Yosra Souiden, ambassadrice du pays de la révolution de Jasmin dans celui de la révolution de Velours
Yosra Souiden est la nouvelle ambassadrice de Tunisie à Prague. Elle a répondu aux questions de Radio Prague Int. sur les relations tchéco-tunisiennes et l’évolution de la situation dans son pays depuis le Printemps arabe, qui a commencé en 2011 en Tunisie, seul pays à ce jour à mener tant bien que mal le processus de démocratisation réclamé par la population dans le monde arabo-musulman.
Vous êtes arrivée à Prague et venez de présenter la semaine dernière vos lettres de créances au Président tchèque Miloš Zeman. Quelles sont vos premières impressions ?
« Mes premières impressions de cette ville sont extraordinaires. J’ai promis au Président Zeman de dire que Prague est la plus belle ville d’Europe. Après mes visites de ce week-end je peux dire que Prague est bien la plus belle ville que j’ai vue jusque-là. »
Est-ce la première fois que vous venez à Prague ? Qu’est-ce que le pays et sa capitale évoquaient pour vous avant votre nomination ?
« Je n’étais jamais venue avant et Prague représentait pour moi une ville historique avec beaucoup du patrimoine et l’orchestre symphonique… Et puis j’avais aussi cette idée du pays de la révolution de Velours. »
« Comme vous le savez, mon pays a également connu une révolution en 2010/2011 et les médias tunisiens font souvent référence à cette expérience tchèque et cherchent les raisons de la réussite de cette révolution de 1989. La Tchéquie est aujourd’hui stable avec de très bons indicateurs économiques. »
Révolution de Velours/Révolution de Jasmin
C’est vrai qu’il y a eu des parallèles de faits, d’abord entre le geste de Jan Palach en 1969 et celui de Mohamed Bouazizi qui s’est également immolé par le feu fin 2010, puis entre les deux révolutions pacifiques, la révolution de Velours à Prague en 1989 et la révolution de Jasmin à Tunis en 2011. Le modèle tchécoslovaque de l’époque est-il toujours une inspiration pour votre pays aujourd’hui ?
« Je pense que oui. Les deux pays ont connu ces révolutions à la recherche des mêmes valeurs : la démocratie, la liberté, les droits de l’Homme, la liberté d’expression… Donc les deux peuples avaient les mêmes ambitions et les gardent. »« Dans mon pays, on peut considérer qu’on a réussi à faire de grands pas sur la voie de la transition politique et nous continuons actuellement pour la transition économique. La même chose s’est passée ici et les résultats sont impressionnants, avec le taux de chômage le plus bas d’Europe. Ce modèle ne peut être qu’inspirant pour nous. »
Lutte contre le terrorisme et l’immigration clandestine
La Tchécoslovaquie puis la Tchéquie n’ont pas été confrontées aux mêmes défis que la Tunisie ces dernières années – à commencer par le terrorisme islamiste. Le mois prochain, cinq ans se seront écoulés depuis l’attentat au musée du Bardo à Tunis, suivi par l’attentat en juin 2015 à Sousse. Où en est la situation sécuritaire aujourd’hui en Tunisie ?
« C’est vrai, ces attentats ont marqué la Tunisie et les Tunisiens. Le point fort de mon pays est que tous les Tunisiens sont unanimes contre le terrorisme. Quand on a subi l’attaque à Ben Gardane en mars 2016, le citoyen ordinaire était aux côtés des forces de sécurité pour faire face. »« Je pense qu’en cinq ans nos militaires et forces de l’ordre ont réussi à rassurer le pays et assurer sa sécurité. Au quotidien, ils continuent à lutter efficacement dans les zones frontalières avec l’Algérie et aussi la Libye, qui est toujours très instable. Nous faisons des efforts énormes pour stabiliser le pays, pour les touristes et la vie quotidienne des Tunisiens. »
« Dans le même temps, on fait de grands efforts aux frontières maritimes et terrestres pour lutter contre l’immigration clandestine. Mon pays fait face à beaucoup de défis. La Tunisie est une jeune démocratie dans un environnement plus ou moins instable. Les enjeux et les défis sont énormes, mais le pays est stabilisé au niveau sécuritaire est nous pouvons nous atteler à l’amélioration de la vie quotidienne des Tunisiens. »
« Ce phénomène de terrorisme touche tous les pays du monde. Nul n’est immunisé contre ce phénomène. Nous faisons ce que nous pouvons et prenons toutes les mesures nécessaires. Nous allons en profondeur jusqu’aux racines de ce problème et nous intéressons à l’éducation, à l’élimination du chômage et l’amélioration des conditions économiques. Mais ce phénomène mondial doit être combattu par l’ensemble de la communauté internationale. »
La Tunisie invitée d’honneur au Salon du Tourisme à Prague
Est-ce que la promotion de la Tunisie en tant que destination touristique fait partie de vos missions ici à Prague ?
« Nos amis tchèques connaissent peut-être mieux la Tunisie que moi la Tchéquie ! Les touristes tchèques chez nous étaient au nombre de 100 000 cette année, ce qui représente 40% d’augmentation par rapport à l’année 2010. Les responsables tunisiens voient en cela un signe de confiance du peuple tchèque en notre pays. Peut-être est-ce aussi un signe de rapprochement, parce que les Tchèques sont conscients qu’un pays en transition n’est pas un pays dangereux. Ils viennent aussi pour soutenir cette jeune démocratie. L’une de mes missions est d’augmenter encore ce chiffre et de faire encore davantage connaître mon pays aux touristes tchèques. »« D’ailleurs le ministre tunisien du Tourisme sera à Prague mi-février pour le salon du tourisme afin de promouvoir la Tunisie, qui sera l’invité d’honneur de ce salon et qui n’est qu’à deux heures de vol de Prague. »
La Tchéquie fait partie des pays du groupe de Visegrad, réputés pour leur hostilité à toute immigration et en particulier à l’immigration musulmane ou à l’islam en général, notamment en Hongrie ou en Slovaquie mais aussi en Tchéquie dans une moindre mesure. En tant qu’ambassadrice d’un pays du monde arabo-musulman en avez-vous entendu parler avant votre nomination à Prague ?
« Avant ma venue ici je connaissais le groupe de Visegrad comme un groupement économique et politique mais je n’ai pas eu écho de cette tendance. Je pense qu’on ne peut pas parler d’hostilité à l’islam, qui est une religion comme les autres, avec un système de valeurs plutôt pacifistes et qui parle de valeurs humaines communes. »
« Pour ce qui est de la question migratoire, c’est un défi et un enjeu pour l’Europe et notre région méditerranéenne. La Tunisie accueille un nombre très important de ressortissants libyens et elle est aussi un pays de passage de migrants. Nous faisons de notre mieux pour limiter les flux de migrants ; c’est un travail colossal qui coûte énormément de temps et d’argent. »
Des relations économiques tchéco-tunisiennes à développer
Quelle est l’évolution des relations économiques entre la Tunisie et la Tchéquie ces dernières années ?
« La Tchéquie est pour nous un pays très important parce qu’il y a beaucoup d’opportunités. Le volume de nos échanges commerciaux est déjà important avec 370 millions de dollars annuellement mais nous voulons les développer. Jusqu’à présent il n’y a qu’un seul investisseur en partie tchèque présent en Tunisie et nous voulons en attirer davantage. Les échanges sont axés surtout sur les produits manufacturés ou pièces de rechange, avec également un représentant de la marque Škoda Auto en Tunisie. Mais il y a beaucoup d’autres domaines à envisager pour développer les échanges entre nos deux pays. »
« Cette année, nous avons notamment eu une très bonne récolte des olives, avec d’importantes quantités d’huile produites. Nous cherchons un nouveau marché. La Tchéquie a déjà des partenaires classiques mais a elle aussi besoin de nouveaux marchés, surtout dans le domaine de l’industrie. »« Les perspectives sont prometteuses et avec mon équipe nous allons essayer de développer ces échanges, avec aussi les Tunisiens présents et très bien intégrés ici, qui ont aussi des idées pour le développement de ces relations tchéco-tunisiennes. »