En Méditerranée, sur les traces d'un corsaire tchèque

Agatha Renotière

Pays enclavé au centre de l'Europe, la République tchèque ne brille pas par son histoire navale. Et pourtant, cela n'a pas empêché une équipe de marins tchèques de se lancer dans la construction de la réplique d'une embarcation ayant appartenu à un corsaire originaire de Bohême. Mis à l'eau en 2010, le voilier écume aujourd'hui la Méditerranée, avec à son bord des apprentis marins et des touristes prêts à l'aventure.

La Grace | Photo: Site officiel de La Grace

Derniers préparatifs pour Agatha Renotière. L'assurance est réglée, le test antigénique programmé, et le rendez-vous est pris pour le covoiturage. Dans 24h, elle part pour l'Italie, direction la Toscane plus précisément, où l'attend un navire pas franchement comme les autres. La Grace est la réplique d'un deux-mâts du XVIIème siècle, l'embarcation d'un corsaire d'origine tchèque, Augustin Heřman. Agatha Renotière a pris soin d'adapter sa valise à cette croisière originale :

Agatha Renotière | Photo: Polina Krasnova

« Pour un costume de pirate, il faut mettre une grande chemise, et un corset par-dessus. Puis une petite veste et soit un pantalon, soit une jupe et des jupons pour avoir une silhouette de pirate comme dans les films. Il faut que les couleurs soient ‘naturelles’, qu'elles ressemblent à ce que les gens avaient au XVIIème siècle. Après cela, il faut une grande ceinture. Certains ont des bottes magnifiques, mais moi je me déplace pieds nus. Quelques-uns ont aussi des pistolets et des épées, et sur le bateau il y a des canons. »

Sur les traces d'un marin tchèque

Augustin Heřman | Source: public domain

Les grands marins, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'en République tchèque cela ne court pas les rues. Et pourtant, Augustin Heřman (1605-1686), né en Bohême, est connu pour avoir écumé les flots de l'Atlantique. Il avait quitté ses terres natales à la suite de la bataille de la Montagne blanche. Marchand pour le compte des Hollandais, et corsaire à ses heures, il s'était également fait remarquer comme cartographe des environs de ce qui est désormais connu sous le nom de New York.

Au micro de la Radio tchèque, Josef Dvorský, capitaine de La Grace et à l'origine de la reconstruction du navire, avait raconté les raisons qui ont poussé son équipe à s'intéresser à Augustin Heřman et à son indissociable bateau :

Josef Dvorský | Photo: Site officiel de La Grace

« Nous avons cherché une grande personnalité de l’histoire maritime tchèque, ce qui n’est pas simple puisque nous n’avons pas une histoire importante en raison de notre situation géographique. Nous étions intéressés par l’époque de la piraterie et nous sommes tombés par hasard sur Augustin Heřman qui avait émigré en Hollande avec sa famille. Il a fini par faire l’acquisition de La Grace qui est devenue aussi un bateau corsaire : outre un commerce légal entre les Caraïbes et l’Amérique puis l’Europe, avec de l’indigo et du tabac, il a organisé de nombreuses expéditions de corsaire, avec l’aval du gouverneur. »

La Grace | Photo: Site officiel de La Grace

Une réplique modernisée

La Grace | Photo: Site officiel de La Grace

Mis à l'eau en décembre 2010, le voilier conserve son apparence extérieure d'antan. En revanche, l'intérieur de la coque renferme des équipements modernes et accueille près de quarante membres d'équipages. Parmi eux, des marins aguerris, membres d'équipage permanents, des cadets qui viennent se former aux techniques de navigation et s'adonnent aux tâches quotidiennes, et enfin des touristes qui profitent simplement d'une croisière hors du temps. A bord d'une telle embarcation, chaque journée ne peut être qu'intense, comme le raconte Agatha Renotière :

La Grace | Photo: Site officiel de La Grace

« A bord on vous divise dans quatre groupes qui participent aux tâches quotidiennes. Un groupe est dans la cuisine, un groupe navigue véritablement, avec la roue, un groupe aide avec les cordes et les voiles, et le quatrième groupe dispose de  temps libre. Et cela change au cours de la journée, et de la semaine. Quand le bateau part en voyage touristique, par exemple pendant les vacances, on navigue en fonction de la météo, et quand nous passons dans un endroit intéressant nous nous y arrêtons pour y faire du tourisme. Voir un pays en voiture ou à pied, et le voir depuis un bateau, c'est incomparable car on a accès depuis la mer à des endroits où il serait impossible d'aller autrement. »

Un tel voyage a toutefois un prix. A condition de travailler à l'entretien du navire, à la navigation et à la vie de l'équipage, une semaine à bord coûte en moyenne 10 000 CZK (environ 400 euros). Pour se la couler douce, comme à l'hôtel, il faut tripler la mise.

La Grace | Photo: Site officiel de La Grace
La Grace | Photo: Site officiel de La Grace

Pour Agatha Renotière tout avait commencé par une rencontre, un hasard. Alors qu'elle étudie en France, au sein de la section tchèque de Nîmes, deux de ses amies l'incitent à se rendre à Sète, dans le département voisin, où un rassemblement de bateaux à lieu. La Grace est de la partie. Fascinée par l'imaginaire autour des pirates, elle sympathise très rapidement avec l'équipage. Quelques années plus tard, elle entame cet été sa huitième expédition en Méditerranée à bord, avec en tête, le rêve d'être un jour, « au moins une fois », un véritable membre d'équipage.

La Grace | Photo: Site officiel de La Grace

Depuis 2010, en plus de ses activités touristiques La Grace fait office de bateau-école, participe à des événements et a notamment effectué une croisière transatlantique jusqu'aux Caraïbes. Une traversée, comme toutes les autres sorties en mer de ces Tchèques épris d'aventure, rythmée par le son des vagues et des airs pirates.

Les Tchèques aiment d'ailleurs rappeler, avec une pointe de mélancolie, que s'ils ne sont pas forcément de grands navigateurs, c'est avec un grand « ahoj » que tous les marins du monde se saluent.