A Prague, un musée dédié aux légions tchécoslovaques, ces unités de volontaires d’un « Etat inexistant »

Le rôle majeur des Légions tchécoslovaques, engagées du côté des Alliés pendant la Première Guerre mondiale, dans l’argument servant à défendre l’idée d’un Etat tchécoslovaque indépendant, n’est plus à démontrer. Mais les détails de leur participation aux combats en France, en Italie et en Russie, théâtre d’une épopée digne d’un grand film, sont parfois moins connus. A Prague, un musée – gratuit – situé dans le quartier de la Nouvelle-Ville, permet de se replonger dans cette aventure humaine aux prises avec la Grande Guerre.

Jiří Charfreitag | Photo: Ondřej Tomšů,  Radio Prague Int.

Pour un peu il passerait inaperçu avec son entrée et sa vitrine plutôt discrètes malgré les affiches et annonces : à quelques pas du métro C, station I. P. Pavlova se trouve le Musée des Légions dont les salles d’exposition se déploient sur 190 m2 en sous-sol, sans compter les espaces administratifs et de recherche, avec une bibliothèque d’histoire militaire bien fournie.

L’immense bâtiment lui-même est lié, depuis le début, avec l’histoire de ces troupes de jeunes soldats tchèques et slovaques qui, après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, choisirent non pas de combattre pour l’Autriche-Hongrie mais du côté des Alliés – faisant d’eux des traîtres à la couronne du point de vue de Vienne, mais, comme l’histoire le montrera finalement, des héros qui ont contribué à la création du nouvel Etat tchécoslovaque en 1918.

Directeur du musée, Jiří Charfreitag nous rappelle la longue histoire du lieu :

« Ce bâtiment s’appelait à l’origine Maison Štefánik (du nom de cet officier français d’origine slovaque, et un des pères fondateurs de la Tchécoslovaquie, ndlr). Il a été conçu par un architecte également à l’origine du Mémorial de la résistance et du Mémorial des héros nationaux sur la colline de Vítkov. Il servait essentiellement aux officiers tchécoslovaques qui, lorsqu’ils faisaient un déplacement à Prague, avaient la possibilité de séjourner ici. C’est un peu un hasard que nous nous trouvions ici, mais un heureux hasard puisque le bâtiment est lié à l’histoire des légionnaires depuis ses débuts. »

Photo: Anna Kubišta,  Radio Prague Int.

Lorsque l’on descend l’escalier, la première chose que l’on voit est l’ébauche d’une tranchée reconstituée et un petit panneau indiquant le village alsacien d’Aspach-le-Haut qui rappelle que les combats ont fait particulièrement rage dans cette région rhénane frontalière, objet de toutes les convoitises depuis qu’elle avait été annexée par l’Allemagne en 1870. D’ailleurs de nombreux soldats tchèques et slovaques tombés là ont leur carré au cimetière militaire de Cernay, à une vingtaine de kilomètres de Mulhouse.

Jiří Charfreitag | Photo: Anna Kubišta,  Radio Prague Int.

La mémoire des légionnaires tchécoslovaques est à l’image de l’histoire de la Tchécoslovaquie au XXe siècle : mouvementée et largement liée aux changements de régime, d’où le besoin éprouvé après la révolution de Velours de faire revivre cette histoire :

« Notre organisation, l’Association des légionnaires tchécoslovaques, est née dès 1921. A l’époque, elle était destinée exclusivement à ces soldats qui avaient combattu sur les différents fronts à l’étranger. Cela a changé après 1945 où d’autres personnes ont pu la rejoindre, comme des membres de la famille de légionnaires, mais aussi les soldats qui avaient combattu contre le nazisme partout dans le monde. C’est ce qu’on appelle ici la Deuxième résistance. L’organisation a été interdite deux fois : d’abord par les nazis en 1939 et ensuite en 1948 lors de l’arrivée au pouvoir du parti communiste. Ceux qui avaient un profil adéquat pouvaient rejoindre l’Union des combattants antifascistes nouvellement créée, et notre association a été liquidée. En 1992, grâce à de nombreux anciens combattants encore en vie, l’Association des légionnaires tchécoslovaques a pu revoir le jour et réactiver les idées pour lesquelles elle avait été créée. »

Photo: Anna Kubišta,  Radio Prague Int.

Forte de 4 000 membres, l’association rassemble aujourd’hui à la fois des descendants des légionnaires, mais aussi des vétérans de missions récentes à l’étranger ou de simples anonymes proches de ses valeurs. C’est elle qui gère, via un financement attribué par le ministère de la Défense, le musée, mais aussi diverses expositions temporaires dans d’autres lieux. Un de ses projets phare est notamment le Legiovlak, ce train qui rappelle l’odyssée des légionnaires tchécoslovaques coincés dans la Russie en proie à la guerre civile pendant la Première Guerre mondiale, et qui n’ont pu rentrer chez eux qu’après un périple de trois ans à travers la Sibérie et au-delà.

Photo: Anna Kubišta,  Radio Prague Int.

Le Musée des Légions présente de nombreuses vitrines où, grâce à des dons de particuliers qui retrouvent des objets de leurs aïeux, sans savoir quoi en faire, on peut découvrir l’équipement de ces hommes selon les régions où ils ont combattu : on y trouvera notamment des pelles pour creuser des tranchées ou dégager la neige, selon que l’on se trouve en France ou en Russie, mais aussi des nécessaires de cuisine, des trousses à crayons de couleur, des carnets, des tabatières décorées par leurs soins ou d’autres objets confectionnés lors des longues périodes d’oisiveté entre les batailles. Des témoignages touchants d’un quotidien par ailleurs marqué par le sang et la sueur, le froid et la boue : grenades, armes de poing, fusils, baïonnettes, masques à gaz, et même encore sabres, rappellent ici la violence des combats, pouvant même aller jusqu’au corps à corps.

Photo: Anna Kubišta,  Radio Prague Int.

Des panneaux extrêmement fouillés rappellent la chronologie de l’engagement de ces hommes qui ont refusé de servir l’Autriche-Hongrie :

« Nous nous trouvons au début de l’exposition, c’est une sorte de labyrinthe qui représente la chronologie de cette résistante tchécoslovaque. Nous rappelons aux visiteurs les grandes lignes et les événements principaux. Mais ensuite, ils peuvent prendre des chemins différents en suivant des chemins de différentes couleurs. En 1914, différents corps de légionnaires ont vu le jour : en Russie, en France et en Italie. A chaque pays correspond un chemin d’une autre couleur. On mentionne toutefois aussi les Tchèques et Slovaques qui se sont engagés dans l’armée britannique avec 1 000 volontaires ou dans l’armée américaine. »

Daniel Kopecký | Photo: Anna Kubišta,  Radio Prague Int.

Parmi les personnes qui viennent apporter leurs connaissances au travail muséographique mais aussi de recherches de cette institution, Daniel Kopecký, né en Tchécoslovaquie mais qui a passé la majeure partie de sa vie en France, en tant que militaire au sein de l’armée française. Il nous fait également la visite :

« Je suis l’ancien attaché de défense français à Prague, de 2016 à 2021. J’ai pris ma retraite et je suis resté vivre à Prague. J’étais toujours un fervent supporter de ce musée et de l’Association des légionnaires tchécoslovaques parce qu’il est important de maintenir cette mémoire de ces hommes qui sont venus se battre notamment en France. Je suis plus impliqué dans la partie française du musée. »

Photo: Anna Kubišta,  Radio Prague Int.

En effet, le musée est, comme le disait votre collègue, un vrai labyrinthe et il faut vraiment circuler partout pour en savoir plus sur cette histoire…

« C’est un labyrinthe qui retrace cependant très bien le cheminement qu’on dû faire les légionnaires tchécoslovaques dans les trois principaux pays où ils se sont engagés : la Russie, la France et l’Italie. Avec quelques plus petites unités en Serbie, ou aux Etats-Unis. Cela retrace bien l’épopée de ces soldats qui ont vécu différentes étapes et ont été confrontés à des difficultés. »

C’est aussi l’existence des légions tchécoslovaques, notamment celle créée en France, qui a servi d’argument pour défendre l’idée d’un Etat tchécoslovaque indépendant…

« Oui, c’est un des arguments qui a été amené à la table des discussions. Mais au tout début, il faut rappeler aussi l’existence de la Colonie tchécoslovaque à Paris et le rôle crucial du Sokol de Paris dans la création de la légion tchécoslovaque, avec la formation de la compagnie Nazdar, la toute première unité de ces soldats. »

Nazdar, c’est un cri de ralliement, comme « salut »

« C’est le salut des membres du Sokol, cette organisation de gymnastique. Les Français ont adopté ce nom utilisé par les Sokols pour se dire bonjour entre eux. »

Photo: Anna Kubišta,  Radio Prague Int.

Cette légion est-elle intégrée à l’armée française ? Quel est son statut ?

« Au tout début, la compagnie Nazdar a été intégrée à la Légion étrangère jusqu’en 1917 où il y a eu des décrets interdisant le recrutement de soldats issus de pays qui étaient en guerre. A ce moment-là il y a eu un flou inattendu pour ces unités composées essentiellement de Tchécoslovaques. Ensuite, il y a eu la création de la toute première armée tchécoslovaque en août 1918 alors même que l’Etat tchécoslovaque n’existait pas. Peu de gens le savent : il s’agissait d’une armée sans Etat ! »

Il y a des noms importants liés à la légion tchécoslovaque en France, comme František Kupka ou Otto Guttfreund, deux artistes engagés dans ses rangs…

« Des personnages célèbres ont été en effet membres des légions, comme Kupka et Guttfreund. Il y a aussi eu des écrivains qui ont raconté leur expérience dans la légion. Il y avait aussi le sculpteur Otakar Španiel qui est connu pour ses gravures et dont le fils est mort pendant la Deuxième Guerre mondiale, en combattant côté français. »

Photo: Anna Kubišta,  Radio Prague Int.

Y a-t-il une bataille de la Première Guerre mondiale dans laquelle les légionnaires se sont particulièrement distingués ?

« La plus importante est celle de La Targette, quasiment la première à laquelle les légionnaires tchécoslovaques ont participé et où se trouve le plus grand carré militaire tchécoslovaque en France. Il y a aussi Darney, dans les Vosges, où l’armée tchécoslovaque a été formée et a reçu son premier drapeau des mains du président Poincaré. Ce qui est intéressant dans cette exposition c’est que tous les chemins à suivre convergent à cette grande fresque qui est le défilé de la victoire en décembre 1918 en présence du président Masaryk. On y voit les légionnaires tchécoslovaques dans leurs différents uniformes, français, russes, italiens. »

Que sont devenus les légionnaires après leur retour ? Il y a ceux qui sont rentrés après la guerre, mais aussi ceux, coincés en Russie, qui rentrent tardivement, parfois en 1920-1921 seulement… Comment sont-ils accueillis, considérés ? Rejoignent-ils l’armée régulière ?

« Leur destin est particulièrement intéressant. Les Tchécoslovaques qui ont combattu en France et en Italie sont en effet arrivés ici relativement tôt, par rapport à ceux en Russie qui ont été obligés de faire le tour du monde, à partir de Vladivostok. Ce qui est intéressant, ce n’est pas tant la prise en charge puisque quasiment tous ont été intégrés dans la nouvelle armée tchécoslovaque mais c’est surtout l’influence de ces légionnaires sur les conflits post-Première Guerre. Il y a eu des combats assez lourds contre la Hongrie qui voulait s’emparer du sud de la Slovaquie et où les légionnaires tchécoslovaques formés en France ont pris un ascendant important sur leurs collègues des légions italiennes. Il y a eu une sorte de lutte d’influence interne, entre la France et l’Italie. Mais les légionnaires revenus de France étaient mieux formés, mieux équipés, et dirigés par des officiers français. »

Photo: Anna Kubišta,  Radio Prague Int.

C’était avant la mission française en Tchécoslovaquie ?

« Oui, avant. Et c’était assez déterminant sur l’influence qu’a eue ensuite ici l’armée française sur la formation de la première armée tchécoslovaque. La mission militaire française n’arrive en Tchécoslovaquie qu’en 1919, avec à sa tête le général Pellé qui est devenu assez vite le premier chef d’Etat-major de l’armée tchécoslovaque, comme ses deux successeurs… »

Les généraux Mittelhauser et Faucher…

« Les trois commandants de l’académie militaire de Výškov sont également français. Ils ont formé la base de cette académie, et on oublie souvent qu’il s’agissait d’officiers français. C’est une mission très importante puisqu’ils étaient plus de 145 officiers à conseiller l’Etat-major tchécoslovaque. Petit à petit, les officiers tchécoslovaques étant formés, la mission militaire décroit et n’a plus qu’un rôle de simple conseiller. »

Le Musée des Légions est ouvert du mardi au vendredi de 9h à 18h.

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