Éric Bernard (« Sauvage ») : « Incarner un homophobe qui tombe amoureux d’un mec, c’est jouissif »

'Sauvage'

Zatoulaný, « Sauvage » en français, c’est le nom du premier film de Camille Vidal-Naquet qui est sorti jeudi à Prague. Le film, qui aborde sans détours la question de la prostitution masculine, a reçu le César du meilleur premier film, mais également le Grand Prix du jury du festival Mezipatra, le festival du film queer de Prague. Radio Prague s’est entretenu avec l’un des acteurs, Éric Bernard.

Ce film est sorti il y a un an en France, il est sorti jeudi en République tchèque : ça veut dire que ça fait longtemps que vous vivez avec !

« Oui, le tournage a eu lieu il y a trois ans, donc ça fait une éternité. Il y a eu plusieurs cérémonies, notamment les Césars, et puis il sort encore dans plusieurs pays… Entre temps, j’ai des cheveux blancs qui ont poussé et j’ai pris quelques kilos (rires). »

Très honnêtement, ça fait plaisir de se replonger dans la promo ou c’est barbant ?

« Vous m’auriez dit ça il y a un an, ça l’était. Là, ça fait six mois que je n’ai pas fait de promotion et je suis assez content de le faire. Il y a certaines choses que je n’avais pas vues, des interviews de Camille Vidal-Naquet, le réalisateur, que j’ai lus… Ça me permet de comprendre des angles que je n’avais pas encore vus. C’est vraiment intéressant ! »

Ce n’est pas la première fois que ce film s’exporte à l’étranger, est-ce que des questions vous ont surpris ?

« En fait, ces problématiques très ouest-européennes se retrouvent ici en fait. Les questions sont les mêmes. C’est vrai que quand on change de pays les questions peuvent varier. En Belgique, les questions étaient plus sur la situation sanitaire du prostitué, par exemple. Le curseur change en fonction du pays : on passe du point de vue du prostitué au point de vue du client.

Éric Bernard dans le film 'Sauvage',  photo: Pyramide Distribution
Aujourd’hui, les questions m’ont vraiment plu. Les journalistes ont pris le film à bras le corps et en ont compris les problématiques. Ça me fait très plaisir. »

Le film risque d’être présenté comme « un film LGBT », puisqu’il a reçu le prix du jury du festival Mezipatra, ça vous dérange ?

« Non, ça me rend heureux de voir qu’il a encore un écho aujourd’hui en République tchèque. En France, la plupart des combats des LGBT ont été gagnés : le mariage, l’accès au soin pour les personnes séropositives… Je pense qu’ici, il faut avoir du courage pour présenter un film LGBT en République tchèque. C’est intéressant de ramener ces questions dans le débat public. Tant mieux si l’acteur peut servir à ça ! »

Quelles ont été les répercussions sur votre carrière du César du meilleur premier film décerné à Sauvage ?

« Les professionnels du cinéma me connaissent depuis une vingtaine d’années. Pendant vingt ans, j’ai dû pas mal me battre pour avoir accès à certaines auditions, à certains rôles. Aujourd’hui, ça a changé, je n’ai plus à prouver ma capacité à jouer. Cela dit, la difficulté qui est la mienne c’est que le cinéma français a plaqué l’étiquette « LGBT » sur mon dos. Ça ne me dérange pas : je suis persuadé qu’on est sur cette Terre pour accomplir une mission, d’autant que la thématique LGBT m’anime pas mal. Je suis homosexuel moi-même, alors je suis assez fier de pouvoir faire un peu avancer certaines thématiques sans être un porte-drapeau. »

Cela change de l’image du maghrébin stéréotypé qui vous a longtemps collé à la peau…

'Sauvage',  photo: Pyramide Distribution
« Pendant vingt ans, on m’a demandé de jouer tout le temps le même personnage. C’était toujours les mêmes scénarios, les mêmes situations. Je retrouvais textuellement les mêmes scènes d’une série à une autre. C’est le même problème avec la thématique LGBT pour les gays qui seraient de confession musulmane ou de la communauté maghrébine…

Par exemple, cette année j’ai décidé de ne pas faire la marche des fiertés à Paris, qui est complètement dépolitisée. C’est une grande foire. J’ai préféré allé marcher à Saint-Denis, en banlieue parisienne, qui concentre énormément de communautés, et où vivre son hmosexualité est encore très difficile. C’était la première marche des fiertés de Saint-Denis ! Je trouvais que ça avait beaucoup plus de sens. »

Le film Sauvage vous éloigne des stéréotypes, lui…

« Je ne sais pas. Ahd, mon personnage, est très stéréotypé. Il est plutôt homophobe, et en même temps c’est un homosexuel refoulé. Par sa communauté, il s’interdit d’être ce qu’il est, ce qui est une violence inouïe qu’il s’inflige. Je trouvais ça intéressant que ce mec-là, surviril, soit homosexuel, c’est assez jouissif. C’était intéressant de lui donner un peu plus d’épaisseur que ça. Camille Vidal-Naquet voulait une sorte de brute, j’ai pu lui proposer une dimension sentimentale. Un mec qui est à ce point-là homophobe mais tombe amoureux d’un mec, ça crée un conflit magnifique pour l’acteur que je suis. Jouer ça, c’est jouissif ! »

Racontez-nous comment vous vous êtes préparé à ce rôle.

'Sauvage',  photo: Pyramide Distribution
« Je me rendu dans le bois de Boulogne, contre l’avis de Camille, le réalisateur, qui avait peur du danger. J’y suis quand même allé, j’ai rencontré un jeune Syrien à qui j’ai proposé d’aller prendre un verre. On a discuté et on a créé un vrai lien tous les deux. Je trouvais intéressant de préparer ce rôle avec un vrai référent dans le réel. C’est facile de créer des personnages imaginaires mais rien ne vaut une confrontation au réel. »

Comment ça s’est passé avec Félix Maritaud ?

« Assez simplement. Je l’ai rencontré au moment des auditions. On s’est très vite mis en contact à partir du moment où j’ai été pris sur le fil, quelques jours après les auditions. Je l’ai invité à dîner, et c’était intéressant de me dire qu’on créait un vrai lien. Il fallait qu’avant de tourner on ait déjà un vrai lien. Toutes les scènes de sexe ont été plus difficiles pour moi, c’était la première fois que je faisais ça. J’avais l’impression qu’il fallait que je donne une version spectaculaire de tout ça. Alors qu’on fait Camille Vidal-Naquet voulait un aspect plus concret. Ces prostitués, ce sont juste des gens qui vont au boulot ! C’est comme ça qu’on a travaillé les scènes, et d’un seul coup ça m’a libéré. Je me suis dit : 'je ne vais pas au zoo, je ne suis pas là pour être observé'. C’est ce que Camille voulait, alors ça a bien marché. »