Au Tadjikistan, de nouvelles sépultures de soldats tchèques de la Grande Guerre retrouvées

Le monument funéraire de soldats tchèques á Mekhrabad, dans le nord du Tadjikistan

A Mekhrabad, dans le nord du Tadjikistan, un nouveau monument funéraire de soldats tchèques faits prisonniers durant la Première Guerre mondiale, alors qu’ils combattaient dans les rangs de l’Autriche-Hongrie, a été recensé fin juillet.

Lorsque Chirali Charipov a acheté sa maison en 1992, au lendemain de la chute de l’URSS, le jeune Tadjik s’était donné pour devoir de préserver et d’entretenir, comme l’avaient fait avant lui les propriétaires successifs de la parcelle, le petit monument funéraire qui trône dans un angle de la cour depuis la Première Guerre mondiale.

Le monument funéraire de soldats tchèques á Mekhrabad,  dans le nord du Tadjikistan | Photo: ČT24

A première vue, pourtant, l’ouvrage ne revêt pas d’intérêt esthétique particulier. Le style est dépouillé : quelques pierres amoncelées surmontées d’une croix ; en somme, une stèle funéraire comme le monde en compte par millions. La valeur du monument est ailleurs et réside plutôt dans l’épitaphe en cyrillique pré-révolutionnaire rendant hommage « Aux défunts prisonniers de guerre » qui rappelle que dans cette tombe, située aux confins de l’Asie centrale, reposent les dépouilles de soldats austro-hongrois de la Première Guerre mondiale, parmi lesquels des Tchèques, morts en captivité dans l’empire russe, à des milliers de kilomètres de leur patrie.

Le monument funéraire de soldats tchèques á Mekhrabad,  dans le nord du Tadjikistan | Photo: ČT24

Quand la guerre a éclaté en 1914, tous avaient répondu à l’ordre de mobilisation générale décrété par l’empereur François-Joseph. Affectés au front de l’Est, ils avaient finalement été faits prisonniers par l’armée du tsar et envoyés dans les contrées reculées de l’Empire russe. Le trajet vers ces régions était souvent éprouvant et tous n’y résistaient pas. Radim Chrast, du Département des anciens combattants et des sépultures de guerre (OVVV) du ministère de la Défense explique :

Radim Chrást | Photo: ČT24

« Certains soldats décédaient dans le train car le voyage durait près de quatre ou cinq semaines. La nourriture était de très mauvaise qualité et l’eau était contaminée. Les prisonniers arrivaient bien souvent dans un état fortement dégradé. »

Ceux qui survivaient au voyage étaient ensuite utilisés comme main d’œuvre dans les territoires où ils étaient détenus, comme le rapporte l’historien ouzbek Njemadjon Sobirov :

« Durant la Première Guerre mondiale, toute la population locale était mobilisée sur le front. À l’arrière, il y avait toutefois des routes à construire, ainsi que des bâtiments résidentiels et administratifs, des usines, des mines, des ateliers… Les prisonniers de guerre étaient affectés à toutes ces tâches. »

Pour l’historien, les soldats tchèques qui étaient prisonniers au Turkestan bénéficiaient néanmoins d’un traitement plus favorable que dans d’autres régions de l’empire, en raison notamment de l’empathie des populations locales qui n’hésitaient pas à leur apporter leur aide. Pour autant, les conditions de vie des Tchèques en Asie centrale n’en restaient pas moins difficiles. Entre leurs habitations de fortune, les maladies et la rudesse du climat, beaucoup des prisonniers n’ont jamais revu leur Bohême et Moravie natales.

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C’est justement pour ne pas oublier leur histoire et honorer leur mémoire que depuis plusieurs années, des Tchèques, soutenus par le ministère de la Défense, se sont donnés pour mission de recenser à travers le monde, et notamment dans l’ancien empire russe, les sépultures d’anciens combattants tchèques. Un défi de taille, quand on sait que dans le seul ancien Turkestan, des dizaines de milliers de Tchèques et Slovaques pourraient être décédés.

Chirali Charipov | Photo: ČT24

Une triste abondance dont a fait récemment l’expérience le Tadjik Chirali Charipov qui a découvert deux autres squelettes, non loin du monument funéraire de sa cour :

« Nous les avons enterrés dans un coin du jardin. Nous avons creusé la terre puis nous les avons soigneusement disposés dans la fosse, avant de lire quelques passages du Coran et de les inhumer. »

Le recensement des sépultures de soldats tchèques est un travail laborieux et se heurte à de nombreux obstacles. Outre le Turkménistan qui restreint drastiquement depuis des décennies l’entrée des étrangers sur son sol, la Russie est désormais inaccessible aux chercheurs depuis le déclenchement de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine en 2022.

Photo: ČT24

Ces obstacles sont pourtant loin de décourager Radim Chrast. Après l’Ouzbékistan et le Tadjikistan, le chercheur missionné par le ministère de la Défense tchèque devrait prochainement prendre la direction les steppes du nord du Kazakhstan où d’autres dépouilles tchèques pourraient être découvertes, et pas seulement celles de prisonniers de l’armée austro-hongroise. Radim Chrast s’attend, en effet, à trouver également les tombes de légionnaires tchécoslovaques, ces soldats qui avaient choisi de combattre aux côtés de la Triple Entente dans l’espoir d’obtenir un État indépendant tchécoslovaque au sortir de la guerre, mais qui, sur le front de l’Est, se sont finalement retrouvés bloqués en Russie en 1917 lors du changement de régime et de la signature de l’armistice. Enfin, en plus des sépultures des prisonniers de guerre et des légionnaires tchécoslovaques, pourraient se glisser quelques tombes de « Tchèques rouges » qui s’étaient rangés du côté des bolcheviks durant la Grande Guerre et qui ont été exécutés, pour certains d’entre eux, par leurs compatriotes légionnaires.

Nul doute donc que les prochaines prospections au Kazakhstan, tout comme celles au Tadjikistan fin juillet, permettent d’enrichir une nouvelle fois encore la carte interactive créée par le ministère de la Défense tchèque, et disponible sur internet, qui recense depuis 2009 l’ensemble des sépultures de guerre tchèques à travers le monde.

Auteur: Paul-Henri Perrain | Source: Česká televize
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