Et si le caractère de l’Etat de droit était en jeu?

Petr Nečas, photo: CTK

La crise politique que vit actuellement la République tchèque, qui a été déclenchée par l’arrestation et la mise en examen de la directrice du cabinet du Premier ministre démissionnaire Petr Nečas et de plusieurs responsables politiques et militaires, ne cesse d’alimenter les médias nationaux. Un sujet que nous ne pouvions donc omettre dans cette revue de presse de la semaine écoulée... Les pages sportives suivent de leur côté attentivement la finale de la Coupe Stanley en raison de la participation à cet événement de plusieurs vedettes tchèques du hockey sur glace, parmi lesquelles en premier lieu le légendaire Jaromír Jágr.

Petr Nečas,  photo: CTK
« La Tchéquie connaît une des plus grandes affaires politiques de son histoire », observe l’éditorial de la dernière édition de l’hebdomadaire Respekt tout en précisant : « Il est vrai que, dans le passé aussi, il y a eu de grands scandales de corruption touchant des chefs de gouvernement. Cette dernière affaire possède cependant certains traits nouveaux. D’abord, une fois dévoilée, elle ne demeure pas impunie. Et puis, jamais encore auparavant un haut responsable politique ou un de ses collaborateurs n’avait utilisé les services de renseignement militaire à des fins personnelles. »

D’abord hésitant, le Premier ministre Petr Nečas (ODS) a finalement remis sa démission, lundi. L’occasion pour certains commentateurs de dresser un bilan de son parcours et de brosser un portrait de sa personnalité. Dans le quotidien économique Hospodářské noviny, Petr Kamberský décrit le chef de gouvernement démissionnaire comme un homme plein de paradoxes. Il précise :

« Plus que tous les autres, Petr Nečas tenait à protéger sa vie privée et, pourtant, il abandonne son poste en plein scandale tragi-comique. Conservateur convaincu, il pratiquait une politique qui avait plus d’un trait d’une politique sociale-démocrate. Chef de gouvernement dont la cote de popularité est peut-être la plus faible de l’histoire, il jouissait d’un crédit élevé auprès des ‘opinion leaders’. L’homme qui affronte ce que l’on aime appeler ‘le plus grand scandale de corruption de l’histoire politique du pays’, n’a pourtant jamais rien détourné ou volé ».

L’auteur de l’article considère que l’histoire évaluera Petr Nečas plus positivement que ne le fait à présent l’opinion publique. Cela dit, il est selon lui trop tôt pour porter dès maintenant un jugement sur ce ‘gentil garçon de la ville de Rožnov’ arrivé jusqu’au sommet et dont la chute apparaît grotesque. Il ajoute :

« Ce qui est certain, c’est que, sous sa direction, le gouvernement a mis sur pied des changements fondamentaux que ses prédécesseurs, pendant les vingt années précédentes, n’avaient pas réussi à faire. Il a stabilisé le budget de l’Etat et réglé les rapports entre l’Etat et les Eglises. Il a aussi imposé une réforme du système des retraites qui, tout en étant critiquée de toutes parts, a finalement abouti sans porter atteinte au principe de solidarité. »

Le quatrième et principal paradoxe consiste, toujours selon le journal, dans la « libération » de la police et dans le « détachement » du ministère public suprême, deux faits rendus possibles sous le gouvernement Nečas et qui, paradoxalement, ont finalement entraîné sa perte.

« L’homme politique qui ne savait pas savourer son pouvoir » : tel est le titre d’un article publié dans l’édition de mardi du quotidien Lidové noviny dans lequel son auteur analyse à son tour le parcours politique de Petr Nečas et dans lequel nous pouvons lire :

« La carrière de Petr Nečas est un exemple type de ce que la politique est beaucoup moins une activité technocrate qu’un art de communiquer avec les gens. Dire que Nečas était un des hommes politiques les plus érudis de ce pays n’est pas exagéré... D’un autre côté, il n’était pas doté du talent dont un politicien a besoin, celui de savoir rassembler, de gagner la loyauté, d’utiliser la force et la ruse... Ainsi, un homme qui répondait à tous les critères que la population attend aujourd’hui d’un représentant politique, n’a pas su convaincre une grande partie de celle-ci. »

Martin Weiss conclut son article, dans lequel il récapitule les chapitres-clés de la carrière politique de Nečas qui a démarré au début des années 1990, en constatant :

« Nečas restera dans notre mémoire comme le politicien le plus correct de la décennie écoulée et, en même temps, comme un politicien dévoué à sa cause, un de ceux qui sont entrés dans la vie publique immédiatement au lendemain de la chute du régime communiste en 1989... Notre époque pragmatique n’amène plus de telles personnes dans la politique. L’aisance avec laquelle cet homme qui a tout perdu se présente aujourd’hui, semble indiquer que le pouvoir suprême était pour lui un fardeau dont il se sent désormais soulagé. »

Dans une autre édition de Lidové noviny, son auteur Jan Dražan évoque ‘l’agonie de Petr Nečas’, en réaction au fait que le Premier ministre a d’abord assez longtemps hésité et même contre-attaqué avant de donner sa démission, car la situation était devenue ‘intenable’. Il écrit :

« Repousser cette décision aurait signifié prolonger indignement un spectacle dont on connaîssait à l’avance le dénouement. Nečas a fini, car il n’y avait pas d’autre issue. »

Et voici encore un extrait d’un texte publié sur le site de l’hebdomadaire Respekt. Ondřej Kundra réfléchit sur l’importance du verdict qui sera prononcé dans l’affaire des trois députés ODS qui, rappelons-le, sont accusés de s’être laissés corrompre en acceptant des postes avantageux dans des entreprises publiques, des ‘trafika’ en tchèque. Le tout en échange des ‘services rendus’ lors d’un important vote au Parlement. Il écrit :

« Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est le caractère de l’Etat de droit, ainsi que la confiance faite à son administration. Comment les gens pourraient-ils croire que les politiciens gérent les affaires dans leur intérêt à partir du moment où la politique se réduit à des marchandages infâmes ayant apparemment un caractère illégal ? S’ils continuent à se comporter comme l’a fait le Première ministre Nečas, on risque de voir la population refuser le système en tant que tel – ce qui laisse la voie libre à toutes sortes de populistes et de xénophobes ».


Jaromír Jágr,  photo: CTK
La série de la finale disputée ces jours-ci de la Coupe Stanley, trophée le plus prestigieux du hockey sur glace professionnel en Amérique du Nord, est très étroitement suivie en République tchèque, en raison de la présence de quatre joueurs tchèques. Ce sont notamment les performances sous les couleurs des Boston Bruins du quadragénaire Jaromír Jágr, hockeyeur adulé du public tchèque, qui sont au coeur de l’intérêt des médias. Petr Honzejk de Hospodářské noviny a replacé le phémomène Jágr dans un contexte plus large. Il écrit :

« A l’heure actuelle, on trouve très peu de grandes histoires ou d’exemples auxquels les Tchèques voudraient s’identifier. Jaromír Jágr s’y prête pourtant parfaitement. Ce qui fascine le plus chez lui, ce n’est pas tant le fait qu’il soit encore capable de jouer au hockey au plus haut niveau à son âge (41 ans), mais la durée pendant laquelle il se maintient au sommet. C’est effectivement en 1991 qu’il a joué sa première finale de la Coupe Stanley avec les Pittsburgh Penguins. »

D’où provient la longévité incroyable de Jaromír Jágr ? L’auteur de l’article souligne que Jágr incarne les qualités telles que le talent, la volonté, la concentration, la persévérence, l’opiniâtreté. Ainsi, il s’en prend au paradigme omniprésent dans la société tchèque qui veut que les choses, pour telle ou telle raison prétendumment objective, sont impossibles. Son histoire, au contraire, démontre que ‘oui, c’est possible’. En conclusion, il écrit :

« Finalement, peu importe si, à la fin de sa brillante carrière sportive, Jaromír Jágr remporte avec son équipe de Boston le trophée de vainquer de la ligue NHL, et ce même si, bien sûr, toute la Tchéquie le lui souhaite beaucoup. En effet, son histoire connaît déjà un happy end qui, potentiellement parlant, s’offre à tout un chacun ».