouvés au carrefour des cultures à la fois européenne, chinoise et malaise. Tout cela a contribué à former leur identité culturelle propre et c’est là que l’on retrouve ces fameuses petites perles. Celles-ci ont commencé à arriver dans ces contrées lointaines grâce au troc : quand les bateaux de la Compagnie britannique des Indes orientales arrivaient à Singapour, on échangeait ces perles contre du zinc ou des épices. Les Peranakan ont commencé à utiliser ces perles qui sont devenues typiques de leur identité culturelle jusqu’à aujourd’hui. Cela fait ainsi entre 200 et 300 ans qu’ils utilisent ces perles tchèques pour orner les objets traditionnels. Comme ils privilégient les plus petites de ces perles, celles qui font 1,5 mm, les objets créés sont de très grande valeur. Par exemple, les pantoufles Peranakan sont très connues et sont des biens très chers qui se transmettent de générations en générations. »
Si les pantoufles Peranakan font partie des créations les plus connues et les plus emblématiques, les petites perles tchèques viennent orner pochettes, nappes, mouchoirs, chemises, tuniques et autres tissus.
Selon Petr Puš, les perles utilisées par différentes cultures de par le monde prennent souvent un sens particulier selon leur agencement, le choix des couleurs ou les motifs représentés :
« Ces perles ont un rôle extrêmement important dans la vie de toutes ces gens qui les utilisent de par le monde. Mais notons qu’il y a une grande différence d’utilisation et de sens accordé à ces perles entre par exemple les Peranakan ou des ethnies africaines ou d’Amérique. Par exemple, certaines tribus africaines ou indiennes d’Amérique associent aux couleurs et aux ornements un sens spécifique. Par exemple, pour telle tribu, le blanc signifiera quelque chose, le rouge autre chose. De même, les motifs brodés ont aussi un sens. Par exemple, un collier de perle de telle tribu africaine vous dira si la femme qui le porte est mariée, ou célibataire ou autre. Chez les Peranakan par contre, il n’y a pas de signes religieux dans leurs motifs : leurs ornements sont essentiellement composés de fleurs, d’oiseaux, d’insectes, autant de signes naturels mais dépourvus de sens religieux ou mystique. C’est avant tout l’expression de leur richesse matérielle et de leur place dans la société. »
Si la désindustrialisation a touché de plein fouet de nombreuses régions tchèques, comme ailleurs en Europe, ce n’est pas le cas des petites perles fabriquées par Preciosa. Une particularité qui s’explique, selon Petr Puš :
« Je pense que c’est à cause du caractère unique de ce produit. Nulle part ailleurs dans le monde vous ne trouverez une production de ce type. Cela nous garantit une demande mondiale sans cesse renouvelée : ils n’ont pas la possibilité de s’en procurer ailleurs. La demande tend à être variable, mais nous touchons des territoires extrêmement divers : quand certains marchés achètent moins, d’autres achètent davantage. Résultat, la demande reste stable pour nous. Pour vous donner un ordre d’idée, nous avons pour certains produits des commandes deux ans à l’avance. Donc si vous nous commandez quelque chose aujourd’hui, nous ne pouvons pas vous le livrer avant 2024. »
Pourtant, la société Preciosa fait face aujourd’hui à un autre défi : la crise énergétique qui, si elle concerne tout le monde, tant les particuliers que le monde de l’entreprise, touche notamment ce secteur de la verrerie, très gourmand en énergies :
« Nous sommes face à un immense défi, en réalité nous ne savons même pas si nous serons là dans un an. La production verrière nécessite une grande quantité d’énergie or la flambée des prix est une très mauvaise nouvelle. Le problème, c’est qu’il n’y a pas d’alternative pour nous : le verre est fabriqué par des machines qui fonctionnent non-stop. Ce n’est pas quelque chose que vous allumez et éteignez comme un interrupteur. Nous essayons de rester optimistes : cette production industrielle fonctionne depuis le milieu du XIXe siècle. Nous avons vécu deux guerres mondiales, des crises économiques, un régime communiste. Nous avons survécu, et nos produits sont toujours demandés et recherchés. Mais clairement, cette crise énergétique est un défi. »
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