Kateřina Haring, entrepreneuse tchèque : « Je veux montrer qu’on peut se passer des quotas »
Cheffe d’entreprise, présidente de l’Association tchèque des femmes entrepreneures et managers (CMAPM), animatrice de podcasts… Rien d’étonnant à ce que le magazine Forbes ait classé Katerina Haring à la 109ème position sur la liste des 135 femmes tchèques les plus influentes. Pour ce troisième épisode de notre série consacrée aux femmes qui cherchent à améliorer l’égalité des sexes, elle nous parle de la situation des femmes dans le domaine de l’entrepreneuriat en Tchéquie.
Le moins qu’on puisse dire c’est que vous avez un CV impressionnant, est-ce que vous pouvez vous présenter brièvement et nous expliquer ce que vous faites, les différentes organisations pour lesquelles vous travaillez pour aider les femmes ?
« Je suis la fondatrice de la société de marketing Dynamic Group, dont j’ai aussi été la PDG pendant très longtemps. Petit à petit, je me suis impliquée auprès des femmes pour les aider à monter leur propre entreprise, je suis devenue très active au sein de l’Association tchèque des femmes entrepreneures et managers. C’est une très bonne plateforme pour créer des connexions entre les femmes entrepreneures et pour les aider dans leur parcours. »
« Comme j’ai travaillé à Moscou pendant des années, c’était aussi très important pour moi de leur permettre d’avoir des connexions à l’étranger. Je me suis effectivement rendu compte que travailler en dehors de la Tchéquie et avoir des contacts à l’international aidait énormément. L’association est donc en lien avec l’Association mondiale des femmes entrepreneures (FCEM), dont je suis la vice-présidente pour l’Europe. C’est une très grande association qui permet non seulement de trouver des partenaires commerciaux à l’étranger, mais aussi tout simplement de créer des amitiés, et d’inspirer les femmes entre elles. »
« Il y a quatre ans j’ai aussi créé le podcast Podnikatelka, « Femme d’affaires » en français, que j’anime régulièrement sur le portail info.cz. Je trouvais que dans les médias tchèques on ne parlait que des grandes histoires, celles des femmes qui sont à la tête d’entreprises qui rapportent des milliards. Pourtant c’est très important de comprendre que c’est à partir des petites idées qu’on monte un projet. Surtout, je pense que les femmes n’ont pas assez confiance en leurs talents et en leur capacité à entreprendre. »
« En invitant des femmes qui sont à la tête de petites ou grandes entreprises mais qui sont souvent inconnues du grand public, je veux leur montrer que c’est possible, qu’elles aussi peuvent monter une boulangerie, un restaurant, un hôtel… Il y a toujours quelque chose de nouveau dans chaque témoignage, qui peut vous inspirer peu importe le type d’entreprise que vous gérez. »
Qu’est-ce qui vous a amenée à vous engager en faveur des droits des femmes ?
« Quand j’ai commencé à monter mon entreprise en 2006, j’étais à l’étranger avec mon mari, qui m’a énormément soutenue. Mais je me sentais seule, parce que j’évoluais dans un univers quasiment exclusivement masculin, avec des hommes qui ne se posaient même pas les questions qui me traversaient l’esprit en permanence. Les hommes fonctionnent différemment, ils n’hésitent pas devant des choses qui leurs paraissent évidentes, mais qui ne le sont pas pour nous. J’avais besoin de conseils et de modèles féminins dont je pouvais m’inspirer. C’est comme ça que j’ai trouvé la CMAPM. »
En 2019 en Tchéquie, il y avait 2,5 fois plus d’hommes que de femmes entrepreneurs. Quels sont les obstacles auxquels doivent faire face les femmes qui veulent créer leur propre entreprise ?
« Selon moi le principal problème - mais ce n’est pas propre à la Tchéquie -, c’est la confiance en soi. Les femmes n’osent pas négocier leurs salaires ou entreprendre, alors même que c’est très facile aujourd’hui de commencer une entreprise à partir de rien. Les conséquences de ce manque de confiance en soi sont nombreuses. Pour ne donner qu’un exemple, quand une femme essaye de trouver des financements auprès des banques, elle ne va pas vendre son projet en grand, alors que les hommes eux n’hésitent pas à gonfler leurs projections en terme de revenus. »
Très concrètement, qu’est-ce que vous faites pour aider les femmes entrepreneures ou futures femmes entrepreneures dans leur carrière, dans le cadre de vos missions au CMAPM et au FCEM ?
« Au sein des deux associations nous avons différents types d’évènements et de réunions. Toutes les antennes nationales du FCEM participent à des tables rondes ou à des conférences en ligne qui promulguent des conseils sur la stabilité financière, sur les stratégies marketings et sur bien d’autres sujets encore. Ces réunions aident surtout les femmes qui débutent dans l’entrepreneuriat. Pour celles qui ont déjà plus d’expérience, nous organisons surtout des rassemblements, qui sont l’occasion d’échanger des idées. Ces rassemblements dégagent une énergie féminine incroyable. Il y a aussi un système de mentorat et de coaching, auquel je participe. »
Quel est le profil type des femmes qui parviennent à s’engager dans l’entrepreneuriat en Tchéquie ?
« Les temps changent et je vois que la jeune génération a beaucoup plus confiance en elle que la nôtre, je pense que c’est là leur force en tant que potentiels entrepreneurs. Ces jeunes comprennent les nouvelles technologies et les possibilités qu’elles offrent. Dans tous les cas l’entrepreneuriat n’a pas d’âge, vous pouvez très bien monter votre entreprise à 15 ans. Ce qui compte c’est la détermination, la volonté, et de ne jamais abandonner. »
Etes-vous favorable aux quotas pour permettre aux femmes d’accéder à plus de poste de direction ?
« Non, car je veux montrer qu’on peut atteindre cet objectif avec la méthode douce, sans quotas. La plupart des femmes entrepreneures les refusent parce que nous pensons que nous pouvons faire sans, notre force et notre talent suffisent. Ce qui importe c’est que nous, qui avons réussi, montrions aux autres femmes qu’elles sont capables d’arriver à des hauts postes à responsabilité elles aussi. »
Dans ce cas quelles mesures les autorités tchèques devraient-elles mettre en place pour favoriser l’accès des femmes aux postes de direction dans les entreprises ?
« Je pense que pour avoir plus de femmes dans tous les domaines, que ce soit la politique, le management, l’entrepreneuriat ou peu importe, ce qui manque ce sont de bonnes infrastructures. Par exemple, ma cousine travaille au Sénat, où il y a deux ans il n’y avait que 12 femmes sénatrices. On lui a proposé de devenir ministre du Travail, mais elle a refusé, parce qu’elle n’habite pas à Prague et cela aurait impliqué trop de sacrifices au niveau familial sachant que de nombreuses réunions au parlement se finissent très tard. »
« Les quotas ne sont donc pas la solution, ce qu’il faut faire, c’est offrir des services qui permettent aux femmes de s’impliquer davantage. Et cela vaut pour l’entrepreneuriat, car même si vous gagnez assez pour embaucher une nounou à plein-temps, est-ce que c’est vraiment ça la vie ? »
« En Tchéquie le congé parental est l’un des plus longs d’Europe, ce qui est positif, mais au bout d’un certain temps les femmes perdent pied avec le monde du travail. Après trois ans il est très difficile de retourner travailler. Or nous n’avons pas de garderies car tout le monde considère que les mères doivent passer tout leur temps avec leur jeune enfant. J’ai moi-même expérimenté cela, car je n’ai jamais cessé mon activité. C’est très difficile pour les femmes qui veulent retourner au travail plus tôt de le faire. »
Donc vous diriez que l’un des problèmes principaux auquel les femmes entrepreneures sont confrontées est celui de l’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle ?
« Exactement. Je me souviens d’une étude parue pendant la première année du Covid-19 qui montrait que pendant cette période les femmes entrepreneures avaient consacré à leurs enfants et aux tâches ménagères deux heures du temps qu’elles dédiaient normalement à leur travail. »
Selon vous qu’est-ce que le gouvernement devrait faire pour que les femmes puissent s’impliquer davantage dans leur vie professionnelle quand elles ont des enfants ?
« Il faudrait permettre à celles qui veulent travailler de le faire. Pas forcément 8 heures par jour mais commencer par une ou deux heures. Juste histoire de reprendre pied avec le travail, de voir ses collègues. C’est surtout difficile dans les grandes entreprises, qui n’autorisent pas les temps partiels ou le travail à distance, même si cela s’est nettement amélioré depuis le Covid-19. »