Enseignement : une profession toujours plus féminisée en Tchéquie
Selon une récente étude menée au sein de l’Académie des Sciences, la transformation économique des années 1990, survenue après la chute du communisme, a largement contribué à renforcer la féminisation du monde de l’enseignement en République tchèque.
C’est presque un réflexe pavlovien lorsqu’un adulte demande à un enfant qui n’est pas le sien comment se déroulent les cours à l’école : automatiquement surgit une question du type, « et alors, elle est gentille ta paní učitelka (ta maîtresse) ? » Et pour cause : l’habitude de voir un personnel enseignant quasi exclusivement féminin en Tchéquie – surtout aux niveaux primaire et maternel – est si ancrée qu’elle se reflète inconsciemment dans le langage du quotidien.
Si cette prééminence des femmes dans le secteur de l’éducation était déjà de mise avant la révolution de Velours de 1989, la féminisation de la profession n’a pas cessé de s’approfondir au cours des trente dernières années. C’est ce que montre une nouvelle étude du think-tank IDEA au sein de l’Académie des Sciences.
L’analyse est basée sur les réponses de 4 600 personnes qui ont été enseignants au moins une fois dans leur carrière professionnelle. La plupart des personnes interrogées, issues de différents pays européens, ont commencé à travailler entre 1950 et 1985. Selon l’étude, presque tous les pays sont confrontés à une pénurie d’enseignants de qualité et à une sous-représentation durable des hommes dans le corps enseignant. Filip Pertold est un des co-auteurs de cette étude :
« Dans cette étude, nous observons que la proportion d’enseignantes a augmenté sur plusieurs générations et qu’il y a eu une augmentation particulière dans les années 1990, lorsque l’on est passé de la planification centralisée à l’économie de marché. Ce phénomène ne s’est pas produit uniquement en République tchèque, mais dans toute l’Europe centrale. Ce sont surtout les hommes qui ont disparu de la profession pendant cette période, car ils ont vu qu’ils pouvaient gagner de meilleurs salaires dans d’autres professions. Les femmes, en revanche, semblent rester dans la profession d’enseignant pendant cette période. »
L’étude montre qu’environ 70 % des anciens enseignants ont quitté l’enseignement après leur première expérience professionnelle et environ un tiers des enseignants tchèques dans leur ensemble ont quitté la profession. Au niveau européen, c’est un enseignant sur quatre qui a choisi de changer de métier.
Selon les auteurs de l’étude, la transformation économique des années 1990, qui a ouvert des possibilités de meilleurs revenus en dehors de l’éducation, a en grande partie contribué à cette féminisation de l’enseignement en République tchèque. Dans les pays post-communistes, la proportion d’hommes abandonnant cette profession est jusqu’à 22 % plus élevée que celle des femmes dans les pays post-communistes, alors que cette différence ne s’élève qu’à 7,7 % au niveau européens.
La féminisation de l’enseignement ne découle d’ailleurs pas uniquement de départs de la profession, mais en amont, dans l’orientation professionnelle : l’étude indique également que la proportion d’hommes choisissant le métier d’enseignant en République tchèque est en forte baisse au cours des trente dernières années.
« Ce qui se passe dans la profession d’enseignant, mais qui se passe aussi ailleurs, c’est que si quelqu’un quitte la profession, cela se produit généralement au début de sa carrière. C’est-à-dire dans les deux ou trois premières années suivant l’obtention du diplôme. D’après les données dont nous disposons, il semblerait que les femmes soient plus attachées à la profession. Il y a aussi cette norme sociale qui perdure dans les esprits selon laquelle les hommes doivent "nourrir la famille", une idée qui reste courante en Europe centrale. Quoi qu’il en soit, il me semble que les enseignants hommes ont surtout changé de profession pour gagner plus d’argent ailleurs. »
Sans surprise non plus, la féminisation de l’enseignement tchèque est à son maximum au niveau du primaire (94,4 %), toujours majoritaire mais toutefois moindre (68,6 %) au niveau équivalent du collège. Outre les facteurs économiques liés à des opportunités financières plus avantageuses dans d’autres secteurs, une persistance de l’association des métiers du « care » aux femmes : au sein même du secteur de l’éducation, les hommes s’avèrent en général plus nombreux à des positions managériales.
La hausse prévue des salaires des enseignants cette année, et l’augmentation progressive de leurs revenus au cours des dix dernières années pourrait-elle rééquilibrer ces tendances ? Filip Pertold :
« Je pense que c’est possible, mais cela prendra un certain temps. En effet, les hommes n’évitent pas seulement l’enseignement en raison des salaires, mais ils s’intéressent aussi davantage à l’évolution de leur carrière. Nous voyons beaucoup plus d’hommes à des postes élevés dans l’enseignement, comme ceux de directeur. Ce qui est sûr, c’est que nous manquons d’un système clair de progression de carrière dans notre système éducatif et je pense que c’est quelque chose que nous devrions développer en République tchèque. »