Eurocrim 2014 : Prague a accueilli des criminologues du monde entier
« Criminologie de l’Europe : l’inspiration par la diversité » : tel était l’intitulé de la Conférence annuelle de la Société européenne de criminologie qui s’est tenue à Prague du 11 au 13 septembre derniers. Organisée sous le patronage du ministère de la Justice en collaboration avec la Société tchèque de criminologie et l’Université Charles de Prague, cette conférence a accueilli plus d’un millier de criminologues du monde entier.
« Pour moi, la criminalistique est une vraie science criminelle qui concerne les techniques du crime et l’enquête, tandis que la criminologie est l’étude plus générale du phénomène criminel avec une approche très pluridisciplinaire où il faut connaître à la fois le droit, la psychologie, la sociologie, la géographie, l’économie, la politique, la médecine et la biologie, en fait toutes les approches qui sont nécessaires pour aider à mieux comprendre le phénomène criminel. »
Science qui fait appel à de nombreuses disciplines, la criminologie a cependant un statut assez variable. Rarement enseignée comme telle dans la plupart des pays européens, elle bénéficie d’une grande reconnaissance dans les pays occidentaux, surtout aux États-Unis. Comme le titre de la conférence le sous-entend, le travail d’un criminologue est marqué par sa diversité. Astrid Hirschelmann précise sur ce point :« Il contribue à aider à comprendre qui et pourquoi a commis le crime, donc il peut aider à l’enquête. Il aide surtout après pour l’expertise des personnes qui sont mises en examen pour un crime. Il aide aussi à l’expertise des victimes. Il peut donc faire toute la prise en charge et le traitement des victimes comme des auteurs et tout l’environnement aussi. Il va aussi contribuer aux questions de prévention et de réinsertion, alors non seulement l’enfermement et le traitement mais aussi tout ce regard plus prospectif. »
La Société européenne de criminologie (ESC), qui a pour l’objectif de faciliter la coopération entre les spécialistes en criminologie de toute l’Europe, a été créée en 2000. Cette même année, les criminologues ont eu une première occasion de présenter les résultats de leurs recherches lors d’un colloque organisé à Lausanne, siège de la société. Et après différentes villes de toute l’Europe, Prague s’est lancée à son tour dans l’organisation de cette conférence annuelle. Directeur de la Société tchèque de criminologie, Miroslav Scheinost nous parle de cette expérience :
« Il s’agit de la quatorzième édition de cette conférence dont l’organisation est chaque année confiée à un autre partenaire de l’ESC. La conférence a été déjà organisée par treize pays européens, y compris quelques pays dits postsocialistes, et nous, les criminologues tchèques, avons ressenti le besoin de montrer que nous étions nous aussi capables d’organiser une telle conférence. »Parmi cette foule de criminologues présents à Prague durant trois jours, une cinquantaine de francophones venus de France, de Belgique, de Suisse et du Québec, ont présenté leurs recherches. Outre les thèmes classiques tels que l’homicide, le terrorisme, le viol, les drogues, la violence conjugale, la délinquance juvénile ou encore l’influence de l’immigration sur la criminalité, la conférence a offert des débats sur des questions plus théoriques comme l’organisation de la police, la prévention et la punition ou les études comparatives.
Compte tenu de l’interdisciplinarité de la criminologie, la conférence a permis aussi la présentation de nombreuses recherches psychologiques qui se focalisent non seulement sur la psychologie des auteurs des crimes et des victimes mais aussi sur les conséquences de l’incarcération et de l’acte criminel sur leurs proches. En France, la psycho-criminologie réalise une grande part des études de criminologie. Etudiantes en doctorat de psychologie à l’Université Rennes 2, Aude Ventéjoux et Céline Lémale ont présenté à Prague leurs travaux consacrés à la psychologie des enfants ayant un parent en prison :
« L’idée est d’offrir aux enfants un espace qui leur soit dédié, où ils peuvent évoquer la situation d’incarcération sans leurs parents, sans leurs proches, et puis en parler entre eux pour échanger leurs expériences et la façon dont ils gèrent cette situation quotidienne. La psycho-criminologie qu’on travaille en France est vraiment tout ce qui est lié au champ pénitentiel. Même si ces enfants ne sont pas incarcérés, ils sont quand même affectés par cette situation d’incarcération et par ce milieu pénitentiel en tant que tel, et c’est pourquoi ce travail peut entrer dans le champ plus large de la criminologie. »La psychologie n’était pas la seule discipline marginale représentée à la conférence, ce que confirme la multitude de recherches orientées vers la sociologie et le droit. Cette année, la conférence a été marquée par la présentation de plusieurs études s’intéressant aux conditions de vie dans les prisons et à la violation des droits de l’homme dans les centres de détention. Ainsi, Stefan Bérard, un juriste fribourgeois, mène ses études sur les problèmes législatifs qui apparaissent en Suisse dans ce domaine concret :
« Nous sommes une équipe pluridisciplinaire qui travaille sur la fin de la vie dans les prisons en Suisse. Nous faisons une analyse du cadre légal autour de la question. L’intérêt pour la question est fort, notamment à cause de l’absence d’un cadre légal spécifique qui régirait cette question en Suisse et parce que le nombre de personnes qui vont être amenées à mourir en prison va très probablement augmenter de manière drastique lors des prochaines décennies. »
En comparaison avec la France, la criminologie tchèque est une science encore en développement. La Société tchèque de criminologie, qui collabore avec le département de la sociologie de la Faculté des lettres de l’Université Charles et le ministère de la Justice, regroupe actuellement 160 membres environ. Même si elle n’a été fondée qu’en 2012, Miroslav Scheinost évoque son avenir avec optimisme :« Même si la criminologie tchèque trouve ses racines dans un passé lointain, son histoire a été très mouvementée. Développée dans les universités, son évolution a été interrompue en raison de la fermeture des universités par les Allemands durant la Deuxième Guerre mondiale avant, comme d’autres disciplines scientifiques d’ailleurs, d’être déclarée inutile en 1948. Il faut dire objectivement que la tradition et la situation actuelle sont deux choses bien différentes. La base de la criminologie tchèque contemporaine n’est pas très vaste. Par contre, non seulement la criminologie française est plus importante en termes d’effectifs, mais elle doit également réagir à des questions qui ne nous affectent pas. L’immigration, par exemple, est une question jusqu’à présent peu traité en Tchéquie. Mais c’est une bonne raison de plus pour nous d’aller découvrir ces connaissances de la criminologie française pour nous en inspirer et peut-être aussi continuer ces recherches. »
S’inspirer des expériences d’autres est très précisément l’objectif de ces réunions annuelles. Comme d’autres participants, le jeune chercheur Stefan Bérard évalue la conférence très positivement. Il affirme en avoir apprécié l’apport pour la suite des études de criminologie en Europe :
« Ce qui est très intéressant pour la communauté des chercheurs, c’est la possibilité de rencontrer des personnes qui travaillent dans les mêmes domaines ou dans des domaines similaires au nôtre. Cela nous permet de pouvoir échanger nos points de vue sur certaines pratiques ou simplement sur certaines manières de faire différentes. Ce que je trouve extrêmement intéressant, c’est l’opportunité en quelques jours de pouvoir passer en revue les cadres légaux de différents pays et ainsi pouvoir orienter des recherches et comparer différents systèmes. »La Conférence européenne de criminologie organisée à Prague a rencontré un énorme succès. La 15e édition, intitulée « La criminologie comme unitas multiplex : les développements théoriques, épistémologiques et méthodologiques », aura lieu à Porto du 2 au 5 septembre 2015.