Entretien avec le Secrétaire d'Etat au tourisme tunisien Slim Chaker
Le secrétaire d’Etat tunisien chargé du tourisme, Slim Chaker, était cette semaine à Prague. Il s’agissait de la première visite d’un membre du gouvernement de transition mis en place après la révolution du jasmin et la chute du régime du président Ben Ali. L’occasion pour Radio Prague de poser quelques questions à Slim Chaker sur les nouvelles relations entre Tunis et Prague depuis ces événements.
Nous avons aussi convenu de travailler ensemble pour relancer le tourisme dans les deux destinations. En 2007, 150 000 Tchèques étaient allés en Tunisie, en 2010 ils n’étaient plus que 75 000. Je suis venu comprendre pourquoi. Cela m’a également permis de discuter avec mon homologue des opportunités d’investissements. Aujourd’hui la Tunisie est devenue libre et démocratique, tous ceux qui veulent investir sont les bienvenus, pourquoi ne pas mettre en relation des hommes d’affaires tchèques et tunisiens pour monter des projets en commun ? Vous savez, la Tunisie peut très bien être un ‘hub’ vers les pays d’Afrique et du Maghreb. »
Alors pourquoi cette baisse du nombre de touristes ? Est-ce dû à la concurrence d’autres destinations, au manque d’informations sur ce qui se passe en Tunisie, qui a été un peu oubliée avec les autres événements dans la région et l’actualité internationale ?
« La baisse remonte à avant la révolution. La première explication est la crise de 2008-2009 qui a fait que les touristes potentiels ont préféré rester chez eux. Il y avait aussi un problème spécifique à la Tunisie avec une compagnie aérienne qui transportait les touristes et ne respectait pas les prestations de services demandées, avec notamment beaucoup de retards. Aujourd’hui cette compagnie a été fermée, et nous avons mis en place des compagnies beaucoup plus modernes et efficaces, qui ont pris l’engagement de respecter les horaires. »Comment ça se passe avec les infrastructures touristiques qui appartenaient au président Ben Ali ou à son clan ?
« Sur 600 ou 700 hôtels il n’y en a qu’une vingtaine qui appartiennent aux proches de Ben Ali, qui mettaient en place une structure et confiaient la gestion à quelqu’un d’autre pour récupérer les bénéfices. C’est très simple : nous avons adopté une démarche qui consiste à garder ces unités, à mettre un gestionnaire qui vient de la fonction publique tunisienne de manière à préserver les emplois, et puis nous avons procéder à une expropriation du capital qui appartenait à la famille de Ben Ali. Le capital est donc public et appartient donc aujourd’hui au peuple tunisien en attendant de voir comment on va faire par la suite pour privatiser ces unités. Il faut ce genre de solutions de bon sens qui consistent à préserver les emplois, parce que les pauvres personnes qui y travaillent n’ont rien à voir avec la famille, ce sont des gens qui travaillent pour nourrir leurs enfants. Nous avons coupé la jonction entre l’entreprise et ceux qui détenaient le capital pour le nationaliser. »
La République tchèque a une expérience relativement récente du passage de la dictature à la démocratie - c’était il y a une vingtaine d’années -, est-ce que les Tchèques peuvent vous apporter quelque chose de cette expérience ?
« C’est exactement ce que j’ai dit tout à l’heure à mon homologue tchèque : ‘Vous avez fait la révolution de velours en 1989, nous avons fait la révolution du jasmin en 2011, le chemin que vous avez parcouru en vingt ans, en mettant en place des élections libres, démocratiques et transparentes, en mettant en place un parlement, une constitution, un système de gouvernance basé sur la démocratie, de nouvelles institutions et surtout un système économique performant, nous commençons à l’emprunter maintenant. Vous avez vingt ans d’avance, certainement que nous aurons besoin de votre savoir-faire, de vos success-stories, de vos conseils. Je suis sûr que ces conseils seront précieux. J’ai convenu avec mon homologue du tourisme et du développement régional de venir en Tunisie pour une visite officielle et lui ai suggéré de venir avec des hommes d’affaires, pour mettre en place des projets très rapidement. Je suis sûr que si vous mettez des businessmen tchèques et tunisiens dix minutes à la même table, ils vont faire des affaires et des projets en commun, et à mon avis c’est la meilleure façon de renforcer la coopération entre la République tchèque et la Tunisie. »
Ce sera sans doute également l’un des objectifs du chef de la diplomatie tchèque, Karel Schwarzenberg, qui se rend en Tunisie en fin de semaine…
« Effectivement, il sera en Tunisie ce vendredi et le dossier du tourisme figure parmi les dossiers à l’ordre du jour. Je pense qu’aujourd’hui nous assistons aux premiers pas d’une coopération qui, je l’espère, sera fructueuse pour les deux parties. »
Vous faisiez le parallèle entre révolution de velours et révolution du jasmin ; il y a eu dans les médias des comparaisons un peu plus poussées, avec notamment l’immolation de ce jeune Tunisien, Mohamed Bouazizi, au début des événements, comparée à l’immolation du jeune Tchèque Jan Palach en 1969. Et certains Tunisiens ont dit : ‘Nous avons notre Jan Palach mais il nous manque notre Václav Havel’…
« Oui, effectivement il nous manque notre Václav Havel. C’est pour ça que nous, au gouvernement de transition, nous travaillons pour qu’il y ait le 24 juillet des élections libres, transparentes et démocratiques et pour qu’à l’issue de ces élections nous ayons nous aussi notre Václav Havel. Un ministre étranger venu me voir juste après la révolution m’a dit en descendant de l’avion ‘Monsieur Chaker, j’ai vraiment un sentiment de fierté en venant en Tunisie, le nom de la Tunisie sera inscrit dans les livres d’histoire’. Je lui ai répondu : ‘Monsieur le ministre, mon objectif n’est pas qu’il soit inscrit dans les livres d’histoire, mon engagement est qu’il soit gravé en lettres d’or dans les livres d’histoire’. »